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MexiqueChichihualco, le village qui vit des ballons de foot

Tous les habitants cousent les ballons; hommes, femmes, enfants dans ce village très pauvre du Mexique.

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A 72 ans, Virginia enfile habilement son aiguille dans le cuir synthétique d'un ballon de football. Comme beaucoup d'habitants de Chichihualco, au sud du Mexique, cette femme vit de cette activité difficile, qui se transmet depuis plusieurs générations.

Avec ses ruelles en pierres étroites et pentues, Chichihualco, village de 25'000 habitants, est enclavé dans les montagnes du Guerrero, l'un des États les plus pauvres et les plus violents du pays.

Depuis plus de 50 ans, cette petite localité fabrique des ballons devenus légendaires au Mexique. Comme Virginia Ramirez, des centaines d'habitants cousent ici à toutes heures de la journée.

«Nous cousons tous: hommes, femmes, enfants... Même mon mari! Il n'y a pas d'autre travail», raconte la vieille dame à l'AFP.

Des femmes se retrouvent sur la place principale, d'autres travaillent dans la rue, à l'ombre d'un arbre, ou encore restent chez elles, comme cette habitante enceinte qui travaille dans sa cuisine aidée par sa nièce de six ans qui lui tend les pièces à assembler.

Ni haricots, ni sel

Virginia a démarré cette activité il y a plus de cinquante ans, à l'âge de 17 ans. Ses doigts sont si aguerris qu'elle n'utilise même plus de dé à coudre pour se protéger des aiguilles. Elle peut fabriquer «jusqu'à cinq ballons par jour», assure-t-elle fièrement. Mais chacun d'eux lui rapporte seulement 50 centimes d'euros.

«Nous sommes très pauvres, nous n'avons ni haricots, ni sel. Nous n'avons rien», explique-t-elle, devant un modeste fourneau où elle réchauffe des tortillas de maïs pour les six enfants qui vivent dans cette maison.

La fabrication des ballons de Chichihualco a commencé dans les années 60 lorsqu'un certain Eulalio Alarcon a apporté de Mexico des pièces de cuir de ballons et demandé aux villageois de les assembler.

Des ateliers ont vu le jour, un à un, et certains se sont équipés de machines permettant d'imprimer puis de découper directement les pièces de cuir synthétique vouées à être cousues à la main par les habitants.

60'000 ballons par mois

Une fois assemblés, les ballons sont rapportés à l'atelier où ils sont retouchés puis gonflés.

Pendant quatre décennies, le village a travaillé pour des marques populaires au Mexique. «Ces ballons étaient même exportés», se souvient Alberto Morales, fondateur d'un des ateliers de Chichihualco.

La commune, au faîte de son activité, a compté jusqu'à 70 ateliers produisant 60'000 ballons par mois.

Mais cette époque est révolue. En quarante ans, Chichihualco a divisé par quatre sa production mensuelle de ballons, à 15'000, et il ne reste plus que 15 ateliers, indique le maire Alfredo Alarcon, qui possède lui aussi une usine de ballons.

Alberto Morales regrette l'époque florissante où la concurrence de ballons bon marché venus de Chine ou du Pakistan n'existait pas. «Notre activité stagne», déplore l'entrepreneur.

Son atelier produit désormais 1.200 ballons par semaine, tous de sa propre marque, «Don Beto», et vendus entre trois et cinq euros pièce.

«Nous ne pouvons pas produire plus car nous ne gagnons pas suffisamment pour investir dans des machines», dit M. Morales. «Pourtant les ballons chinois, quand tu frappes dedans, ils partent n'importe où!», affirme-t-il.

Jadis utilisés pour les matches du championnat de première division mexicaine et même par l'équipe nationale, les ballons de Chichihualco ne servent plus aujourd'hui qu'aux compétitions amateur. Et la sélection mexicaine frappe désormais dans des ballons importés.

Pression des narcotrafiquants

La concurrence asiatique, mais aussi le narcotrafic et l'émigration ont fragilisé l'activité de la commune.

La production de ballons ne représente plus que 20% des revenus du village contre 80% il y a 40 ans, selon le maire.

«Certaines personnes préfèrent aller cultiver le pavot dans les collines. Elles gagnent plus», explique Arturo Alarcon, un entrepreneur qui fabrique notamment des ballons fluorescents.

Dans cette région où le trafic de drogue est omniprésent, les cartels font pression sur les habitants pour qu'ils rejoignent leur commerce illicite et abandonnent les ballons. Et les règlements de comptes entre groupes criminels sont courants. En décembre dernier, 17 corps ont été retrouvés dans un ravin de la commune.

Dans ce contexte, nombre d'habitants préfèrent tenter leur chance aux Etats-Unis: «70% ont émigré là-bas et envoient de l'argent à leur famille», pour leur permettre de s'en sortir, ajoute-t-il, près de ballons à l'effigie de Spider-Man.

Aujourd'hui, 40 familles de Chichihualco se consacrent encore à la fabrication de ballons et 200 autres dans les communes avoisinantes. Des ateliers ont dû faire appel aux détenus de la prison locale pour poursuivre la production.

«Dix pesos par ballon, ce n'est pas grand-chose, n'est-ce pas?», commente Erasmo Flores, un paysan et musicien de 43 ans, qui coud depuis l'âge de six ans. «Ça ne suffit même pas pour le petit-déjeuner. Alors nous mangeons ce que Dieu nous donne...»

AFP