Chasse aux étrangers à Mayotte : mais que fait l'Etat ?

Chasse aux étrangers à Mayotte : mais que fait l'Etat  ?
Une cabane en tôle détruite dans la ville de Koungou (ORNELLA LAMBERTI / AFP)

Dans le 101e département français, des groupes d'habitants délogent autoritairement les étrangers sous le regard des gendarmes impuissants. La situation est explosive.

Par Pascal Riché
· Publié le · Mis à jour le
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Violente, la scène se répète dans divers villages du même département français depuis janvier. Une foule de plusieurs dizaines d’habitants se dirige vers des habitations de fortune occupées par des immigrés. Ils sont très déterminés. Ils tapent sur des casseroles, chantent, puis ils chassent les occupants, qui se retrouvent brutalement à la rue. Ils détruisent certaines habitations, brûlent des affaires qu’ils trouvent. Ils menacent ceux qui s’opposent à leur action, voire les journalistes présents. Ils distribuent des tracts justifiant leur action, qui accusent les sans-papiers d’être responsables de tous les maux du département : délinquance, chômage (36%), surcharge dans les écoles, dégradation des services de santé…

Ce département, c’est Mayotte, île située à mi-chemin entre l'Afrique et Madagascar, 230.000 habitants, dont 40% d’étrangers, un territoire français qui vit sous la forte pression migratoire des trois îles des Comores indépendantes voisines.

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Selon la Cimade, près de 1.000 personnes ont déjà été chassées par ces "collectifs d’habitants" qu’on n’appelle pas "milices" car ses membres ne sont pas armés. Plusieurs villages ont été le théâtre de telles exactions : Tsimkoura, Poroani, Mbouini , Choungui, MTsangamboua, Koungou. Et dimanche dernier encore, Bouéni.

"On s'occupera de vous"

Les personnes visées, à écouter ces collectifs d’habitants en colère, sont des "illégaux" : des Comoriens sans-papiers, qui occupent illégalement des terrains. En réalité, les auteurs des descentes ne font pas le tri. Un militant de la Cimade, Yohan, nous raconte qu’il a vu dimanche matin à Bouéni une famille d’immigrés en situation parfaitement régulière se  faire expulser :

"La femme avait une carte de séjour de dix ans et ils avaient un vrai bail. Les habitants ont arraché les portes de leur domicile à coup de marteau. Ils leur ont dit : "Si à 15 heures vous êtes encore là, on s’occupera de vous'. Les gendarmes, débordés, leur ont conseillé d’obtempérer…'

Cette chasse à l’étranger a commencé en janvier dans le village de Tsimkoura. Un collectif d’habitants de ce village a écrit à des propriétaires, avec copie à la maire de la commune et à la gendarmerie, pour les sommer d’expulser les sans-papiers qu'ils hébergeaient avant le 10 janvier. "Passé ce délai, les habitants prendront les mesures nécessaires pour remédier à ce problème", avaient-ils prévenu. Ils ont mis leur menace à exécution, chassant quelque 200 personnes, certaines en situation régulière, certaines même de nationalité française...

Faute de réaction des autorités, d’autres villages ont suivi l’exemple. La méthode est désormais rodée : on prévient par courrier, sur les réseaux sociaux et par voie d’affiches ; on se donne rendez-vous (voir affiche ci dessous) ; puis on marche vers le quartier ciblé. 

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Les dates des prochaines expulsions sont connues : dimanche prochain à M'tsamboro, le 5 juin à Kani-Kéli… Mais que fera l’Etat ? Jusque-là, il se contente d'une position d'observateur. Le 101e département n'est décidément pas un département comme les autres. Dans un communiqué, la préfecture "condamne fermement les événements qui se sont déroulés sur plusieurs communes de l'île ce week-end et ont conduit à l'expulsion de familles et à la destruction de bangas (cases, NDLR)".

300 personnes au bord de la route

A Choungui, le 8 mai, 300 personnes, dont la moitié d’enfants, se sont ainsi brutalement retrouvées le long d’une route. Elles y sont restées deux jours. La préfecture, réagissant pour la première fois, a cherché à leur trouver un centre d’accueil, sans succès. Ce sont les associations comoriennes qui les ont finalement secourues. Au passage, la police de l’air et des frontières a vérifié avec zèle les papiers de ces réfugiés : 40 personnes ont été expulsées, selon la Cimade.

Avant chaque intervention des collectifs d’habitants, les gendarmes sont prévenus, mais face à des foules en colère, ils ne peuvent pas faire grand-chose. A Poroani, une vingtaine de gendarmes a assisté aux expulsions sans intervenir : la consigne était de laisser faire tant qu’aucune atteinte à la personne n’était constatée ou que les autorités municipales n’étaient impliquées…

Les familles chassées de leur domicile, qui viennent des trois îles des Comores indépendantes (Mayotte a choisi de rester française en 1974), sont dans un dénuement complet. Leurs enfants sont brutalement déscolarisés. Les associations de Comoriens, jusque-là, parvenaient tant bien que mal à reloger ces réfugiés dans des familles, un peu partout sur l’île. Mais le nombre de personnes sans domicile croît désormais trop rapidement et les bénévoles sont débordés.

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(Des gendarmes postés lors d'une opération d'expulsions dans la commune de Boueni - Crédit : ORNELLA LAMBERTI / AFP)

Situation explosive

Chacun s’accorde à juger la situation explosive. Plusieurs centaines de personnes, hommes, femmes et des enfants, ont trouvé depuis lundi  refuge sur la Place de la République à Mamoudzou, le chef lieu de département. Ils ont accès à l’eau et un centre médical a été installé, mais le soleil est accablant et l’ombre rare.

Ce sont des bénévoles comoriens ou de la Croix rouge qui accueillent ces familles. L’Etat reste peu présent. Une réunion a eu lieu à la préfecture mardi après-midi, avec les différentes associations. Pas de préfet, en revanche : l'ancien est parti, le nouveau n'est pas arrivé. La directrice de cabinet a proposé d’organiser un centre d’hébergement d’urgence. Mais dans la soirée, les militaires chargés de préparer un tel centre, sur un terrain de Mtsapéré, ont été stoppés par la population du quartier...

Pascal Riché
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