Publicité
Enquête

La NRA, ce lobby qui gouverne l'Amérique

Par Lucie Robequain

Publié le 1 juin 2016 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

La National Rifle Association, qui défend le droit de porter des armes aux Etats-Unis, exerce, grâce à des méthodes de lobbying inédites, une influence colossale sur le pays et n'a jamais été aussi puissante que sous la présidence Obama. Elle soutient aujourd'hui activement Donald Trump. « Les Echos » ont passé deux jours avec ses militants.

Notre Père, qui est aux cieux, que ton nom soit sanctifié [...]. Que la liberté de porter des armes soit préservée, et celle de protéger nos familles. Amen. » C'est par cette prière collective réunissant 80.000 personnes que s'est ouvert le Salon annuel de la National Rifle Association (NRA) il y a deux semaines à Louisville, Kentucky. Trois jours durant, ces fans de Charlton Heston et de John Wayne ont fraternisé sur des airs de country, offrant l'un des spectacles les plus authentiques du Midwest américain. L'un des plus glaçants aussi, à l'image de ces petites filles réunies autour du stand « shoot like a girl », prouvant qu'il n'est jamais trop tôt pour manier un pistolet outre-Atlantique.

Le « business » des armes ne s'est, de fait, jamais aussi bien porté. Les Etats-Unis comptent désormais plus d'armes à feu que d'habitants. Leur nombre s'établirait à 357 millions, pour une population d'un peu moins de 320 millions. La montée du terrorisme a évidemment accentué la tendance. Mais encore plus décisives ont été les menaces de Barack Obama de limiter les ventes d'armes, via un contrôle systématique des acheteurs. « Les chiffres le prouvent : la peur de restrictions sur les ventes a un effet plus puissant que les tueries et les attaques terroristes. Barack Obama est le meilleur vendeur d'armes de la planète », résume Louis Navellier, qui dirige un fonds d'investissement du même nom à Reno (Nevada).

Rien qu'en décembre dernier les fabricants ont vendu 1,6 million d'armes aux Etats-Unis - leur meilleur mois depuis deux décennies, à l'exception de celui qui a suivi la réélection de Barack Obama en 2012. Le plus gros fabricant américain, Smith & Wesson, a ainsi vu ses profits doubler l'an dernier. Sa valeur en Bourse a décuplé depuis que Barack Obama est entré à la Maison-Blanche (+1.087 %).

Lobby le plus puissant du monde

Publicité

Et gare à qui ose dénoncer cet état de fait ! Considéré comme le lobby le plus puissant du monde, la NRA a prouvé qu'elle était capable de faire tomber quiconque se mettait au travers de sa route. Le démocrate Al Gore s'en souvient, lui qui a perdu la présidentielle de 2000 pour avoir tenté d'imposer une loi anti-armes l'année précédente, lorsqu'il était vice-président de Bill Clinton. La NRA a financé une campagne de dénigrement de 20 millions de dollars contre lui. Elle a réussi à le faire perdre sur des terres hautement symboliques, tels le Tennessee - son propre Etat ! - et l'Arkansas - celui du président Bill Clinton. « La NRA a joué un rôle décisif dans sa défaite », assure Matt Bennett, ancien conseiller à la Maison-Blanche. Ce fut l'une des heures de gloire de la NRA - une association d'abord conçue pour défendre les chasseurs (1871) et qui n'a cessé de se politiser depuis.

Aucun élu n'échappe à ses fourches aujourd'hui. Chacun reçoit une note allant de A à F, selon la force avec laquelle il défend le lobby des armes. Ces notes sont publiques et permettent aux détenteurs d'armes de voter en connaissance de cause. Les pires ennemis de la NRA font l'objet d'une campagne publicitaire ciblée - comme Al Gore en 2000. Car de l'argent, l'organisation n'en manque pas : elle affiche un budget annuel de 250 millions de dollars, soit 15 fois plus que ses opposants - les associations anti-armes et le milliardaire Michael Bloomberg.

