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"Si l'industrie du tabac récupère la cigarette électronique, elle la tuera"

Le Pr Bertrand Dautzenberg, pneumologue à la Pitié-Salpêtrière et tabacologue.
Le Pr Bertrand Dautzenberg, pneumologue à la Pitié-Salpêtrière et tabacologue. © Sipa Press
Vanessa Boy-Landry , Mis à jour le

Le Pr Bertrand Dautzenberg, pneumologue à la Pitié-Salpêtrière et tabacologue, décrit les avancées du 1er sommet de la vape* qui s’est tenu à Paris le 9 mai dernier. Une rencontre inédite où vapoteurs, professionnels et représentants de l’Etat ont été invités à se positionner sur la cigarette électronique et sur la place qu’il convient de lui faire, à la veille de la réglementation sur son usage.

Paris Match. Pour la première fois, vapoteurs, professionnels, associations de lutte antitabac, médecins et représentants de l’Etat ont débattu ensemble sur la cigarette électronique. Pourquoi une telle réflexion aujourd’hui?
Pr Bertrand Dautzenberg. Tout d’abord parce que ce qu’on entend dire sur la cigarette électronique, auprès du grand public, est bien souvent totalement faux : "C’est dangereux", "On ne sait pas ce qu’il y a dedans", etc. Ensuite parce que les usagers, les acteurs de santé publique, et les associations de lutte antitabac ne sont pas d’accord sur tout. Il était important de faire le point sur ce que l’on sait de façon certaine et débattre des sujets où il reste des divergences [Voir encadré plus bas]. Aujourd’hui, contrairement à il y a deux ans, la Direction générale de la santé, l’Académie nationale de médecine, le Haut conseil de santé publique, et les vapoteurs sont d’accord sur l’essentiel: la cigarette électronique est un bon produit pour arrêter le tabac qu'il convient, parmi les moyens officiels, d'encourager. Des points restent soumis au débat, notamment sur l’interdiction de la publicité ou le vapotage dans les lieux publics. Les vapoteurs sont pour l’interdiction de la publicité à la télé mais revendiquent l’information et la promotion, en particulier à l’intérieur des boutiques. Ils ne demandent pas qu’on vapote partout mais demandent à pouvoir le faire dans les bars et sur le lieu de travail. Sur le plan juridique, le fumoir est une possibilité théorique dans l’entreprise et le Directeur général de la santé (DGS), Benoit Vallet, a reconnu que ne donner aucune possibilité au "vapotoir" serait une mesure disproportionnée par rapport au risque sanitaire.

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C'est normal que nos autorités de Santé soient prudentes

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Depuis l’année dernière, deux études très rassurantes ont été publiées par les Britanniques. Au point que les fumeurs sont encouragés à vapoter pour quitter le tabac. Nos autorités de santé ne sont-elle pas trop prudentes?
C’est normal qu’elles soient prudentes. En Grande-Bretagne, les deux études ont été produites par des agences rattachées aux autorités de Santé. Elles sont très proches du gouvernement, mais ce n’est pas le gouvernement. En France, on pourrait en vouloir plus aux sociétés médicales qui n’ont pas émis d’avis positif sur l'intérêt du vapotage alors qu'elles auraient pu le faire.

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L’argument longtemps opposé à la cigarette électronique est le risque qu’elle constitue une porte d’entrée vers le tabagisme. Où en est-on aujourd’hui ?
Une analyse des données de l’assurance-maladie sur une grande cohorte va être publiée à la fin du mois pour la Journée mondiale sans tabac. Elle montre que chez l’adulte, la cigarette électronique n’est pas une porte d’entrée vers le tabagisme. Même chose, semble-t-il, chez le jeune.

