“Gomorra” plus fort que “Game of Thrones” en Italie

“Gomorra” est devenu un phénomène de société en Italie. La saison 2 a été dévoilée comme un blockbuster et a fait plus d'audience que “Game of Thrones”. Retour sur un lancement hors norme avec son créateur, Roberto Saviano.

Par Emmanuelle Skyvington

Publié le 22 mai 2016 à 14h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h43

Des mafieux ont foulé le tapis rouge sous la protection de la police. La scène a eu lieu le 9 mai au Teatro Dell'Opera de Rome. C'est dans ce haut-lieu de la musique lyrique que la chaîne Sky Atlantic a lancé, en grandes pompes, la saison 2 de la série Gomorra, inspirée du livre de Roberto Saviano, Gomorra, dans l'empire de la Camorra (Gallimard, 2007). L'écrivain napolitain était présent, entouré de toute l'équipe artistique et technique. Une vingtaine de personnes, crâne rasé, barbe de trois jours ou catogan pour les hommes, rouge à lèvres et tenues de soirée pour les femmes.

Lancement de la saison 2 de la série Gomorra à Rome.

Lancement de la saison 2 de la série Gomorra à Rome. Photos: Emmanuelle Skyvington

Les saisons 3 et 4 déjà en cours d'écriture

Pour cette avant-première, la chaîne Sky Atlantic (co-productrice de la série avec Cattleya et Fandango) avait vu grand, en conviant la presse internationale à Rome. Le luxueux dossier de presse, taille XXL, était si encombrant que certains l'ont laissé sur place (il n'entrait pas dans leur sac). Interprètes dans une cabine à droite de la salle, casques audios, micros… : l'organisation – rigoureuse - était à la hauteur de ce « press junket » à la romaine exceptionnel, comme l'Italie n'en connait pas si souvent. A l'exception de Quo Vado, comédie familiale sur les tribulations d'un fonctionnaire corrompu qui a attiré 7 millions de spectateurs, aucun film ni série n'a provoqué un tel engouement auprès du public italien. La première saison au printemps 2014 avait réuni sur la chaîne privée Sky 1 million d'abonnés (sur ses 4,7 millions). Mardi 10 mai 2016, à 21.00, le démarrage de la saison 2 a battu de nouveaux records avec 1,1 millions de spectateurs, dépassant même les audiences de la saison 6 de Games of Thrones (Il Trono di Spade en italien). Le phénomène Gomorra a même déteint à l'étranger puisque la série a déjà été prévendu dans 130 pays. Résultat, avant même le lancement de la saison 2, la 3 et la 4 sont déjà en cours d'écriture.

Derrière le succès de la série, il y a d'abord un auteur, Roberto Saviano. Comme il l'avait fait pour la première saison, l'écrivain a activement participé au développement de la seconde, sans toutefois aller sur le tournage pour des raisons de sécurité. En Italie, Saviano a acquis la dimension iconique d'une star depuis la parution de son livre choc, Gomorra. Menacé de mort et constamment protégé, il est un peu vu comme le précurseur des lanceurs d'alerte, même si son profil et son image sont bien différents d'un Assange ou d'un Snowden. Dix ans après la parution de Gomorra, l'écrivain n'a plus le teint blafard qu'il arborait - à force de vivre enfermé dans des pièces sans fenêtre. Bien que toujours grave, il a l'air mieux (Télérama l'avait rencontré en 2012), sourit de temps en temps, et accepte des selfies avec ses admirateurs qui l'interpellent ou viennent lui serrer la main (en se glissant entre ses gardes du corps armés, aux aguets, avec leurs oreillettes). Il utilise twitter, les réseaux sociaux et son site pour s'exprimer et décrire la mafia « ce mal absolu » dont souffre son pays.

Une réalisation à “l'italienne” qui plaît

Si la série s'impose auprès des téléspectateurs, elle le doit aussi à son style ultra-réaliste. Une réalisation à “l'italienne” où chaque scène semble tournée comme si elle était inspirée et nourrie par des événements réels. De la maman apeurée qui surveille sa fille en train de faire du vélo dans la cour d'une cité déglinguée, plus sinistre qu'une prison; aux méthodes des braqueurs, leurs armes, leurs styles vestimentaires, leurs coupes de cheveux jusqu'au dialecte napolitain qu'ils utilisent… tout sonne parfaitement juste. Assumant leur attachement au néoréalisme du cinéma italien, de Rossellini notamment, les réalisateurs de Gomorra revendiquent haut et fort d'avoir mis « la vraie vie des habitants de ces quartiers sur grand écran. Ce n'est plus la mafia racontée par Hollywood (Le Parrain, Scarface, Les Soprano…) aussi brillants soient-ils ». Plus encore même que dans Romanzo criminale, l'admirable livre de Giancarlo De Cataldo, Gomorra plonge aux sources de la violence et de la pauvreté. Un parti pris parfois difficile à imposer, explique Stefano Sollima, l'un des quatre réalisateurs : « ces histoires sont tellement terrifiantes qu'il a été difficile au départ de monter ce projet. ».

“Au lieu de dénoncer, on préfère raconter” Roberto Saviano
Roberto Saviano.

Roberto Saviano. Photo: Horst Galuschka/dpa/MaxPPP

Tous nos remerciements à Fatima Rizki et Carole Lyon de “Courrier International” pour leur traduction.

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