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Droit du travail: l'Elysée (très) loin d'être exemplaire

Vue aérienne du palais de l'Elysée.
Vue aérienne du palais de l'Elysée. Plus de 800 personnes travaillent pour la présidence de la République. © Charles Platiau / Reuters
Par Adrien Gaboulaud , Mis à jour le

Absence de représentation des salariés et flou des statuts autorisent la persistance d’une situation sociale délétère à l’Elysée. Un syndicaliste témoigne.

François Hollande voulait une «République exemplaire». En matière de droit du travail, la présidence de la République n’a rien d’un modèle. Certes, l’Elysée a réduit son train de vie ces dernières années et la Cour des comptes a salué ses efforts. Mais sur les questions sociales, la confusion semble être la règle. Patrick Pradier, président de la section de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) de la présidence de la République, dénonce depuis des années les abus. L’an dernier, il a témoigné dans «Marianne» des dérives à l’Elysée. Depuis la parution de cette enquête, rien n’a vraiment évolué. L’Elysée indique à Paris Match avoir fait beaucoup depuis 2012. Mais les demandes répétées de Patrick Pradier sont restées lettre morte.

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Le cas de ce responsable de la CFTC illustre le problème. Chef cuisinier venu du ministère de la Défense, il était chargé de la préparation et du bon suivi des repas des conseillers du Président depuis 1999. En 2008, il est désigné par la confédération représentant à l’Elysée. La lettre actant cette désignation -qui n’a rien à voir avec l’élection d’un représentant du personnel- a même été tamponnée par le chef du service financier et du personnel de l’époque. Deux ans plus tard, il est, selon ses propres mots, «répudié» et renvoyé au ministère de la Défense. Il reste pourtant président de la section CFTC de la présidence. A distance, il est resté en contact avec certains personnels, même s'il n'est évidemment plus le bienvenu à l'Elysée. Le syndicaliste a déposé plainte pour discrimination syndicale.

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Plus de 800 personnes travaillent pour la présidence, sans qu’une organisation officielle soit prévue

Évincer Patrick Pradier n’a pas posé de problème: il a simplement réintégré son corps d’origine. La «mise à disposition», très pratiquée dans l’administration, permet de se débarrasser de certains agents sans procéder à un véritable licenciement. Pour les agents civils de la présidence, ce système crée des difficultés. S’ils travaillent à l’Elysée ou dans un des autres sites rattachés à la présidence, comme le palais de l’Alma, quai de Branly à Paris, qui abrite notamment le service qui gère la correspondance de la présidence, ces salariés dépendent pour les élections professionnelles de leurs ministères d’origine. «Les personnels qui sont au service de la présidence ne sont pas dans leurs administrations. Il faut donc bien leur créer une instance sur place», pointe Patrick Pradier. «L’Elysée n’a pas de statut du personnel. Ceux qui y travaillent ne savent pas de qui ils dépendent», confirme le député apparenté socialiste René Dosière, spécialiste du train de vie de l’Etat.

Juillet 2012: François Hollande rend visite aux salariés de la correspondance présidentielle, installés dans le palais de l'Alma, quai Branly, à Paris.
Juillet 2012: François Hollande rend visite aux salariés de la correspondance présidentielle, installés dans le palais de l'Alma, quai Branly, à Paris. © FRED DUFOUR / AFP

A l’Elysée, rien n’est organisé: il n’y a pas de comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), ni de comité d’entreprise pour les salariés de droit privé. «Il n’y a pas de règlement intérieur de la présidence, il n’y a pas de statut, il n’y a rien. C’est quand même la maison du Président et il y a plus de 800 personnes», dénonce Patrick Pradier. L’Elysée indique qu’au 31 décembre 2015, les effectifs étaient de 806 agents, dont 660 mis à disposition et 146 contractuels, dont plus de la moitié sont de droit privé. Sans instances, les salariés ne sont pas représentés. «Une majorité des personnels continue à être gérée par leur corps d’origine, à la fois pour les mesures individuelles et les mesures collectives», répond-on à l’Elysée.

