Confrontation

Barbara Pompili : «Est-ce normal de se sentir humiliée par une photo ?»

Entretien avec la secrétaire d'Etat écologiste autour d'une image d'elle publiée en 2012 dans «Libération».
par Quentin Girard
publié le 21 mai 2016 à 17h16

C'est l'histoire d'une photo. Fin septembre 2012, l'habituel portrait de dernière page de Libé est consacré à Barbara Pompili. L'actuelle secrétaire d'Etat à la Biodiversité est alors une toute nouvelle députée. Nommée coprésidente du groupe EE-LV à l'Assemblée nationale, elle est la première femme de l'histoire, à 37 ans, à occuper une telle fonction.

Mais la photo qui accompagne le portrait et qui la montre assise en robe blanche sur un rebord de canapé, les cuisses et le décolleté apparents, n'est pas de son goût. Elle la trouve bien trop sexuelle. Il y a deux jours, devant l'association des journalistes parlementaires, elle a estimé que c'était l'épisode le plus «humiliant» de sa carrière politique, regrettant que Libé ne se soit jamais excusé, selon elle.

On est allé la voir, au moment du café, vendredi après-midi, en terrasse d’un restaurant de Saint-Germain-des-Prés, pour lui demander ce qui l’avait choquée, lors d’une discussion sincère sur le sexisme et la fabrique de l’information médiatique et politique.

Pourquoi vous êtes-vous sentie humiliée par cette photo ? 

Parce que j'ai été trompée, déjà. Parce que, quand la photo a été prise, j'avais expressément demandé au journaliste quel était le cadrage de sa photo. J'avais dit : «Vous faites quoi, vous prenez le haut ?» Il m'avait dit: «Oui, oui, le haut.» Du coup, je n'ai absolument pas fait attention au bas, je n'ai pas fait attention que ma jupe était un peu redressée. C'est très formateur. Je n'ai plus jamais fait l'erreur.

Ce jour-là, il faisait très chaud, et j’étais habillée exactement comme le jour où j’avais été élue. J’ai ressorti des photos de ce jour. La robe est parfaitement normale, elle n’a rien de spéciale, et j’avais en plus une veste rouge. La seule chose que j’ai acceptée, à la demande du photographe, c’est de l’enlever. Je savais que j’avais un décolleté, mais je n’en ai pas honte.

Quelque temps plus tard, j’ai vu les autres photos prises lors de cette séance. Et quasiment toutes sont des photos de buste. Toutes sont des photos correctes, qui allaient bien avec le thème de l’interview. Là, quand le portrait est paru, ça m’a fait énormément de mal. Evidemment une photo comme ça, sauf à vraiment mentir, on sait que ça va attirer l’œil, c’est le moins qu’on puisse dire.

La photo est trop sexuelle?

Bah oui. Je n’ai eu aucune réaction à l’époque qui avait trait à ce qui était marqué dans l’article. Toutes parlaient de la photo. D’ailleurs, plusieurs disaient : «Oh, elle l’a fait exprès pour se faire de la pub.» «Elle l’a bien cherché quelque part.»

Est-ce que le problème, ce n’est pas tant la photo que les réactions qui sexualisent la photo alors qu’il n’y a pas de position indécente ?

Non, mais vous rigolez ou quoi ? Quand même ! Je n'ai jamais vu une photo de femme politique comme ça. Enfin, jamais… Si, parce que je ne suis certainement pas la dernière ni la première à m'être fait avoir. Najat Vallaud-Belkacem m'a dit : «Oui, moi aussi je me suis déjà fait avoir.» On ne me fera pas croire que ceux qui ont choisi cette photo ne s'en doutaient pas, et je ne pense même pas que ça soit le journaliste qui a écrit le papier.

En général, le journaliste qui écrit le papier, il découvre pratiquement la photo dans le journal.

Je me doute. Regardez : quand on fait une recherche dans Google et qu'on voit la photo. (Elle saisit son portable et me montre les résultats pour «Barbara Pompili».)

Elle est différente des autres.

Elle est différente et pas seulement pour son côté artistique.

Est-ce que ça veut dire que lorsqu’on est une femme politique, du coup, si on veut être légitime, il faut forcément avoir l’air strict et austère dans sa manière de s’habiller?

Non, bien sûr que non. C’est pour ça que je n’avais pas mis un foulard au-dessus du décolleté. Simplement, la photo a été évidemment choisie parce qu’elle était, entre guillemets, «osée».