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La baisse des ventes chez les buralistes est plus liée à la cigarette électronique qu'à la hausse des prix du tabac

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Avec plus de 2 millions de vapoteurs en France, l’essor de la cigarette électronique a suscité des travaux scientifiques et l’intérêt des addictologues. N’est-ce pas maintenant au tour des politiques de s’appuyer sur cette expertise pour construire une lutte plus efficace contre le tabagisme?
Pour l’instant, la promotion de la cigarette électronique est principalement dans les mains des vapoteurs et c’est une bonne chose. C’est un produit de consommation courante et non un médicament . C’est donc aux utilisateurs et au marché d’être leaders de ce produit: les vendeurs, les acheteurs et la société doivent se mettre d’accord. Aujourd’hui, en l'absence d'essais cliniques, le ministère ne peut pas affirmer que c’est un produit bon pour la santé, même si c’est hautement probable. Par contre, il a des arguments très forts pour dire que le tabac est un poison à éliminer et qu’il semble que la cigarette électronique, produit de consommation courante, joue un rôle pour éliminer le tabac. Le ministère de la Santé est 100% antitabac. Le paquet neutre gêne beaucoup les cigarettiers, même si on sait que cela ne va pas régler le problème. La baisse des ventes chez les buralistes, depuis quatre ans, est plus liée à la cigarette électronique qu’à la hausse des prix du tabac. L’avantage des Britanniques, c’est qu’ils ont une politique globale dans laquelle ils disent clairement que la cigarette électronique est un moyen de sortir du tabac. Nous allons essayer de faire bouger les lignes. A l’occasion du "Moi(s) sans tabac", en novembre, nous allons monter des expérimentations autour de la cigarette électronique, dans les hôpitaux en particulier. En tant que médecin, c’est un produit à mettre en avant chez les fumeurs.

A la veille d’une réglementation qui risque de nuire à la cigarette électronique, usagers et professionnels de la vape attendent une position claire des autorités. Avez-vous le sentiment que ce rendez-vous a été propice au rapprochement?
Le Directeur général de la santé a compris qu’il y avait un problème de dialogue. Quatre jours après le sommet, il a reçu la fédération interprofessionnelle de la vape (Fivape) et a organisé son agenda pour recevoir tout le monde. L’avantage colossal de ce sommet est qu’il a permis aux participants de s’écouter, de se rapprocher, et de voir que sur de nombreux sujets, il y avait des points de convergence. Autant sur le plan sanitaire, ce n’est pas à la Ministre de décider, autant pour régler la vie publique (l’interdiction de la publicité, de vapoter sur les lieux publics…) c’est un problème politique et c’est une décision qui lui revient.

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La vape indépendante est un combat à mener pays par pays

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Vapoteurs et professionnels craignent l'application de la Directive européenne sur les produits du tabac, à partir du 20 mai, qui risque de faire régresser ce marché. Est-ce que ce sommet n'arrive pas trop tard?
La grande force de la cigarette électronique, c'est la vitesse de son évolution. Or les cerveaux, dans l'industrie du tabac, ne sont pas les bons pour travailler sur la cigarette électronique. Habitués à sortir des nouveaux produits créés cinq ans avant, ils ne savent pas raisonner en changeant de stratégie à trois mois. En revanche, de grands freins peuvent être infligés à la vape, tels les coûts d'enregistrement des nouveaux produits. S'ils s'élèvent à 250 000 dollars comme le veut la FDA, la cigarette électronique deviendra un produit du tabac. Ce que ne souhaitent pas les acteurs de la santé. Des coûts trop élevés remettront les produits de la vape entre les mains de l'industrie du tabac, seule capable de les supporter, et tueront les produits qui plaisent aux consommateurs. Avoir des coûts d'enregistrement abordables profite à la vape indépendante et est aujourd'hui un combat à mener pays par pays.

 * Le 1er Sommet de la vape a été co-organisé par le Pr Didier Jayle (addictologue), Jacques Le Houzec (tabacologue), et le Pr Bertrand Dautzenberg.

 1er Sommet de la vape: les consensus et les divergences en 9 points

 

Extrait du communiqué du 1er Sommet de la vape (12 mai 2016)
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