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Contre le harcèlement sexuel ou moral, aucune instance n’est prévue

Il y a pourtant des problèmes spécifiques à la présidence. «L'Elysée et ses annexes sont un milieu hostile pour les salariés. Il n’y a pas de sorties de secours pour le mess-restaurant, où déjeunent chaque jour environ 500 personnes; il n’y a pas de mesures préventives sur la sécurité et la santé au travail», pointe Patrick Pradier, l’élu CFTC. Dans leur livre «L’Elysée off», les journalistes Stéphanie Marteau et Aziz Zemouri présentent plusieurs exemples de dérives. Un haut fonctionnaire, responsable du service financier et du personnel, a ainsi été la cible d’accusations répétées de harcèlement. Ancien du mandat de Nicolas Sarkozy, l’homme avait été maintenu à son poste par la nouvelle équipe arrivée en 2012. Il a finalement été écarté. Un autre salarié a été écarté, pour des faits particulièrement graves -exhibition, attouchements, violences et vols- mais qui n’ont fait l’objet d’aucune poursuite pénale. Les Prud’hommes ont d’ailleurs considéré que cette absence de réaction de la part de la présidence impliquait que le licenciement était «sans cause réelle et sérieuse», comme le révélait «Marianne » l’an dernier. La présidence a été condamnée à lui verser plus de 26 000 euros d’indemnités. Face à ces comportements, Patrick Pradier demande la mise en place d’une cellule pour lutter contre le harcèlement sexuel et moral, sur le modèle de celle qui existe au ministère de la Défense.

Infographie: L'Elysée sous Hollande et sous Sarkozy

Au bas de l’échelle, la vie au palais peut donc tourner à l’enfer. Si les effectifs du cabinet changent sans cesse, les personnels de la présidence, eux, demeurent en place. «Certains sont nommés pour trois ou quatre ans à l’Elysée et ils se fichent de ceux qui ont trente ans d’ancienneté», s’agace Patrick Pradier.

L’Elysée assure que des mesures ont été prises

Indirectement, le palais confirme que tout n’est pas rose sous les dorures. «Quand nous sommes arrivés en 2012, un certain nombre de situations avaient un caractère urgent. Le commandement militaire a procédé à un recensement des postes de travail présentant un danger grave. En janvier 2013, un train de mesures a été mis en place», nous indique-t-on. Parmi ces mesures, un sous-officier de la brigade des sapeurs pompiers de Paris a été chargé de la prévention. «Son rôle est de faire de l’audit, notamment la vérification des machines-outils, des diagnostics techniques et un inventaire des équipements de travail.» De quoi faire s’étrangler Patrick Pradier, le syndicaliste: «Les pompiers ne sont pas compétents en la matière!» L’Elysée affirme également qu’il existe «un dialogue entre les services» pour «identifier les situations potentiellement dangereuses». Une convention a également été signée avec Matignon «pour un accès à la médecine».

Lettre de Patrick Pradier au président de la République

Des mesures cruellement insuffisantes, pour Patrick Pradier. En l’absence de désignation d’un CHSCT, il espère pousser l’Elysée à organiser des élections. «Il est lamentable que le dialogue social n'existe pas à l'Elysée. Le comité technique de la présidence de la République doit être crée, ainsi que le comité d’entreprise pour les personnels de droit privé», revendique le syndicaliste. «Si l’on veut faire la transparence, il faudra que les choses évoluent. Patrick Pradier a raison d’agir ainsi: c’est comme ça que les choses vont progresser», l’encourage René Dosière. En plein débat sur la réforme du code du travail, et à moins d’un an de la présidentielle, le Président sera-t-il plus réceptif? Il n’a jamais répondu à une lettre envoyée par Patrick Pradier en février 2015. En revanche, après nos sollicitations, la chef de cabinet du Président, Isabelle Sima, a envoyé un mail à Patrick Pradier. «Je n’avais jamais eu de contact avec elle», relève-t-il.

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