"Raconter la vie" ou comment passer l’envie à Georges Clooney de faire le malin
La dernière initiative éditoriale du sociologue Pierre Rosanvallon "Raconter la vie" nous propose de passer derrière le décor. Et de découvrir la vie de gens normaux qui n’ont rien à la fois rien d’exceptionnels et sont pourtant des héros du quotidien. A quoi ressemblent le quotidien et les rêves de celui qui vous permet de déguster un bon Nespresso. Vous, comme Georges Clooney, pouvez maintenant le savoir.
Chauffeur-livreur, chercheur, éleveuse de chat, cariste, patron de filiale d’un groupe pétrolier …. A quoi ressemble concrètement le quotidien de ces gens-là ? Quel est leur rapport aux autres, au monde ? Occupent-ils une place choisie ou subie ? De quoi sont-ils fiers ? De quoi ont-ils peur ? C’est le projet original que le sociologue et historien Pierre Rosanvallon mène avec les éditions du Seuil. "Raconter la vie" est à la fois le titre d’une collection et celui d’une plate-forme internet collaborative. L’objectif du projet est de contribuer à "rendre la société plus lisible et aider les individus qui la composent à s’insérer dans une histoire collective ". Pierre Rosanvallon veut créer ainsi "le parlement des invisibles". Les narrations donnent lieu, pour les plus volumineuses, à des livres papiers ou des e-book payants (5,90 euros ou 2,99 euros) et des PDF en accès gratuit sur le site pour les récits plus courts. Ils ne sont pas tous construits autour du travail mais celui-ci reste le marqueur fort de l’identité des gens et y occupe donc une place de choix.
L’un des premiers ouvrages de la collection "Moi, Antony, ouvrier d’aujourd’hui" nous raconte l’histoire de ce décrocheur scolaire qui atterrit un peu par hasard dans la logistique et tente, au fil de CDD et de CDI abandonnés en cours de route, de se construire un parcours professionnel. Il nous apprend au passage qu’un patron peut parfaitement faire travailler un préparateur de commande dans un entrepôt à -5° sans lui fournir le moindre vêtement de protection adaptée. Il explique aussi pourquoi un enchaînement de CDD est parfois plus intéressant qu’un CDI pénible sans espoir de progression. Et se lamente de l’absurde des lettres de motivation qu’il faut écrire pour obtenir des boulots parfaitement démotivants.
Dans un autre ouvrage "La course ou la ville", le lecteur croisera le parcours de ces invisibles qui au volant de leurs utilitaires remplissent nos rayons de supermarchés et nos placards de capsules Nespresso. On y suit pas à pas la folle journée de Sami qui effectue bravement sa mission : 12 heures pour 57 livraisons du précieux café dans le 17ème arrondissement de Paris (sans paiement des heures supplémentaires). Georges Clooney ferait sans doute moins le malin s’il passait une journée dans sa camionnette.
Bientôt la vie d’un patron du pétrole
Il y a aussi la vie trépidante de ce physicien de la matière froide de l’Ecole normale supérieur qui navigue entre son laboratoire-cave de la rue d’Ulm où siège "son frigidaire" à - 273° et son petit bureau de 9 m2 dont il couvre le tableau noir d’équations. On touche du doigt dans ce récit que certaines professions dites intellectuelles sont aussi confrontées à des questions bien matérielles.
On attend avec impatience, le témoignage à paraître de ce chef d’entreprise du pétrole qui restera anonyme mais sera, n’en doutons pas, plus authentique, débarrassé des oripeaux dont l’aurait habillé le service presse de son entreprise. Dans la collection "Raconter la vie", les formes d’écriture sont multiples : témoignages bruts, avec leur part de subjectivité parfois irritante dans le compassionnel sur soi-même, enquêtes de journalistes (qui ne s’interdisent pas le "off" complet), entretiens fouillés menés par des philosophes et des sociologues. Tous les ouvrages ne sont pas des chefs-d’œuvre de littérature mais la parole y est libre et vraie. Et c’est déjà pas mal.
Anne-Sophie Bellaiche
Déjà parus : " Moi Antony, ouvrier d’aujourd’hui " de Antony, "La course ou la ville" de Eve Charrin, "Chercheur au quotidien" de Sébastien Balibar …
A paraître : "Business dans la cité" de Rachid Santaki ,"Grand patron, fils d’ouvrier" de Jules Naudet
Site internet : http://raconterlavie.fr/
"Raconter la vie" ou comment passer l’envie à Georges Clooney de faire le malin
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