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Analyse

Quand la Caisse des Dépôts devient trop politique

Ayant atteint l'âge limite, le directeur général de la Caisse des Dépôts, Pierre-René Lemas doit, en théorie, abandonner ses fonctions dès août 2017, soit deux ans avant l'échéance normale de son mandat... et juste après la présidentielle.

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Par Sharon Wajsbrot

Publié le 23 mai 2016 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Drôle de décalage. Alors que la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) fête ses 200 ans, au cours desquels elle a exercé ses missions d'investisseur de long terme, elle se trouve aujourd'hui tétanisée par une question très immédiate : Pierre-René Lemas, son directeur général, pourra-t-il achever son mandat ? Ayant atteint l'âge limite du corps préfectoral, il doit, en théorie, abandonner ses fonctions dès août 2017, soit deux ans avant l'échéance normale. Et à la veille de l'élection présidentielle, François Hollande, qui lui a confié ces fonctions, semble peu enclin à déroger à la règle. Il ne veut, en effet, pas se voir accusé d'usurper un droit qui reviendrait à son éventuel successeur à l'Elysée.

La position est louable, mais ce nouveau départ anticipé risque de fragiliser davantage encore la gouvernance de l'institution publique : depuis la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy, quatre directeurs - nommés par le chef de l'Etat ou assurant un court intérim - se sont succédé à sa tête. Après un premier intérim lié au calendrier électoral, il y a eu surtout une permutation de fonctions entre Jean-Pierre Jouyet - directeur général de la Caisse entre 2012 et 2014 - et Pierre-René Lemas, qui assurait le secrétariat général de l'Elysée depuis l'élection de François Hollande. Ce va-et-vient a achevé de donner le sentiment que la Caisse des Dépôts répond, plus que jamais, à une logique politicienne loin de toute préoccupation liée à l'intérêt général.

Pour « la vieille dame de la rue de Lille », dont le directeur général était nommé à vie jusqu'en 1994, un tel turnover est complètement inédit. Surtout il ne colle pas à son ADN d'investisseur de long terme chargé de « garantir l'inviolabilité des fonds qui lui sont remis en garde ». Cette mission est, en effet, au coeur de la loi de 1816 qui l'a créée afin de mettre l'épargne des Français à l'abri des appétits politiques. Depuis, la Caisse n'a eu de cesse d'affirmer son indépendance vis-à-vis de l'exécutif. Mais l'histoire récente révèle que les lignes de force se déplacent insidieusement. La réforme du statut du directeur général de la CDC a constitué le point de départ de ce mouvement : depuis 1994, celui-ci est nommé par décret du président de la République pour cinq ans, à l'instar des députés qui assurent sa surveillance. Cette précaution du gouvernement Balladur visait alors à reprendre la main sur l'institution, qui sous la houlette de son directeur général, Robert Lion, avait mené un raid contesté contre la Société Générale.

L'adoption en 2000 du quinquennat pour le mandat présidentiel, comme pour celui du directeur général de la Caisse, a renforcé la tentation d'en faire un outil de politique publique comme les autres. Il faut dire que la Caisse des Dépôts est un objet incontournable pour amplifier et soutenir les projets de l'Etat. Ramifiée dans quasiment tous les secteurs de l'économie (le logement, les transports, le tourisme, l'assurance, la banque...), l'institution dispose d'un bilan de 150 milliards d'euros et génère chaque année un résultat substantiel. Depuis 1816, elle n'a affiché que deux années de pertes ! Et elle libère chaque année plus de 20 milliards d'euros de prêts aux bailleurs sociaux et collectivités locales. Une force de frappe qui incite l'Etat à oublier parfois l'indépendance de l'institution, surtout en période de disette budgétaire ! Lors de la création de la Banque publique d'investissement, bpifrance, en 2012, l'exécutif a ainsi opté pour une gouvernance à parité avec la Caisse, au grand dam de cette dernière.

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Mais l'influence de l'exécutif sur la Caisse fait craindre des prises de décision à courte vue, coûteuses pour ses fonds propres et risquées pour les fonds des notaires et des épargnants qui lui sont confiés. Le sauvetage de Dexia ou l'investissement dans La Poste sont autant d'exemples où la Caisse a agi sous la pression de l'exécutif. Pour éviter que ces cas de figure ne se multiplient, sa commission de surveillance, qui représente le Parlement et veille à son indépendance, tente de muscler ses champs de compétence. Seul organe habilité à destituer le directeur général de l'institution, elle définit désormais son modèle prudentiel, donne son approbation sur son programme d'émissions et sur le niveau des prélèvements versés à l'Etat. Et, depuis peu, les futurs directeurs généraux, désignés par le président, doivent recevoir l'aval des commissions des Finances de l'Assemblée nationale et du Sénat pour entrer en fonction.

Ces verrous ne sont pas les seuls remparts contre des choix politiques à court terme. La Caisse dispose surtout d'une forte identité culturelle. Son directeur général a beau être nommé par le président de la République, l'histoire a montré que cette culture s'impose à lui, au point que même Pierre-René Lemas, qui était le bras droit de François Hollande, devient le premier défenseur des intérêts de l'institution. Le récent affrontement entre Bercy et la CDC sur les modalités de l'adossement de l'Agence française de développement à l'institution l'a démontré. Sur ce dossier, les considérations économiques ont fini par l'emporter sur la raison politique, même si cela a entraîné le démenti des engagements présidentiels pris à l'été 2015.

C'est cette carte de commis de l'Etat que Pierre-René Lemas défend pour conserver le pilotage de l'institution jusqu'en 2019. Elle a déjà convaincu les élus de l'opposition membres de la commission de surveillance de la CDC de lui apporter leur soutien. Mais le plus dur reste à faire : convaincre sa propre famille politique.

Les points à retenir

Depuis la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy, quatre directeurs se sont succédé à la tête de la Caisse des dépôts et consignations.

Et l'actuel directeur général pourrait devoir quitter ses fonctions dès l'an prochain, avant la fin de son mandat.

Ce turnover permanent peut donner le sentiment que la Caisse répond avant tout à une logique politicienne, loin de toute préoccupation liée à l'intérêt général.

Sharon Wajsbrot

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