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"Salut les cons, passez-moi Staline-Martinez" : une journée au standard de la CGT

REPORTAGE - Alors que le mouvement contre la loi Travail se poursuit, le standard téléphonique de la CGT se retrouve assiégé d'appels de personnes insatisfaites. Le plus souvent sans faire dans la dentelle.

Axel Roux , Mis à jour le
Devant le siège de la CGT, à Montreuil.
Devant le siège de la CGT, à Montreuil. © Reuters

"Ça va faire une semaine que ça dure", râle Nickye, recroquevillée dans son fauteuil de bureau. Jeudi, au siège de la Confédération Générale de Travail, à Montreuil, le téléphone de l’accueil n'arrête pas de sonner. La standardiste prend une profonde inspiration avant de décrocher. "CGT, bonjour". Une voix nasillarde réplique du tac-au-tac : "Bonjour, je suis monsieur Connard, je viens m’inscrire à la CGT, je pense que j’y ai ma place", puis raccroche dans la précipitation. Nickye repose le combiné et sourit, un peu gênée : "Ça va, c’est gentil. D’habitude c’est plutôt : ‘Salope, on va venir vous démonter.’" 

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Plus de 2.000 appels en une journée

Une bonne dose de calme. Voilà ce qu’il faut désormais pour répondre au téléphone du syndicat en duel avec le gouvernement sur la loi Travail . Depuis le durcissement de la ligne Philippe Martinez (blocage des raffineries, grèves reconductibles à la SNCF, appel à "amplifier les mobilisations "), celui-ci est littéralement submergé d’appels. Vendredi 27 mai, pendant l'épisode de la pénurie de carburant, plus de 2.000 appels ont été enregistrés, rapporte Rafik Mansouria, responsable de l’accueil du siège de la centrale. Le plus souvent sans faire dans la dentelle.

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Un concentré de tension qui illustre la défiance que suscite le syndicat. Selon un sondage du Parisien, 63% des Français ont une mauvaise opinion de la CGT . Un climat d’exaspération qui se nourrit également d'absence de mesure de certains, comme le patron du Medef, Pierre Gattaz, qui a comparé les méthodes du syndicat à celles de "voyous" et de "terroristes"

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Entre bureau des plaintes, insultes et menaces, Nickye et Marie (les deux standardistes n’ont pas souhaité donner leur nom pour ne pas s’exposer davantage) sont aux premières loges d’un dialogue social plus que jamais grippé.

Motifs : "Insultes, essence, colère"...

Sur l’écran de la plateforme d’appel, on ne compte plus les numéros à six chiffres en train de clignoter. De toute manière, Nickye et Marie ont arrêté de compter. Il y a quelques jours encore, les deux standardistes noircissaient des pages et des pages avec les motifs des coups de fils relevés : "Insultes, essence, colère"… 

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Cliquez sur l'image pour voir un exemple de relevé d'appels

 

(Axel Roux pour le JDD)

"J’ai jamais connu ça", souffle Nickye entre deux appels. Elle décroche à nouveau. "Coucou les enculés, vous allez continuer à prendre la France en otage encore longtemps?", lance un homme avant de raccrocher aussi sec. Un autre, quinze secondes après : "Salut les cons, passez-moi Staline-Martinez". 

Au standard de la CGT depuis 1983, elle a eu son lot d'appels colériques à chaque conflit social. Ces derniers temps, elle l’assure, "c’est mille fois plus que d’habitude". Et pour cause, sur les réseaux sociaux, des messages incitent clairement à "faire sauter" le standard du syndicat. Un harcèlement qui n'est sans conséquence sur le moral des deux standardistes. "Les insultes, ça fait toujours mal. Vous avez beau faire, ça a dû mal à passer."

Du harcèlement passible de prison et d'amendes

Rappelons qu'en France, "le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité" est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende


Ce gigantesque défouloir frise parfois le cas psychiatrique. Comme avec cette personne qui appellera plusieurs fois pour chanter L’Internationale dans le creux du combiné :


"J’ai arrêté de compter les menaces de mort"

Si certains messages relèvent du canular potache - "Bonjour, je suis barbier, je viens raser la moustache de Martinez" -, d’autres sont en revanche plus inquiétants. "Mercredi, une personne a appelé pour dire qu’elle arrivait avec des copains pour tout casser", explique Marie, à l’accueil depuis une vingtaine d’années. La menace a été suffisamment prise au sérieux pour que le service d’ordre du siège soit réquisitionné et posté à l’entrée. 

Malgré tout, Marie relativise : "On en parle entre nous, mais ce n’est pas non plus la psychose". Nickye confirme : "J’ai arrêté de compter les menaces de mort. De toute façon, ils appellent mais ne viennent pas." Ce qu’elles redoutent plus en revanche, c’est qu’une personne mal intentionnée débarque sans préavis. Marie : "Il y a des caméras à l’entrée, si une bande arrive, la sécurité intervient vite. Par contre, un fou tout seul…"

Des témoignages très loin d'être anodins. En France, le fait de menacer quiconque de mort est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende

"Est-ce que vous pensez à vos enfants, Monsieur?"

En dehors des insultes et des menaces, quelques personnes appellent parfois pour parler du mouvement social. Jeudi après-midi, les soutiens se comptaient sur les doigts d'une main. Laissant le plus souvent deux visions du monde suspendues au bout du fil : 

Marie : "Vous avez des vacances, une retraite… Vous pensez que cela a été obtenu comment?

— Arrêtez, le contexte n’est pas le même. Vous pensez vraiment que les patrons licencient de gaieté de cœur?

— Ce que je sais, c’est que cette loi donne trop de pouvoir au patronat.

— Mais on ne peut plus rien réformer en France... Regardez, ailleurs, tout bouge dans les autres pays.

— Peut-être, mais est-ce que vous pensez à vos enfants, Monsieur? Vous aimeriez qu’ils soient des salariés jetables? Je suis à dix mois de la retraite, je pourrais très bien laisser faire. Eh bien non, je me bats pour eux. Pour leurs acquis.

— Les acquis, les acquis... Je vais vous dire : mes enfants, j'y pense tous les jours. Aujourd'hui, je suis sûr d'une chose. Au moins l’un d’entre eux ira faire carrière ailleurs qu’en France..."

Source: leJDD.fr

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