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ÉDITO

Urgence : réformer la démocratie pour débloquer la France

La France donne ces jours-ci une bien piètre image d’elle même. Celle d’un pays bloqué qui, au fond, n’a guère changé dans ses structures bureaucratiques et politiques depuis les années 1970. Il est urgent de changer de logiciel politique.

Des syndicalistes de la CGT ont bloqué l'accès au dépôt pétrolier de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), le 23 mai 2016.
Des syndicalistes de la CGT ont bloqué l'accès au dépôt pétrolier de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), le 23 mai 2016. Boris Horvat, AFP
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Il faudrait relire le travail du sociologue français Michel Crozier (disparu en 2013) dont les titres de livres, publiés dans les années 1970, résument assez bien le diagnostic qu'il faisait des tares françaises : C’était justement (déjà) "La société bloquée", ou bien "On ne change pas la société par décret", formule qui est entrée dans le langage commun. Crozier y dénonçait déjà l’archaïsme de notre administration et l’impuissance de nos politiques à réformer la France dans une période de grands bouleversements.

Dans "L’acteur et le système", il décortiquait les stratégies des organisations dédiées à l’action collective (syndicats par exemple) pour tenter de se faire entendre face à l’impossibilité de réformer dans la négociation, dénonçait l’arrogance des hauts fonctionnaires, formés dans les mêmes écoles, et dont les performances ne sont jamais évaluées, l’autoritarisme du politique, etc.

En 2016, on en est encore là. La loi travail dite "El Khomri" partait pourtant d’un constat de bon sens. Pour relancer réellement l’économie française qui n’est plus tirée par l’industrie ni la consommation de biens d’équipement "made in France", mais par l’innovation, le pays doit améliorer sa compétitivité, et les entreprises gagner en souplesse.

Cela suppose qu’elles puissent détruire des emplois devenus obsolètes pour en créer de nouveaux, davantage tournés vers les aspirations des consommateurs et celles du marché mondialisé. Or, les jeunes générations veulent consommer moins, mais mieux (plus écologique notamment, plus "futé"). Il faudrait aussi redistribuer les revenus en leur faveur, alors qu'aujourd’hui, ce sont  les retraités qui voient leur part dans revenu national augmenter. Cela nécessite de remettre à tout prix les jeunes au travail, et de lever les freins à leur embauche. Dans cette optique, remplacer la notion de sécurité de l’emploi par celle de sécurité des parcours professionnels (c’est-à-dire l’accompagnement des périodes de chômage par la formation) était essentiel, car la moitié des emplois de 2030 n’existent pas encore.

Sortir de l'impasse démocratique

Or, malgré le compromis passé avec la CFDT, principal syndicat réformiste, le gouvernement a échoué à faire adopter une version pourtant très allégée de son projet par une majorité de l’Assemblée Nationale. On a vu, fait inédit, une minorité de députés socialistes tenter de déposer une motion de censure contre le gouvernement qu’ils étaient censés soutenir.

Bien sûr, l’article 49-3 fait partie de l’arsenal constitutionnel, et a été utilisé par presque tous les gouvernements de la Ve République toutes tendances confondues. Il permet théoriquement au pouvoir exécutif de ne pas être éternellement esclave d’une obstruction du parlement.

Seulement, lorsqu’il ne s’agit plus juste d’un obstacle ponctuel sur un texte de loi (ou sur le budget), mais d’une opposition systématique, fondamentale, animée par une frange croissante de la majorité (les frondeurs) contre la ligne politique suivie ("la ligne social-libérale") ; quand celle-ci est, par dessus le marché, en décalage total avec les engagements sur lesquels s’était fait élire le Président de la République il y a quatre ans ; quand celui-ci n’a plus le soutien que de moins de 20 % de l’opinion publique (d’ailleurs en désaccord avec le projet de loi en question), et qu’il lui reste à peine une année de mandat, il faut se rendre à l’évidence : Pour sortir de l’impasse démocratique qui empêche de gouverner, il faut que le pouvoir retourne devant les électeurs. Il peut le faire de deux façons : soit le Président (qui est l’arbitre du système) demande au peuple de se prononcer par référendum sur le projet de loi qui divise et, implicitement au moins, il met sa démission dans la balance ; soit il dissout l’Assemblée Nationale. Tel est l’esprit de nos institutions. Si le pouvoir ne s’y résout pas, c’est qu’il sait que le résultat lui serait fatal dans les deux cas et qu’il cherche à gagner du temps dans l’espoir d’un miracle économique et électoral – fort improbable d’ailleurs – dans l’année qui vient. Mais ce faisant, il place ses intérêts avant ceux de la France qui a un besoin urgent de ces réformes et d’un gouvernement jouissant d’une légitimité nouvelle pour les accoucher. De ce point de vue, on ne dira jamais assez combien fut tragique le gaspillage par François Hollande de ses deux premières années de mandat, celles où il est le plus facile de réformer (ou le moins difficile, dans le cas français).

