Cambodge : Mémoires d'une guerre oubliée
Son premier fait d’armes remonte à 1946, lorsqu’il fonde le Parti libéral cambodgien (Kanaq Sereipheap) avec le prince Norodom Norindeth. Cette formation politique – qui selon certaines sources était financée par la France – se voulait anticommuniste et, contrairement au Parti démocrate qui vit le jour un peu plus tard, ne réclamait pas l’indépendance. Plus tard, le prince Norindeth rejoignit le roi Norodom Sihanouk, occupa plusieurs postes diplomatiques et fut tué par les Khmers rouges en 1975.
Sosthène Fernandez lui aussi servit dans l’administration sihanoukiste, et fut élu au Parlement en 1951. Mais c’est comme militaire qu’il allait entrer définitivement dans l’Histoire. En effet, c’est en tant que commandant en chef des Forces armées nationales khmères et chef d’Etat major de Lon Nol que le Cambdoge se souvient de lui.
Les forces vietnamiennes, ce n’était un secret pour personne, occupaient alors de vastes bandes du territoire cambodgien, notamment celle par où passait en partie la fameuse piste Hô Chi Minh. Mais le roi Sihanouk laissait faire car, dit-il un jour à Sosthène Fernandez, « [il] savai[t] que le Vietnam gagnerait la guerre, que les Américains s’en iraient, et [il] voulai[t] conserver la confiance d’Hanoï pour préserver l’indépendance du fragile Cambodge. »
Or, Sosthène Fernandez, comme tant de ses compatriotes, voit avant tout dans le voisin vietnamien un « ennemi implacable et sanguinaire ». Sa mission est fixée selon un seul impératif : protéger le pays. Il lui faut alors mettre sur pied une véritable armée, ce qui n’est jamais chose facile, surtout dans un pays relativement pauvre comme l’était alors le Cambodge. Entre autres tâches, Sosthène Fernandez eut à former assez d’hommes pour assurer la défense du pays face à des Vietnamiens bien mieux préparés, et à des Khmers rouges dont la vie comptait peu aux yeux de leurs chefs.
Chef d’état-major des forces armées nationales khmères de 1973 à 1975, Sosthène Fernandez consacre plusieurs pages au récit de ces années cruciales pour le pays ainsi qu’un intéressant chapitre à propos de la corruption – plaie des pays en développement. L’extension au Cambodge de la guerre du Vietnam – décision funeste du président américain Nixon – et les gains territoriaux constants des Khmers rouges renforcés plus ou moins discrètement par les Bodoi (soldats) de Hanoï, eurent finalement raison d’une République cambodgienne vouée à l’échec et qui comptait ses morts.
A la fin de l’année 1974, le général Fernandez note dans ses mémoires que la guerre a coûté la vie à pas moins de 30 000 hommes en l’espace de deux mois. Et il continue son récit. Début 1975, il va voir le maréchal et président de la République khmère, Lon Nol, pour lui expliquer sans fard la situation. Il trouve en face de lui un homme « diminué, aux ‘absences’ de mémoire de plus en plus fréquentes ». Une description à l’opposé de celle – pleine de sollicitude – qu’il livre des « petits » soldats cambodgiens qui se battent avec un courage dont on a trop peu parlé. Eux, les sans-grades, n’ont nulle part où aller. Ils se battent courageusement pour leur femme, pour leurs jeunes enfants qui souvent les accompagnent au front.
Mais il est déjà trop tard. Le 15 avril 1975, les Khmers rouges entrent dans Phnom Penh. On connaît la suite. Tragique.
Sosthène Fernandez, quant à lui, réussit à gagner la Thaïlande voisine. Il fut remplacé par le général Sak Sutsakhan, qui en 1979 mit sur pied l’armée du Front national de libération du peuple khmer (FNLPK) de Son Sann – un mouvement armé nationaliste (qui comptera jusqu’à 15 000 hommes), opposé à la présence des Vietnamiens et des Khmers rouges.
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don