“Divines”, de Houda Benyamina, une autre belle bande de filles

Deux gamines de banlieue inséparables, l'une décide de se faire embaucher par une dealeuse... Présenté à la Quinzaine des réalisateurs, c'est l'une des grandes révélations de ce Festival de Cannes.

Par Cécile Mury

Publié le 21 mai 2016 à 12h41

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h44

Cest un premier long métrage, un film-outsider, qui vient cette année d’obtenir la mention spéciale à la Quinzaine des réalisateurs. Une récompense plus que méritée : des mouflettes de banlieue, tchatche et rage de vivre chevillées au corps, on en a pourtant vu beaucoup, depuis L'Esquive jusqu'à Bande de filles, sensation cannoise d'il y a deux ans. Mais les deux gamines de Divines, de Houda Benyamina, ne ressemblent pourtant qu’à elles-mêmes : un tourbillon blagueur, inspiré, électrisant, emporté à pleine vitesse du comique au tragique, de la chronique sociale au polar haute tension. Cet étourdissant mélange des genres récupère et brasse tous les clichés qui traînent au pied des cités, pour en faire quelque chose d’étonnamment neuf, frais et singulier.

Rien que dans leur apparence, les inséparables Dounia et Maimounia, toutes jeunes filles perpétuellement en maraude dans leur quartier désolé, se distinguent du lot commun : la première, dissimulant sa beauté sous d’informes et protecteurs blousons masculins, est aussi menue, tendue, petite et énervée que la seconde est grande, costaude, douce, tendre, enveloppante. Avant de basculer dans l’intrigue proprement dite, le film prend le temps de nous faire vivre et goûter leur amitié à la vie à la mort, le genre de lien tissé d’humour jaillissant, de foi absolue et de tendresse enfantine que l’on n’expérimente qu’à l’adolescence. De vidéos sur téléphone portable en chahuts divers, de répliques irrésistibles en échappées belles, soudées contre le reste du monde, elles jouent les affranchies dans un milieu bien plus dur qu’elles, qu’elles aspirent naïvement à conquérir. De la banlieue, on nous avait à peu près tout montré, sauf, peut-être, cette palpitante innocence, déguisée en audace. Dounia, qui vit avec une mère paumée, dans un bidonville coincé entre les tours et l’autoroute, veut prendre le chemin le plus court pour sortir de la misère. « Money, money, money », répète-t-elle sans cesse.. Mantra magique, porte d’entrée vers beaucoup d’ennuis, et manière, pour la réalisatrice, de suggérer, sans marteler, la puissance nocive de l’imaginaire ultra-libéral.

“Toi, t’as du clitoris !”

Dounia, donc, décide de se faire embaucher par le caïd du coin... Une certaine Rebecca. C’est l’autre force du film, ce basculement dans le marigot criminel local, bourré de clins d’oeil cinéphiles à un univers fondamentalement masculin... Que Houda Benyamina peuple de filles au caractère trempé. Aussi dangereuse et fêlée que le premier trafiquant mâle venu, Rebecca use agressivement de toutes les armes de la virilité, violence, posture et charisme inclus. Inversion des genres rare, ludique et gonflée, réflexion maligne sur la facticité des attributs de la puissance masculine, le film nous livre des répliques déjà cultes telles qu’un inoubliable « Toi, t’as du clitoris ! » lancé par la chef de bande pour saluer le courage de Dounia. Le rôle le plus « féminin », dans cette histoire en miroir, est tenu par un garçon, passionné de danse, dont Dounia vient contempler les répétitions en cachette. Contrepoint pudique et gracieux, cette histoire d’amour naissant suggère une alternative possible à la tyrannie de l’argent, une sortie de secours par l’art. Ce serait presque naïf, si ces scènes-là, magistralement chorégraphiées, n’évoquaient pas si bien, avec tant de force, le désir, le rêve et l’apprivoisement.

Si le film, à mesure qu’il plonge sans rémission dans la noirceur du polar, qu’il referme le piège sur ses héroïnes fragiles, perd un peu de son originalité au profit d’une descente aux enfers plus classique, il reste malgré tout l’une des grandes révélations de ce festival, y compris grâce au talent inouï de ses jeunes interprètes, qui rivalisent d’intensité et de présence. Dans le rôle de Dounia, une inconnue, Oulaya Amamra, crève l’écran. Devant son charisme, son énergie pure, sa puissance d’émotion, on se dit qu’une grande actrice vient de naître.

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