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Forum Changer d'ère
Point de vue

Changer d’ère : comment partager le pouvoir ?

À l'heure du numérique, la manière d'exercer le pouvoir doit être repensée. Thierry Moulonguet revient sur les grands thèmes abordés lors de la dernière édition du forum "Changer d'ère".

Le 2 juin 2016 s’est tenu à la Cité des Sciences et de l’Industrie le quatrième Forum Changer d’ère. Cette rencontre, créée et organisée par Les Di@logues Stratégiques et parrainée par Joël de Rosnay, réunit des philosophes, des chercheurs, des acteurs de la vie économique, des journalistes pour échanger sur les transformations du monde, en regard notamment de l’émergence et de la diffusion des technologies numériques. Cette année, l’angle d’analyse plus précisément proposé était « l’empowerment » .  Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette édition très riche :

Une réflexion sur le pouvoir

C’est d’abord le passage de l’exercice solitaire du pouvoir à l’exercice solidaire du pouvoir. Chacun peut réaliser qu’à l’aune de la masse d’informations disponibles – le big data – on ne peut individuellement qu’accéder à une rationalité limitée. L’heure est à la coopération, à l’écoute et au partage. Comme le rappelait Jean-Dominique Senard, directeur général de Michelin, le 7 juin dans une interview aux Échos : “le rôle du chef d’entreprise est de donner un sens et tenir le cap, pas de tout contrôler ». Il s’agit pour lui d’agir comme un catalyseur de l’intelligence collective. Imposer ne donnera pas de grand résultat, il lui faut entraîner et convaincre.

“Comment reprendre le pouvoir sur soi et ne pas s’installer dans une forme de passivité face au flot d’informations qu’apportent en continu les supports numériques ?”

La réflexion s’est élargie aux implications pour chacun : comment reprendre le pouvoir sur soi et ne pas s’installer dans une forme de passivité face au flot d’informations qu’apportent en continu les supports numériques ? À nous de saisir toutes les occasions de reprendre les commandes : se nourrir, se soigner, se cultiver, améliorer l’environnement, créer… Autant de matière à décider, à contribuer, à partager. C’est une forme d’empowerment à portée de la main ! Joël de Rosnay l’explicite en recourant à la notion de « temps large », par opposition au temps long du projet et au temps court du quotidien, c’est-à-dire le temps que l’on peut capitaliser par sa manière de vivre pour exercer plus pleinement sa liberté. Par exemple, on capitalise du temps en déléguant ou en ne remettant pas à demain ce que l’on peut faire immédiatement.

Le bon usage du digital

L’accès démultiplié à la connaissance et le partage de celle-ci pour mieux décider et construire de nouvelles marches de progrès constituent une véritable rupture qui peut changer la donne pour le meilleur. La possibilité pour un agriculteur africain muni d’un téléphone mobile d’intégrer de nouvelles techniques de culture et de connaître le prix sur les marchés des produits qu’il cultive ouvre à l’évidence de nouveaux espaces de développement. Optimiser l’exploitation en temps réel des données sur les achats de ses clients permet à ZARA de développer une offre qui en fait une marque gagnante dans le monde. Le numérique conduit à un pilotage plus fin, en donnant la possibilité de corriger en permanence les écarts à la trajectoire et par là même d’aller plus loin et plus complètement dans la mise en œuvre des projets. Un recentrage s’opère sur les attentes du client et des employés, comme clé de la performance. La gestion ne peut plus se résumer au manager ou à l’actionnaire.

Les risques du tout numérique

Plusieurs tables rondes ont mis en évidence les risques de la dictature de l’émotionnel, illustrés par la diffusion des théories du complot ou les dérives du populisme. La perte du pouvoir des États devant l’influence des GAFA conduit à remettre sur le métier l’exercice du pouvoir de régulation et de lever l’impôt, qui sont des marqueurs de base de la souveraineté. Sébastien Bazin, Président du groupe Accor, a exprimé très clairement une réalité perçue au quotidien sur le marché de l’emploi : “Il va y avoir beaucoup plus de destruction d’emplois dans les grands groupes pour s’adapter à la transformation numérique que de création d’emplois dans les nouvelles activités issues de cette transformation. La gestion de la période de transition est un vrai défi collectif. »

“Le cœur de la mutation numérique est d’aller du pyramidal à l’horizontal, de la décision solitaire à la coopération.”

Chacun des participants a convergé sur l’idée que la ligne de défense essentielle était l’éducation et la culture. Il n’y a rien de plus important que de donner aux nouvelles générations le socle leur permettant de s’orienter dans ce nouvel univers, de faire leur miel de l’accès aux données plutôt que de se laisser noyer sous le flux, de rester attentif aux finalités. À Berkeley, les cours d’éthique et de philosophie sont obligatoires.

Où est l’étincelle française ?

Où est l’étincelle française qui, comme cela a été le cas à d’autres époques, donnera « le la » pour définir les nouveaux équilibres à construire ? Une participante d’origine russe résumait ainsi l’excellence française : “la combinaison d’une capacité de doute et de jugement critique, d’une forme d’hédonisme dans le goût du partage (la terrasse du bistrot), d’une balance tenue entre raison et passion”. Cet état d’esprit, que l’on retrouvait tout au long du forum, peut certainement contribuer à mieux définir les nouvelles frontières et esquisser les cheminements pour s’en rapprocher. Mais nous ne le ferons pas seuls : si une leçon doit être conservée de ces débats, c’est bien que le cœur de la mutation numérique est d’aller du pyramidal à l’horizontal, de la décision solitaire à la coopération. Voila un beau sujet pour une relance européenne.

Thierry Moulonguet

Thierry Moulonguet

Ancien directeur financier de Renault et de Nissan, Thierry Moulonguet est administrateur de Fimalac SA et directeur de publication de la Revue Des Deux Mondes.

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