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Récit

Arnaque au CO2 : retombée toxique pour Nétanyahou

Le Premier ministre israélien est soupçonné d’avoir reçu de l’argent d’Arnaud Mimran, personnage clé de l’affaire d’escroquerie à la taxe carbone jugée en mai à Paris. Scandale en Israël.
par Nissim Behar, Correspondant à Tel-Aviv
publié le 7 juin 2016 à 20h01

Il a fallu attendre trois mois pour que l'opinion israélienne s'intéresse aux «escrocs du carbone» dont l'un des procès - plusieurs autres ont déjà eu lieu - s'est tenu jusqu'à fin mai à Paris, avec un jugement prévu le 7 juillet. Et pour qu'elle découvre que le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, avait longtemps fréquenté l'«homme d'affaires» Arnaud Mimran, personnage clé de cette arnaque gigantesque, contre lequel le procureur a requis dix ans d'emprisonnement. Un «ami» qui l'invitait dans son somptueux appartement parisien et le recevait en vacances dans les Alpes et sur la Côte d'Azur au début des années 2000.

En mars, ces informations publiées par Mediapart associé au quotidien Haaretz n'avaient recueilli aucun écho dans l'Etat hébreu. Avant de passer à autre chose, le cabinet de Nétanyahou s'était contenté d'un vague communiqué démentant ces «affabulations» et assenant qu'il «n'avait jamais rien demandé ni rien reçu». Même attitude en avril, mais beaucoup plus virulente, lorsque les mêmes médias ont répercuté les propos de Mimran affirmant au tribunal français, mais sans se montrer plus précis, qu'il aurait offert «environ un million d'euros» à Nétanyahou pour financer ses campagnes électorales au début des années 2000. «Ce sont des mensonges d'un escroc qui cherche à s'en tirer», claironnaient alors les avocats du Premier ministre. Interviewé par Galeï Tsahal, la radio de l'armée israélienne, l'un d'entre eux n'y voyait qu'une «affaire creuse gonflée pour discréditer Nétanyahou». Certes, les chroniqueurs israéliens ne l'ont pas cru sur parole. Mais ils n'ont pas creusé plus profond.

Voyages

Tout change le 24 mai, lorsque le Contrôleur de l'Etat, l'équivalent israélien de la Cour des comptes, publie son rapport annuel. Un pavé comprenant un chapitre consacré aux déplacements à l'étranger effectués par Nétanyahou et ses proches au début des années 2000. Des voyages sujets à caution, puisque certains ont été payés deux fois par les organisations juives invitantes. Profitant des remous causés par l'affaire, la députée de l'opposition Ksenia Svetlova (Union sioniste, centre gauche) écrit deux jours plus tard au procureur général, Avichaï Mandelblit, pour lui demander de lancer des investigations. Elle insiste pour qu'il prenne contact avec la justice française à propos des déclarations de Mimran, dont personne ne se préoccupe vraiment jusqu'alors. Ce que le magistrat fait quelques jours plus tard, enjoignant le département international du parquet israélien à contacter son homologue français pour obtenir copie des propos du suspect confessant avoir donné de l'argent à Nétanyahou. «Il ne s'agit pas encore d'une enquête judiciaire, juste d'une information visant à examiner le matériel car rien ne dit que les déclarations de Mimran tiennent la route, affirme-t-on dans l'entourage de Mandelblit. Si c'est le cas, l'Unité 433 de la police [l'équivalent israélien du FBI] sera sans doute saisie, mais s'il doit y avoir des rebondissements, ce ne sera pas avant des mois.»

La démarche de Mandelblit auprès de la justice française est révélée dimanche par la chaîne de télé Canal 10. Le lendemain, Nétanyahou publie un troisième communiqué rappelant le contenu des précédents. Et y affirme, en substance, qu’il a quitté la vie politique en 2001 au moment des faits, et qu’il était alors une personne privée, libre de rencontrer qui il voulait. Fermez le ban.

Sauf que le cabinet du Premier ministre s'est vite senti obligé de publier un quatrième communiqué reconnaissant cette fois que Mimran avait versé «40 000 dollars au fonds public destiné à financer les activités de Nétanyahou en faveur d'Israël». Des conférences et actions de soutien menées par diverses organisations pro-israéliennes, alors que la deuxième intifada battait son plein et que l'image de l'Etat hébreu était au plus bas. Selon David Shimron, l'avocat chargé de ce fonds, la somme aurait été versée le 24 août 2001.

Battu par Ehud Barak aux élections générales de 1999, Nétanyahou était alors consultant pour le constructeur de matériel électronique BATM. Il parcourait aussi le monde pour délivrer des conférences facturées 60 000 dollars et disposait d’un compte ouvert en 1999 à la Royal Bank of Scotland de Jersey, un paradis fiscal.

Interviewé lundi par Canal 10, Mimran a juré qu'il avait versé 170 000 euros (l'équivalent d'un million de francs français à l'époque) sur le compte privé du futur Premier ministre, et non sur le compte du fonds public. «J'ai les documents bancaires, je suis prêt à les transmettre à la justice israélienne», a-t-il déclaré, proclamant son «amitié» pour le leader du Likoud, qui «portait si haut l'image d'Israël». Mardi soir, à la télévision, il faisait machine arrière, confirmant les dires de Nétanyahou.

Le Premier ministre israélien risque-t-il des ennuis judiciaires s'il s'avère que Mimran a bien versé de l'argent sur l'un de ses comptes privés ? «Pas sûr, car l'affaire est prescrite d'un point de vue fiscal et pénal. Mais elle risque de lui poser de gros problème au niveau de l'éthique», estime le professeur de droit Moshé Hanegbi. A ce propos, on se souviendra que le 28 mai 2000, la pression publique avait poussé le président de l'Etat d'Israël Ezer Weizman, un ex-général héros de la guerre des Six Jours, à la démission alors que le Contrôleur de l'Etat avait estimé «ne pas détenir de preuves suffisantes» d'un dossier l'accusant d'avoir accepté des «dons» en dollars versés par l'homme d'affaires français Edouard Saroussi.

Combine

Quoi qu’il en soit, Nétanyahou a continué à fréquenter son «ami» lorsqu’il a été promu ministre des Affaires étrangères (2002) puis des Finances (2003). Il l’a revu jusqu’au moment où il est redevenu Premier ministre en 2009. Cette année-là, Mimran a effectué une dizaine de visites dans l’Etat hébreu, et c’est à l’occasion de l’une d’entre elles qu’il a revu Nétanyahou pour la dernière fois. Une rencontre embarrassante pour ce dernier puisque le Français était alors impliqué jusqu’au cou dans l’escroquerie au carbone. Avec certains de ses complices présumés résidant une partie du temps en Israël, il s’y livrait à des opérations liées à cette combine.

Depuis 2006, la législation israélienne oblige les parlementaires et les ministres entrant en fonction à remettre la liste de leurs contributeurs électoraux, ainsi qu'une estimation de leurs biens où ils détaillent la provenance de leurs revenus depuis un an. Nétanyahou s'est soumis à cette obligation. Cependant, indépendamment des informations demandées par Mandelblit à la justice française, des investigations officieuses portant sur l'exactitude de ses déclarations sont déjà en cours. Interpellé sur le sujet par des journalistes israéliens mardi soir, lors d'un voyage à Moscou, Nétanyahou a balayé l'affaire, affirmant qu'il s'agissait de «poursuites politiques» : «Ce que l'on n'a pas réussi à obtenir par les urnes, on essaye de l'avoir de cette manière.»

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