On comprend mieux pourquoi les républicains sont si nombreux à venir prêter allégeance à la NRA lors de sa grande convention annuelle. Celle de Louisville était d'autant plus importante que les élections présidentielle et parlementaires auront lieu le 8 novembre prochain. Donald Trump n'a pas dérogé à la règle. Il a ravi l'assemblée en jouant les cow-boys, dans un one-man-show spécialement conçu pour l'occasion. Les attaques du Bataclan ? « Boum ! Boum ! Avec moi dans la salle, les terroristes n'auraient peut-être même pas osé rentrer. » Les tueurs de San Bernardino, qui ont fait 14 morts en Californie ? « Boum ! Boum ! » Il promet de rétablir l'usage des armes dans toutes les écoles, cinémas et supermarchés. « Je ne vous laisserai jamais tomber. Je suis membre de la NRA. Mes enfants sont membres de la NRA. Ils ont tellement de pistolets à la maison, ça commence à m'inquiéter. » Ce discours marque un virage à 180 degrés pour le New-Yorkais, qui a longtemps plaidé pour une interdiction des armes d'assaut. « Les républicains marchent main dans la main avec la NRA. Ils refusent le moindre compromis », regrettait-il dans un livre écrit il y a une quinzaine d'années. Après la tuerie de Newtown, qui avait fait 27 morts dans une école élémentaire du Connecticut en 2012, il s'était même dit « en osmose » avec Barack Obama.

Des paroles qu'il tente de faire oublier aujourd'hui. Et pour cause : les membres de la NRA sont non seulement nombreux - plus de 5 millions - mais prêts à tout pour défendre leur cause, dont ils ont presque fait une religion. A Louisville, les casquettes « In Guns We Trust » sont ainsi partout, en clin d'oeil à la devise nationale « In God We Trust ».

Leur bible, c'est le deuxième amendement de la Constitution, qui garantit le droit des Américains de porter des armes. Un amendement rédigé en 1791, qui n'est pas forcément adapté à la réalité du XXIe siècle : « Il a été écrit à un moment où il n'y avait pas d'armée, et où les Américains ressentaient un besoin vital de se protéger eux-mêmes. Mais la NRA n'en a cure : elle défend une interprétation extrême de ce texte », explique Andrew Patrick, qui travaille pour la Coalition to Stop Gun Violence, une ONG basée à Washington. La NRA défend ainsi des personnes qui ont des centaines de pistolets chez eux. Elle joue sur les valeurs fondamentales de l'Amérique - la liberté et l'individualisme -, la haine de l'Etat et la théorie du complot. « Le gouvernement va confisquer vos armes. Si l'on ne va pas voter en novembre, c'est la fin de la liberté individuelle dans notre pays », lance ainsi le directeur de la NRA, Chris Cox. « Le droit de porter des armes est aussi important que la liberté d'expression », renchérit le sénateur Rand Paul.

Des anciens agents de la CIA ont même été dépêchés à Louisville pour attiser les peurs : ils parlent du terrorisme bien sûr, mais aussi des voleurs d'enfants, dealers de drogue et autres Mexicains sans papiers. « Les crimes n'ont jamais été aussi fréquents. Ils ont encore augmenté de 15 % ces dernières années », lance Steve Tarani, un ancien agent de la CIA à la carrure d'Arnold Schwarzenegger. Les déclarations sont fausses - le taux de criminalité s'est en fait réduit de moitié depuis le début des années 1990. Mais les « rednecks » du Midwest sont convaincus du contraire. Et ils ne font confiance à personne pour les protéger : « Si un problème survient, je préfère me débrouiller seul, sans appeler la police. Je sais qu'il y a beaucoup de gens comme moi dans cette salle », ajoute ainsi Steve Tarani, qui exhorte son public à se faire justice lui-même.

En attendant, c'est contre Hillary Clinton que la NRA fourbit ses armes. La candidate démocrate à la présidentielle lui a déclaré la guerre, comme aucun autre candidat avant elle. Elle ne cesse d'évoquer ces 33.000 Américains qui meurent chaque année sous les balles - deux tiers par suicide, le reste par homicide ou accident domestique. Depuis 2001, celles-ci ont fait 1.000 fois plus de victimes américaines que le terrorisme. « Les armes ont toujours été un sujet de second ordre lors des campagnes électorales. Pour la première fois, elles s'imposent comme un sujet phare », se félicite Erika Soto Lamb, porte-parole de l'ONG Everytown for Gun Safety .

