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Remettre Bill «au travail», la boulette d'Hillary Clinton

Elections américaines de 2016dossier
En proclamant lundi qu'elle voulait associer son mari sur les questions économiques si elle est élue à la Maison Blanche, la candidate démocrate espérait rallier des électeurs nostalgiques. Mais remettre en avant la présidence de son mari pourrait bien se retourner contre elle.
par Matthieu Écoiffier, envoyé spécial aux Etats-Unis
publié le 17 mai 2016 à 18h25

Bill Clinton, le retour à double tranchant. En campagne pour la primaire du Kentucky, Hillary Clinton a déclaré qu'elle allait remettre l'ancien président «au travail» pour revitaliser l'économie des Etats-Unis. «Je veux l'aider à revenir à un type d'économie qui marchait pour tout le monde», a-t-elle expliqué lundi devant un petit rassemblement d'électeurs démocrates ravis, réunis au Lone Oak Castle Dinner.

«J'ai déjà prévenu mon mari que si j'ai la chance d'être élue en novembre, il deviendra le "First Gentleman" [équivalent masculin de la première dame, ndlr]. J'attends qu'il se remette au boulot […] pour que les revenus de chacun augmentent», a-t-elle indiqué d'une voix émue au micro. La veille, elle avait déjà expliqué qu'elle souhaitait lui confier une mission pour «revitaliser l'économie, parce qu'il sait le faire». En particulier, créer des emplois dans des endroits touchés par la crise, que ce soit les mines d'extraction du charbon ou les grandes villes industrielles. Des propos à double tranchant.

Marquer des points dans un électorat blanc

En jouant sur la nostalgie de la croissance des années 90, incarnée par le président Bill Clinton, Hillary Clinton espère marquer des points alors qu’elle est à touche touche avec Bernie Sanders dans le Kentucky. Si elle reste largement en tête en nombre de délégués, elle a besoin d’une victoire ce mardi après la claque que le sénateur socialiste du Vermont lui a infligée en Virginie-Occidentale la semaine dernière. Or Bill Clinton reste très populaire chez les démocrates du Kentucky, Etat qu’il a remporté deux fois à la présidentielle. Le ressortir permet ainsi à Hillary Clinton de marquer des points dans un électorat blanc de la classe moyenne fort courtisé par Trump, et encore sceptique sur sa candidature. Attaquée par Bernie Sanders sur ses liens avec Wall Street et le monde de la finance, Hillary Clinton s’est évertuée pendant des mois à s’en démarquer. En revendiquant désormais la dérégulation menée dans les années 90 par son mari sous la houlette d’Alan Greenspan, alors son secrétaire au Trésor, elle risque de s’aliéner les électeurs de gauche de Sanders.

Reste que l'élection à la présidence d'une femme près de vingt-cinq ans après celle de son mari est un schéma totalement inédit dans la démocratie américaine. Les propos de l'ex-sénatrice de New York et ancienne secrétaire d'Etat d'Obama ont provoqué au plan national de nombreuses spéculations sur le rôle futur de Bill au sein d'une administration Clinton bis. Créer des jobs, n'est-ce pas le rôle de son futur secrétaire au Trésor, équivalent de notre ministre de l'Economie ? Un porte-parole de la candidate a dû expliquer que l'ex-président n'occuperait aucun poste officiel dans le futur gouvernement. La candidate a elle-même démenti : «J'ai demandé à Hillary Clinton si son mari allait occuper un poste officiel, elle a secoué la tête et dit non, a tweeté Dan Merica, un reporter de CNN.

Back to the Future

Se référer à l’héritage et à la personnalité de son mari, pourrait se révéler contre-productif pour Hillary Clinton dans la campagne nationale. Mardi, le visage vieilli et la voix fatiguée de Bill Clinton sont réapparus en vignettes sur toutes les télés. Un côté retour vers le futur pas vraiment de nature à donner à la campagne d’Hillary la dynamique qu’elle peine à trouver. Surtout, en liant son futur politique au passé économique de son mari, Hillary Clinton prête le flanc aux critiques de ses adversaires. Sanders et ses supporteurs n’ont de cesse de dénoncer les conséquences néfastes de la dérégulation menée dans les années 90, rappelant qu’elle a abouti à la crise des subprimes de 2008. Quant à Trump, il a déjà mis en cause les conséquences néfastes en termes d’emploi des accords commerciaux signés par son mari.

Last but not least, en s'appuyant publiquement sur son mari, Hillary Clinton peut donner le sentiment de manquer de leadership. Elle ouvre un boulevard à Trump sur le terrain du vote des femmes, clé de la victoire en novembre, où elle le domine largement, 64 % des femmes restant hostiles au candidat présumé des Républicains dans les sondages. Plombé par ses remarques sexistes, Trump a réussi à retourner lundi une enquête publiée en une du New York Times où plusieurs femmes témoignent de son machisme. Et ce, en faisant tourner sur tous les plateaux télés une ancienne mannequin qui a affirmé n'avoir passé que des moments fabuleux en compagnie d'un homme respectueux de sa personne, contrairement à la présentation qu'en ont fait les deux journalistes du Times.

En ressortant le dossier «économie des années 90» de Bill Clinton, elle permet donc à Trump de brandir celui de ses «frasques sexuelles». Et de continuer à la caricaturer, elle, en «opportuniste». «Il n'y a pas eu pire avec les femmes que Bill Clinton», avait balancé l'ex-star de téléréalité le 7 mai lors d'un meeting à Spokane (Washington). «Certaines de ces femmes ont été détruites, non par lui, mais par la façon dont Hillary Clinton les a traitées après que tout soit dévoilé.»

Quant à Bill Clinton, son porte-parole a lâché un «no comment». Interrogé en 2015 par David Lettermann sur CBS, il avait indiqué qu'il réemménagerait à la Maison Blanche «si on le lui demandait». Une perspective qu'avait clairement exclue François Hollande lors de la campagne présidentielle de Ségolène Royal. Il est vrai qu'à cette époque, l'ex de la candidate socialiste de 2007 n'avait pas déjà été le locataire de l'Elysée. «On n'élit pas une famille», a-t-il souvent répété. Les Américains vont-ils élire un couple ou une candidate ? La question est désormais posée.

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