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Billet

Un enfant migrant mort de plus: l'image à laquelle on n'aurait pas dû s'habituer

L'ONG Sea-Watch a diffusé lundi soir une nouvelle photo d'enfant mort pour alerter l'opinion et les responsables politiques sur l'urgence d'une autre politique migratoire. Sans cette fois-ci provoquer le même choc que la photo d'Aylan Kurdi.
par Frantz Durupt
publié le 31 mai 2016 à 17h41

C'est la dernière photo d'une longue série (en cours) montrant des enfants morts en mer en tentant de rejoindre l'Union européenne avec leur famille. Lundi soir, l'ONG allemande Sea-Watch a diffusé, auprès de l'agence Reuters, l'image (visible ici en entier, elle peut choquer) d'un de ses humanitaires tenant dans ses bras le corps d'un nourrisson repêché quelques minutes auparavant.

L'enfant a été trouvé le vendredi 27 mai, à la suite du chavirement d'une embarcation de bois où se trouvaient des centaines de personnes. Le bateau était parti de Libye quelques heures plus tôt, à destination de l'Italie. La semaine dernière, près de 700 migrants sont peut-être morts noyés au large de nos côtes, selon le HCR.

Dans sa dépêche en anglais, Reuters explique que la photo a été «diffusée» par Sea-Watch «afin de persuader les autorités européennes de créer des passages sécurisés pour les migrants». «Si nous ne voulons plus voir de telles images, alors nous ne devons plus laisser ces situations se produire», affirme l'ONG.

Très vite, la photo est reprise par des médias anglo-saxons, puis par des français. Pourquoi la publient-ils ? Comme Reuters, Slate.com explique que la photo en rappelle «inévitablement» une autre : celle du petit Aylan Kurdi, enfant syrien mort noyé en Méditerranée, retrouvé sur une plage turque en septembre 2015. D'ailleurs, Paris Match s'empresse d'écrire sur son site internet«L'image est choquante, et risque de faire le tour du monde.»

Sans effet

Il y a en effet dans cette photo à peu près tout ce que contenait celle d'Aylan Kurdi : un enfant mort pour rien, un adulte impuissant, pas de coupable à l'horizon, juste une tristesse qui monte toute seule, prête à l'emploi. Pourtant, les articles sonnent un peu faux. Car pour s'étonner à nouveau de cette réalité, il faut n'avoir pas vu que les grandes déclarations politiques de septembre 2015 n'ont pas eu le moindre effet. Il faut n'avoir pas vu qu'en février, deux enfants continuaient de mourir chaque jour en Méditerranée. Il faut n'avoir pas vu les photos, jumelles parfaites de celle d'Aylan Kurdi, qui continuent de l'attester régulièrement.

On pourra alors s'étonner d'autre chose : que cette image ne provoque pas la sensation attendue. En ce mardi après-midi, presque 24 heures après sa première diffusion, on constate que la photo n'a pas fait réagir grand-monde sur Twitter. Il faut dire qu'en septembre 2015, l'onde de choc était partie des réseaux sociaux, pour ensuite atteindre les médias et les politiques, obligés de réagir. Visiblement, les choses ne fonctionnent pas aussi bien en sens inverse. Peut-être y a-t-il donc, dans la démarche de Sea-Watch et ses relais médiatiques, quelque chose de l'apprentissage en sorcellerie, qui risque de se retourner contre les intentions de départ. Et peut-être, aussi, qu'il faut arrêter de ne compter que sur des photos pour changer le monde.

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