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Pollution

Glyphosate : impunité pour un tueur en herbe ?

Un comité d’experts de l’Union européenne doit décider ce jeudi s’il prolonge l’autorisation du pesticide le plus utilisé et soupçonné d’être dangereux pour l’homme.
par Coralie Schaub
publié le 18 mai 2016 à 20h21

L'Union européenne dira-t-elle stop ou encore au glyphosate ? L'autorisation d'y commercialiser ce pesticide, le plus utilisé au monde, qui entre dans la composition de plusieurs centaines de produits, dont l'herbicide Roundup de Monsanto, expire le 30 juin. Quid de la suite ? L'autorisation sera-t-elle renouvelée ou non ? Et si oui, pour combien d'années ? Avec des restrictions ou non ? Sauf rebondissement, tous ces points doivent êtres tranchés ce jeudi par un comité d'experts représentant les 28 Etats membres. Réuni depuis mercredi à Bruxelles, celui-ci n'avait pu trouver d'accord à l'issue de la première journée. Il devait déjà se prononcer en mars, mais le vote avait été reporté faute de majorité qualifiée. Au cœur de la décision, cette question clé, objet d'une vive querelle scientifique et d'une féroce bataille entre ONG et entreprises : le glyphosate est-il cancérogène ? Comme en mars, la France compte s'opposer au renouvellement de l'autorisation, a martelé la ministre de la Santé, Marisol Touraine, mercredi matin, arguant qu'indépendamment «des débats sur le caractère cancérogène ou non du glyphosate […] les études dont nous disposons montrent que c'est un perturbateur endocrinien». Chronique d'un feuilleton sans fin.

1974

Lancement commercial

Le glyphosate est commercialisé par l’américain Monsanto sous la marque Roundup. Un chimiste de cette société, John Franz, a découvert le potentiel herbicide de la molécule, synthétisée en 1950 par l’un de ses confrères suisses. En bloquant un enzyme dont la plante a besoin pour fabriquer des acides aminés et protéines, le glyphosate tue celle-ci en quelques jours. Cette substance active est toujours mélangée à d’autres ingrédients chimiques, notamment des tensioactifs utilisés pour accroître sa pénétration dans les cellules de la plante.

1996

Début des OGM résistant au glyphosate

Monsanto commence à développer les cultures transgéniques «Roundup Ready», dans lesquelles un gène a été introduit pour leur permettre de résister au Roundup, auquel elles doivent être associées. Mais loin de réduire l'usage des pesticides, cela l'a fait au contraire exploser, notamment à cause de l'apparition de «mauvaises herbes» résistantes au glyphosate. Selon une étude de l'économiste américain Charles Benbrook publiée en février dans Environmental Sciences Europe, l'utilisation de glyphosate a été multipliée par quinze dans le monde depuis l'introduction des OGM Roundup Ready. «Les deux tiers du volume total de glyphosate utilisé aux Etats-Unis de 1974 à 2014 l'ont été au cours des dix dernières années», cette part s'élevant à «72 % dans le monde». Selon ses calculs, les cultures OGM tolérantes aux herbicides représentent aujourd'hui «environ 56 % de l'utilisation globale du glyphosate». Au total, depuis 1974, «8,6 milliards de kilogrammes» de glyphosate ont été écoulés dans le monde.

2000

Expiration du brevet américain de Monsanto

Depuis, le glyphosate est vendu sous une variété de noms commerciaux par «plus de 40 sociétés» et «en Europe, plus de 2 000 produits [en] contenant sont actuellement homologués pour les terres cultivées», indiquent les industriels regroupés dans le Groupe de travail européen sur le glyphosate (GTF). Au-delà de l'agriculture, où il est employé sur les céréales, le colza, le maïs et le tournesol, mais aussi dans les vignobles, oliveraies ou vergers, le glyphosate est autorisé presque partout, à la campagne ou en ville. En sylviculture, sur les pâturages et voies ferrées, dans les parcs, rues ou jardins privés, il est omniprésent. Avec l'Ampa, son principal produit de dégradation, il figure depuis 2009 en tête des pesticides les plus détectés dans les cours d'eau de France métropolitaine. Et les détections du glyphosate «sont en hausse constante depuis 2011», notait le ministère de l'Environnement fin 2015. Le pesticide se retrouve logiquement dans nos aliments et boissons. L'Institut de l'environnement de Munich en a par exemple trouvé en février dans les 14 bières les plus vendues en Allemagne, à des taux allant jusqu'à 300 fois la limite maximale admise dans l'eau potable. Résultat, nous sommes tous imprégnés de cette molécule. Toujours outre-Rhin, en mars, une étude établissait que 99,6 % des 2009 personnes testées présentaient des traces détectables de glyphosate dans l'urine, dont plus de 75 % à des concentrations élevées. Le 12 mai, un autre résultat était publié sur le même sujet : sur les 48 eurodéputés de treize nationalités et tous bords politiques ayant fait analyser leur urine, tous présentaient des teneurs détectables de glyphosate, à des taux en moyenne 17 fois supérieurs au seuil légal toléré dans l'eau potable.