Nous allons vivre dans ce climat d’affrontement et de violence pendant les semaines et peut-être les mois qui viennent. Entre deux clans qui cherchent à passer en force : le gouvernement avec le 49-3, sa police qui réprime brutalement les manifestations, et la CGT qui tente de prendre le pays en otage en s’en prenant aux transports publics et aux raffineries, et, derrière elle, les anarchistes et les casseurs qu’elle ne contrôle plus et qui veulent casser du flic. C’est affligeant, et au final, c’est la France qui recule, car le reste du monde ne l’attend pas.

Changer la "machine à décider"

Le mouvement "Nuit debout" qui, victime de son indigence intellectuelle, est en train de s’épuiser, a néanmoins réussi à attirer la mansuétude, sinon la sympathie car il indique qu’il y a dans la jeunesse une aspiration profonde à un bouleversement de la pratique politique. Les jeunes élites instruites de 2016 ne peuvent en effet plus accepter d’être dirigées d’en haut comme il y a quarante ans.

Il ne faut pas désespérer des hommes politiques. On peut encore en trouver, rares il est vrai, qui réfléchissent et portent le bon diagnostic. Malheureusement ce ne sont pas forcément ceux qui se destinent aux plus hautes fonctions. Prenez Thierry Mandon, secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur. Ce n’est pas une vedette médiatique, ni un poids lourd du gouvernement et c’est bien dommage.

Dans une interview au Journal du Dimanche, Thierry Mandon vient de parler d’or. Que dit-il ? En bon lecteur de Crozier, que notre système politique est complètement obsolète, à bout de souffle. Car, s’il n’a pas ou très peu évolué en un demi siècle, le pays c’est-à-dire ses habitants, eux, ont profondément changé. Ne serait-ce que la proportion de diplômés de l’Université qui a plus que doublé (de 20 % à 44%). D’où, d’abord cet insupportable sentiment de frustration face au chômage et à la précarité. Et puis, ces Français davantage instruits acceptent de moins en moins – à la différence leurs aînés – d’être gouvernés par le haut, et que leur vote, une fois tous les cinq ans, ait valeur de blanc-seing en les dépossèdant de leur participation au débat. C’est d’autant plus vrai que les corps intermédiaires (syndicats, parlement) représentent de moins en moins le pays réel, politiquement comme sociologiquement.

Face à des citoyens mieux informés et mieux armés pour appréhender la modernité et maîtrisant de mieux en mieux les outils numériques et les réseaux sociaux, le fonctionnement politique est daté, archaïque. Les universitaires, les chercheurs, plus nombreux, ne sont pas suffisamment écoutés dans le processus d’élaboration de la loi et des normes, les études d’impact sont bâclées, le processus d’élaboration et d’exécution des lois trop long, et la bureaucratie toute puissante. Conclusion : la plupart des lois qui s’en sortent sont inapplicables.

Thierry Mandon se prononce pour des lois votées "à l’essai" qui reviendraient devant le parlement pour être améliorées et pour un "spoil system" à la française : la majorité politique nouvellement élue changerait la haute administration pour y placer des hommes et des femmes qui partagent son agenda politique. Cela aurait pour conséquence d’éviter ces cabinets ministériels pléthoriques conçus pour déjouer les piège d’une bureaucratie intouchable qui n’en fait qu’à sa tête et s’y connaît pour démolir ce qui la défrise. Mandon plaide aussi pour changer le profil d’une partie des fonctionnaires qui viennent toujours des mêmes milieux et surtout sont passés par les mêmes écoles. Bref, estime-t-il, c’est toute la "machine à décider" qui est à revoir pour y associer davantage ce qu’on a parfois appelé "les forces vives". Thierry Mandon y voit l’enjeu principal de l’élection présidentielle de 2017. Il pense que la gauche est mieux placée que la droite pour l’incarner car, dit-il, "n’importe quel Zorro des Républicains ira droit dans le mur". Pas faux. Mais le système étant ce qu’il est, ne pouvant défendre ses idées lui-même et se lancer dans la course, il ne peut que faire un énième "rapport au Président de la République", lequel, à supposer qu’il s’en inspire ne servira à rien à un Président qui, n’ayant rien fait pendant cinq ans, se trouve fort mal placé pour incarner cette mue démocratique.

Et nous voici donc condamnés à assister, médusés, à ces images d’un autre siècle de face à face musclés entre CRS et cégétistes devant les dépôts pétroliers, ou de voitures de police brûlées, dans un pays qui donne l’impression d’être figé dans son passé et, pire, de ne plus avoir toute sa tête.

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