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Les chaînes d’info à l’aube d’une guerre sanglante

En l’espace de quelques mois, le marché des chaînes d’information est passé de deux acteurs à bientôt quatre, avec la nouvelle chaîne publique.

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En l’espace de quelques mois, le secteur a connu un vrai chamboulement : BFMTV et iTélé sont concurrencées depuis avril par LCI

Par Marina Alcaraz

Publié le 6 juin 2016 à 16:48

« Connais ton ennemi et connais-toi toi-même. » Les géants de l’audiovisuel pourraient relire « L’Art de la guerre », de Sun Tzu, alors qu’une véritable bataille se prépare sur le marché des chaînes d’information. En l’espace de quelques mois, le secteur connaît un vrai chamboulement : BFMTV et iTélé sont concurrencées depuis avril par LCI, qui vient de passer en gratuit tandis que la nouvelle chaîne publique en continu doit arriver le 1er septembre.

Et, c’est sans en compter d’autres comme Euronews et France 24, plus internationales. A moins d’un revirement de situation, suite aux recours qui ont été déposés au Conseil d’Etat — qui pourrait se prononcer dès cet été, selon nos informations —, le nombre d’acteurs est donc en train de doubler.

Une situation relativement atypique. Dans les grands pays européens, il n’y a qu’une ou deux chaînes gratuites, à l’exception de l’Allemagne (4), selon une étude du Conseil supérieur de l’audiovisuel. En outre, leur audience cumulée dans chaque pays dépasse à peine les 3 %, soit grosso modo l’audience en 2015 de BFMTV et iTélé (3,2 %).

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Dès lors, y a-t-il la place pour quatre chaînes d’info dans l’Hexagone ? Quelques voix se sont élevées pour s’en inquiéter. Des acteurs déjà présents, bien sûr, mais aussi quelques politiques, qui s’insurgent de l’utilisation de l’argent public. Pour France Télévisions, il ne fait aucun doute qu’il faut lancer la 4e.

« La France est le seul pays d’Europe où le service public n’a pas de chaîne d’info. Il ne faudrait pas qu’il n’y ait que de grands groupes tels que Bouygues [qui a LCI, NDLR], Bolloré [iTélé] et Drahi [BFMTV] qui soient présents », répond Germain Dagognet, directeur délégué à l’information.

Dotée d’un budget d’une cinquantaine de millions d’euros, quasiment autant que BFMTV (même si cela ne représentera au final qu’un coût supplémentaire de moins de 15 millions pour le groupe audiovisuel, l’essentiel se faisant par des redéploiements), la chaîne veut se distinguer par une volonté de décryptage. Conçue sans publicité, et avec la force de frappe de plusieurs groupes publics, elle part avec des atouts de taille.

Pour autant, il est encore difficile de bien cerner cette nouvelle venue. Si France TV indique vouloir gagner des parts de marché sur le Web, il n’a « pas d’objectif d’audience en linéaire, dans la mesure où ce sera une offre globale. D’ailleurs, l’audience ne sera pas mesurée par Médiamétrie au démarrage », répond Germain Dagognet.

Le cas LCI, qui cherche aussi à se distinguer par un positionnement d’analyse, donne quelques indications. Le premier mois, elle a réussi à grappiller 0,3 % puis 0,2 % en mai. Elle espère davantage avec le recrutement d’Yves Calvi, notamment. Sa maison mère, TF1, s’est donné jusqu’en 2019 pour atteindre le cap de 1 % et l’équilibre.

Mais même si l’on admet la nécessité d’avoir une chaîne publique, se pose la question de son ­incidence dans un secteur déjà très concurrentiel. Dans une étude d’impact, au moment d’autoriser LCI à passer en gratuit, le CSA n’a pas vraiment pris en compte la chaîne publique sur la TNT. Si, à l’époque, plusieurs dirigeants – à l’instar de Mathieu Gallet, président de Radio France – avaient commencé à parler d’une diffusion à la télévision, le projet était présenté comme d’abord numérique.

Seul BFMTV est rentable

Et le CSA a préféré s’en tenir à cette version. Un choix très contestable selon plusieurs spécialistes. « Il est clair que les conclusions auraient été très différentes… » grince un professionnel. « La régulation n’est pas faite pour empêcher l’équilibre de la libre concurrence », a indiqué récemment Olivier Schrameck, président du régulateur. Une façon élégante de dire que le meilleur gagne.

Force est de constater que les troupes ne sont pas au sommet de leur forme. Une seule est rentable : BFMTV. Mais la chaîne (2,2 % d’audience en 2015) a prévenu qu’autour de 1,5 % ses résultats plongeraient dans le rouge, et n’a pas hésité à agiter le chiffon rouge, menaçant de supprimer un quart de ses effectifs. iTélé, de son côté, doit enregistrer 25 millions de pertes en 2016 et a annoncé qu’elle allait se séparer de la plupart de ses CDD.

« Le marché publicitaire télé tourne autour de 3 milliards d’euros et l’audience n’est pas extensible à beaucoup plus que 3 %. Si l’on considère que 1 point d’audience représente 30 millions d’euros de chiffre d’affaires, il est clair qu’à quatre chaînes, s’il n’y a pas d’amélioration sensible, plusieurs sont condamnées à perdre de l’argent. A terme, au moins une pourrait fermer ou se vendre », s’inquiète Bruno Hareng, chez Oddo, se faisant l’écho de nombreux analystes. « C’est un véritable gâchis pour le téléspectateur », se lamente Alain Weill, patron de NextRadio TV (BFM).

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Toutefois, cela prendra toutefois du temps et le chemin sera ponctué de hauts et de bas. Ainsi, si LCI a « piqué » en avril de l’audience à BFMTV, cette dernière est remontée ensuite. En plus, les chaînes d’info sont appuyées par des groupes solides qui peuvent, un certain temps du moins, assumer une guerre d’usure.

« Aucun n’a intérêt à lâcher avant les élections, rappelle un spécialiste. Il ne faut pas oublier que les médias d’info restent des outils de prestige et, d’une certaine façon, d’influence où la rationalité économique fait moins sens. » Même si iTélé semble le maillon faible, Vincent Bolloré a assuré qu’il ne la vendrait pas.

Il voudrait la repositionner vers plus d’info sur le sport ou encore le cinéma. Il se murmure qu’il trouverait la rédaction trop de gauche. Surtout, l’attentisme règne en attendant de juger sur pièces la chaîne publique. « Si elle présente une vraie différenciation éditoriale, elle pèsera moins sur les chaînes existantes », relativise un observateur. Bref, si elle réussit son pari, elle permettra sans doute d’éviter une guerre sanglante. Au départ du moins…

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