20 mars 2015

«Cancérogène probable»

Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) lance une petite bombe. Cette agence de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) classe le glyphosate «cancérogène probable pour l'homme». Plusieurs études épidémiologiques examinées suggèrent en particulier un risque accru de lymphome non hodgkinien (un cancer du sang) chez les agriculteurs et jardiniers exposés. Le Circ cite aussi des expériences menées sur des animaux de laboratoire, concluant à des «preuves convaincantes» de risque cancérogène chez ces derniers. Réaction outrée de Monsanto qui, «en désaccord avec la science poubelle» du Circ, exige de l'OMS une «rectification» de sa classification du glyphosate. Et réaction tout aussi forte des ONG, associations de consommateurs et citoyens. Une pétition lancée sur la plateforme Avaaz demandant de «suspendre immédiatement l'autorisation de ce produit» frise aujourd'hui les 1,5 million de signatures.

12 novembre

Controverse scientifique

Dans un rapport censé éclairer la Commission, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) juge «improbable» le risque cancérogène du glyphosate. Et ne propose donc pas qu'il soit classé comme cancérogène dans la réglementation de l'Union européenne sur les substances chimiques, ouvrant ainsi la voie à sa réautorisation. Ces travaux provoquent illico l'ire de 96 scientifiques du monde entier, qui dans une lettre ouverte au commissaire à la Santé, Vytenis Andriukaitis, demandent «d'écarter les conclusions, faillibles, de l'Efsa» et appellent à «une étude transparente, ouverte et crédible de la littérature scientifique». En réponse à ces critiques, l'Efsa explique que son étude ne doit «pas être comparée» à celle du Circ, laquelle serait «une première évaluation» alors que celle de l'Efsa serait une «évaluation exhaustive du risque». Pas de quoi calmer les ONG, pourtant. Début mars, six d'entre elles, dont la française Générations futures - qui a aussi décidé de porter l'affaire devant la justice française «pour mise en danger de la vie d'autrui et tromperie aggravée» - ont déposé une plainte à Berlin et Vienne contre les responsables de l'évaluation du glyphosate en Europe, pour «déni de [ses] effets cancérogènes». Elles reprochent notamment à l'Efsa d'avoir repris telles quelles les conclusions de l'autorité sanitaire allemande BfR, qui avait elle-même endossé les conclusions de Monsanto en dépit d'«entorses grossières» à la méthodologie scientifique. En février, l'agence de sécurité sanitaire française (Anses) saisie par la ministre de l'Environnement, Ségolène Royal, après les travaux du Circ, abondait dans le sens de l'Efsa, concluant que «les informations disponibles sur les risques du glyphosate seul ne justifient pas, à ce stade, un classement cancérogène probable». En revanche, souligne l'Anses, «le mélange du glyphosate avec certains coformulants, notamment de la famille des tallow amines (amines grasses de suif), peut présenter des risques particuliers pour les utilisateurs du grand public ou du monde agricole». Réaction immédiate de la ministre, qui a demandé «le retrait des autorisations de mise sur le marché des produits concernés, présentant des risques préoccupants». Une interdiction jugée - ô surprise - «inappropriée» par les fabricants.

8 mars 2016

Décision reportée

La Commission européenne reporte le vote sur sa proposition de prolonger l'autorisation du glyphosate pour quinze ans - basée sur l'avis de l'Efsa -, faute de majorité. Plusieurs pays, dont la France, la Suède, l'Italie ou les Pays-Bas ont en effet rejoint le camp des opposants à la substance. Mais les lignes peuvent bouger. Car au sein même des Etats, les divergences sont fortes. Pour le nouveau vote de cette semaine, la Commission leur propose désormais de se prononcer sur un renouvellement de neuf ans. Faisant fi de l'avis des eurodéputés, lesquels, «étant donné les inquiétudes qui subsistent sur le caractère cancérogène et de perturbateur endocrinien du glyphosate», avaient conseillé en avril de renouveler son autorisation pour «sept ans uniquement et seulement à des fins professionnelles». La France paraissait s'en tenir mercredi soir à son refus du renouvellement défendu par Ségolène Royal, François Hollande ou encore Marisol Touraine. L'Allemagne, elle, qui penchait jusqu'ici plutôt pour le «oui», semblait incertaine.

16 mai

Conflits d’intérêts

Nouveau coup de théâtre scientifico-médiatique. Le Joint Meeting on Pesticide Residues (JMPR), un organe commun à l'OMS et l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), dévoile à la hâte le résumé d'un rapport ne devant être publié que dans deux semaines, «afin que l'information puisse être diffusée vite». Principale conclusion : «Il est improbable que le glyphosate pose un risque cancérogène pour les humains qui y seraient exposés par l'alimentation». L'étude est donc plus restreinte que celle du Circ, lui aussi lié à l'OMS. Surtout, souligne Greenpeace, elle serait entachée de conflits d'intérêts puisqu'«au moins deux experts» impliqués - identifiés par le Monde comme étant les président et vice-président du groupe assemblé par le JMPR - ont selon l'ONG des liens avec l'International Life Sciences Institute (Ilsi), financé notamment par les producteurs de glyphosate Dow, Monsanto ou Syngenta.

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