C'est paradoxalement du pain bénit pour la NRA, qui ne se porte jamais aussi bien que dans l'adversité. « La présidentielle 2016 est l'élection la plus importante de notre histoire. Si Hillary Clinton est élue, vous pouvez dire au revoir à votre pistolet », a ainsi lancé le directeur Wayne LaPierre à Louisville. « Nous sommes en train de mener le combat de notre vie », corrobore le leader des républicains Paul Ryan, un soi-disant modéré qui cotise à la NRA depuis l'âge de douze ans. Les marchands d'armes ne se font pourtant guère d'inquiétudes pour l'instant : « Nous dégagerons de bien meilleurs profits si Hillary Clinton accède à la Maison-Blanche », souligne Michael Fifer, PDG du fabricant Sturm, Ruger & Co.

Avenir compromis à long terme

L'avenir de la NRA est certainement plus compromis à long terme. Les 80.000 personnes réunies à Louisville ne sont, de fait, plus vraiment représentatives de la population américaine. Tous blancs, ils habitent en zone rurale pour la plupart et affichent un niveau d'éducation plutôt faible. La population américaine est, elle, de plus en plus colorée, éduquée et urbaine. Les Noirs, Latinos et Asiatiques, qui soutiennent à plus de 75 % une restriction des armes à feu, vont ainsi bientôt surpasser les Blancs dans la population. Les diplômés et citadins sont eux aussi plus nombreux, qui rechignent à soutenir les « marchands de la mort ». C'est une préoccupation pour la NRA, qui risque de subir le même sort que le lobby des cigarettes : « Le tabac semblait une industrie sur-puissante dans les années 1990. Qui aurait imaginé que l'on interdise de fumer dans les lieux publics dix ans plus tard ? Dans un tout autre domaine, qui aurait imaginé la généralisation du mariage gay en si peu de temps ? » défend Andrew Patrick, dans son bureau situé à quelques centaines de mètres de la Maison-Blanche. « L a plus grande force de la NRA, c'est d'entretenir une perception du pouvoir qui va bien au-delà de son pouvoir réel », conclut-il. Si les anti-armes échouent encore au niveau fédéral, ils ont d'ailleurs obtenu de belles victoires au niveau local. Les gouverneurs de New York, du Maryland, du Colorado et du Connecticut ont restreint les ventes d'armes, en imposant un contrôle systématique de la santé mentale des acheteurs. Même dans ses fiefs historiques, la NRA commence à perdre des combats. Ultra-républicains, l'Alabama et la Caroline du Sud ont ainsi imposé des mesures encore impensables il y a une dizaine d'années, comme l'interdiction du port d'armes pour les personnes responsables de violence domestique. Une mesure de bon sens aux yeux d'un Européen, mais qui reste encore révolutionnaire de l'autre côté de l'Atlantique.

Les points à retenir

Les Etats-Unis comptent désormais plus d'armes à feu que d'habitants. Leur nombre s'établirait à 357 millions, pour une population d'un peu moins de 320 millions.

Considéré comme le lobby le plus puissant du monde, la National Rifle Association (NRA) a prouvé qu'elle était capable de faire tomber quiconque se mettait au travers de sa route.

A l'approche de l'élection présidentielle, l'organisation, qui affiche un budget annuel de 250 millions de dollars, a fait d'Hillary Clinton son adversaire numéro un.

Envoyée spéciale à Louisville (Kentucky) Lucie Robequain

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Derniers dossiers

Les élections européennes auront lieu le 9 juin 2024 en France.
Panorama

Sondage européennes 2024 : tous les résultats du baromètre Eurotrack

Le Salon de Pékin, qui compte 1.500 exposants sur une surface totale de 320.000 mètres carrés fait la part belle aux marques locales comme ici BYD.
Panorama

Plongée en Chine, dans le nouveau réacteur de l'automobile mondiale

0702365720970_web_tete.jpg
Panorama

Fin de vie : ce que veut changer Emmanuel Macron

Publicité