Oui, je pense.

Elle n’est pas osée pour une actrice porno, mais elle est osée pour une femme politique.

Le photographe a envoyé une quinzaine d’images. Ensuite, c’est le service photo qui a choisi. D’ailleurs dirigé par des femmes à l’époque.

Bah, merci.

Toutes les personnes «impliquées» dans l’histoire sont désormais parties de Libé. Mais, dans ce que j’ai compris, cette photo a été choisie parce qu’il a été jugé que, pour une fois, quelqu’un n’avait pas peur. Ça changeait de toutes les photos de politiques qu’on pouvait voir.

Non, mais, arrêtez.

Je cherche simplement à expliquer la manière dont ça s’est passé.

Alors, ce sont des gens qui n'ont aucune expérience de ce qu'est le monde politique, médiatique, mais on ne va pas me le faire croire. Toutes les réactions ont été les mêmes : «Ouais, la bonasse».

Le journaliste écrivait ce qu’il voulait, il pouvait être critique, ça fait partie du boulot, mais le message qui était supposé passer c’était que j’étais la première femme politique à coprésider un groupe à l’Assemblée nationale. Sauf que le message que fait passer cette photo, ce n’est pas celui-là, n’est-ce pas ?

En plus, avec le titre du papier, «Sœur sourire»… C’est une femme, un sourire, un corps, des cuisses. Les politiques sont les seuls à ne pas maîtriser leur image. On est les seuls à qui on ne demande jamais quelles seront les photos publiées.

On ne montre jamais les photos avant la publication à qui que ce soit, en portrait de der.

D’accord, mais d’une manière générale, on ne maîtrise pas. J’accepte le jeu de ne pas maîtriser. Mais quand un journal fait un choix pareil, il fait délibérément le choix d’axer le portrait sur mon physique et pas sur qui je suis.

Dans le texte, il n’y a pas de sexisme.

Le titre est pourri mais je n’ai rien à dire sur l’article en lui-même et d’ailleurs je ne me permettrai pas. Ce qui me choque, c’est que je n’ai été qu’une chose, une image, un physique.

Ça n’illustrait pas un parcours politique, ça illustrait l’inverse. On pouvait même se dire : «Ah bah tiens, pourquoi est-elle la première femme présidente d’un groupe ? La photo nous laisse penser pourquoi.»

Parce que c’est une «bonasse».

Ou parce qu'elle sait écarter les cuisses, je n'en sais rien. Après, c'est mon interprétation, mais ça a aussi été celle de tout le monde. D'ailleurs, il faut le reconnaître, ça m'a ouvert plein de portes. J'ai été invitée au Grand Journal deux ou trois jours après, où évidemment ils n'ont pas repris des citations de l'article mais la photo.

Mais pourquoi accepter d’aller au Grand Journal du coup ?

Il fallait accepter pour montrer que «la poupée» n’est pas qu’une «poupée» mais une personne qui a une parole, qui forme des phrases, qui transmet un message politique. C’était la première fois qu’on faisait un portrait de moi, je venais d’être élue, d’arriver. Je connaissais le monde politique mais de l’autre côté du miroir, ce n’est pas du tout la même chose. J’ai été bêtement confiante.

En plus, honnêtement, c'était Libé. Pour moi, c'était un journal sérieux, qui défendait des valeurs dans lesquelles je me retrouvais. J'ai eu bêtement confiance et je me suis sentie couillonnée.

C’est aussi un journal qui est connu, avec les photos du portrait de der, pour pousser les personnages à sortir de leur cadre naturel. Quand c’est Thévenoud qui fait le grand écart, quand…

Oui, mais pourquoi on a fait de moi un objet sexuel ? Sortez-moi de mon cadre habituel, faites-moi faire du saut à l’élastique.

Le photographe m’a dit qu’il n’a jamais évoqué la question du cadrage.

(Soupir d'exaspération) C'est sa parole contre la mienne. Il va dire : «Non, c'est pas vrai». Je vais dire : «Si, c'est vrai». J'affirme qu'il me l'a dit. Vous savez, malheureusement, dans notre culture, les femmes ont des complexes, les hommes aussi d'ailleurs. Moi, ce sont mes jambes, mes cuisses. Je peux vous dire une chose : jamais de ma vie vous ne verrez une photo que j'ai acceptée qui montre mes cuisses.

J’ai vu mille fois des photographes rester évasif sur le cadrage de leur photo.

C’est de la tromperie.

