Géosciences

Il y a 2,8 milliards d'années, la pression atmosphérique était plus faible

L'analyse des traces de bulles de gaz emprisonnées dans de la lave très ancienne a permis d'estimer la pression atmosphérique pendant l'Archéen : elle était au moins deux fois plus faible qu'aujourd'hui.

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Il y a quelque 2,4 milliards d’années commençait la « grande oxydation », la libération dans l’atmosphère de grandes quantités d'oxygène produites par les cyanobactéries vivant dans les océans. Avant ce phénomène, pendant l’Archéen, c’est-à-dire entre 3,8 milliards et 2,5 milliards d’années, on pensait que l’atmosphère était pour l'essentiel un mélange d’azote, de dioxyde de carbone et de méthane aussi dense que l’atmosphère actuelle. Une vision erronée : avec des collègues, Sanjoy Som, de l'université de Washington à Seattle, vient de prouver qu’il y a 2,74 milliards d’années, la pression atmosphérique était inférieure à la moitié de sa valeur actuelle.

Sanjoy Som étudie depuis longtemps l'atmosphère des périodes anciennes de la Terre. Pour cela, il recherche des paléobaromètres, c'est-à-dire des enregistrements de phénomènes naturels dont il est possible de déduire la pression atmosphérique alors en vigueur. Déjà en 2012, avec une autre équipe, il était parvenu à exploiter la taille des cratères laissés par des gouttes de pluie sur un tuf (une roche à structure vacuolaire) en Afrique du Sud pour estimer la pression atmosphérique il y a 2,7 milliards d’années. Ses résultats indiquaient une pression maximale probablement comprise entre 0,52 et 1,1 atmosphère. L'incertitude sur la validité de cet encadrement provenait d'hypothèses sur l’atmosphère archéenne, supposée contenir 70 % d’azote et 30 % de dioxyde de carbone…

Avec une nouvelle équipe, Sanjoy Som vient cette fois d'utiliser un nouveau paléobaromètre : des empreintes de bulles de gaz volcanique conservées depuis 2,74 milliards d'années dans de la lave. Les chercheurs ont découvert les restes de ces épanchements basaltiques au sein du craton de Pilbara en Australie, un très ancien fragment de croûte terrestre. Lors d'une éruption volcanique archéenne, un flot de lave incorporant des bulles de gaz volcanique s'est solidifié. Tandis que les bulles juste sous la surface se trouvaient pratiquement à la pression atmosphérique, les bulles enfouies en profondeur subissaient en plus la pression hydrostatique de la lave. La position de ces bulles a été figée lors de la solidification, puis elles se sont progressivement remplies de minéraux, laissant des empreintes sphériques.

Or un simple calcul fondé sur la loi des gaz parfaits montre que la pression atmosphérique est égale à la pression hydrostatique créée par l’épaisseur de lave, divisée par l’accroissement du volume d’une bulle remontant sur toute l’épaisseur de lave multipliée par le volume de cette bulle en profondeur.

Pour exploiter cette formule, les chercheurs ont soigneusement sélectionné trois lames de lave formées en « plein air » contenant des bulles à deux profondeurs différentes. Après avoir scanné ces lames de lave par tomodensimétrie aux rayons X pour y mesurer les centaines d'empreintes de bulles, ils ont inféré le volume d'une bulle moyenne en bas et en haut des lames. La mesure de la densité des lames de lave a alors livré des estimations de la pression atmosphérique archéenne, à des incertitudes près qui dépendent de celles sur le volume d'une bulle moyenne, sur l’épaisseur des lames et sur la densité de la lave. À ces incertitudes près, les trois estimations obtenues sont proches de 0,23 atmosphère, ce qui confirme la limite calculée en 2012.

Ainsi, au contraire de ce que l’on pensait, l’atmosphère archéenne été ténue. Cela remet à l’ordre du jour une énigme scientifique que l’on croyait résolue : le « paradoxe du Soleil faible ». Pendant l’Archéen, notre astre était en effet moins brillant qu’aujourd’hui, si bien que notre planète aurait dû être un désert glacé et et inhabitable (si, du moins, l'atmosphère avait la même composition qu'aujourd'hui). Or de nombreux indices suggèrent au contraire que son climat était assez clément pour que l’eau y soit liquide. On expliquait ce paradoxe en invoquant un intense effet de serre dans une atmosphère aussi dense que l’actuelle. Cette explication tombe... et une nouvelle quête commence !

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François Savatier

François Savatier est rédacteur à Pour la Science. Il est l’auteur de Dernières nouvelles de Sapiens (Flammarion, 2021).

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Références

Sanjoy Som, D. C. Catling, J. P. Harnmeijer, P. M. Polivka, et coll., Earth's air pressure 2.7 billion years ago constraines to less than half of modern level, Nature geoscience letter, publié en ligne le 9 mai 2016.

S. Som, R. Buick, James W. Hagerdorn, Tim S. Blake, John M. Perreault, J. P. Harnmeijer et D. C. Catling, Air density 2.7 billion years ago limited to less than twice modern levels by fossil raindrop imprints, Nature vol. 484, pp. 359362, 2012.

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