Ou un jeu ?

Non, ce n’est pas du jeu. Un jeu c’est quand les deux connaissent les règles. Moi, je ne connaissais pas encore les règles de ce jeu-là. Je faisais confiance, maintenant, je ne le fais plus. Vous pourrez dire ce que vous voulez, que c’est un sentiment, que chacun a sa propre responsabilité, mais, moi, je me suis sentie humiliée. Est-ce normal de se sentir humiliée par une photo alors que pourtant je suis très large d’esprit ? J’avais l’impression d’être toute nue.

Vous avez eu l’impression que ça vous renvoyait dix ans en arrière, quand vous avez commencé la politique, que ça vous renvoyait à une fonction de petite fille jolie dont vous ne pouviez pas sortir ?

Ça ne m’a pas fait penser à quoi que ce soit d’autre que de me sentir humiliée. Je me suis dit : «Je me suis fait avoir», point barre. Je me suis dit : «Le journal qui défend des valeurs de gauche, etc. est le premier journal qui ne trouve rien de mieux pour faire le portrait d’une femme qui apporte sa toute petite pierre à la bataille du féminisme en présidant un groupe parlementaire que de dire que c’est un objet sexuel.»

Je sais que ça dénote lorsqu’on est jeune pour le monde politique, qu’on est blonde, une femme, qu’on a des gros seins. Oui, ça dénote, mais ce n’est pas pour ça que j’ai été désignée présidente du groupe EE-LV. Le premier qui a eu l’idée, c’est Noël Mamère. Je n’ai jamais couché avec Noël Mamère. Scoop. J’ai été désignée parce que ça faisait dix ans que je travaillais à l’Assemblée nationale et que je connaissais bien les arcanes.

A ce moment-là, quand c'est arrivé, j'ai réagi en disant que ça m'avait blessée. J'ai réagi en disant que je m'étais sentie chosifiée. C'était pour répondre à l'avalanche des messages sur les réseaux sociaux. Pas un mot de Libé. Silence radio.

Mais pourquoi avoir évoqué de nouveau ce portrait il y a deux jours alors que dans la même intervention vous dites que vous refusez l’injonction à être une victime ?

Je ne me suis pas sentie victime de Baupin.

Ça, j’ai bien compris.

Mais je considère que j'ai été victime de Libération. Je n'étais certainement pas armée pour me défendre et Libé en a profité. Avec l'expérience, Libé ne pourrait plus l'avoir cette photo-là. Quelque part, je remercie le journal pour la formation accélérée que j'ai eue.

Est-ce que cette photo est un argument utilisé par les adversaires politiques, ou même par les camarades ?

Oui. J’ai évidemment eu des soutiens de mes amis mais j’ai eu aussi des personnes qui ne m’ont pas soutenue. Soit en ne disant rien, soit en laissant sous-entendre que je l’avais bien cherchée. Toutes proportions gardées, je ne voudrais surtout pas qu’on dise que je compare les choses, mais c’est comme si, d’une femme qui a été agressée, on disait : «Quand même, elle a mis une minijupe, elle l’a cherché, elle le voulait.»

Vous saviez qu’il y avait une séance photo ce jour-là.

Encore une fois, j’ai eu plein de photos le jour où j’ai été élue, j’étais dans la même tenue. Pour conclure, je ne me suis pas fait des idées toute seule sur cette photo.

Cette photo a effectivement une dimension sexuelle, mais en même temps, n’est-il pas dommage qu’un homme ou une femme politique, aujourd’hui, ne puissent pas avoir l’air un peu sexuel sans perdre en légitimité ?

Encore faut-il que je le choisisse, que je dise «Moi, j’assume, j’ai envie de mettre en avant cette image-là». Mais je n’ai pas besoin de ça : je ne suis pas sexuelle mais je suis déjà une femme, je porte déjà tout ça au quotidien, je n’ai pas besoin d’en rajouter. J’ai envie qu’on s’intéresse à autre chose, je ne suis pas qu’un bout de chair. J’ai la prétention aussi de dire que je n’ai pas à me mettre un voile ou la burka, j’ai le droit de m’habiller comme j’en ai envie.

Est-ce que cette histoire pourrait alimenter la rubrique «Le sexisme sans le savoir» ? Est-ce que même des gens qui se croient les plus grands défenseurs de la cause homme-femme sont aussi machistes que les autres ? Oui. Et j’aurais tendance à dire que c’est même pire parce qu’ils donnent des leçons.

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