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Libération
Chantage

L'ONU a cédé à la pression financière saoudienne

L'organisation a retiré l'Arabie d'une liste de pays responsables de la mort d'enfants.
par Hala Kodmani
publié le 9 juin 2016 à 20h19

«C'est l'une des décisions les plus douloureuses et les plus difficiles que j'ai eues à prendre», a avoué Ban Ki-Moon ce jeudi avec une franchise inabituelle: le secrétaire général des Nations unies fait référénce à la volte-face de l'ONU, sous la pression de l'Arabie Saoudite. Épinglé sur une liste noire de l'organisation pour sa responsabilité dans la mort de centaines d'enfants au Yémen, le royaume a réussi à faire retirer de la liste le nom de la coalition militaire qu'elle dirige (Emirats arabes unis, Bahreïn, Qatar...).

La semaine dernière, dans un rapport annuel sur le sort des enfants victimes de conflits armés en 2015 dans 14 pays, l'ONU avait accusé la coalition d'être responsable à 60 % du bilan de 785 enfants tués et 1 168 mineurs blessés en 2015 au Yémen. « Un chiffre très largement exagéré», avait réagi lundi l'ambassadeur saoudien auprès de l'ONU. «Il a pu y avoir des dommages collatéraux de temps à autre mais c'est ce qui se passe en temps de guerre», avait-il argué en exigeant que le rapport «soit rectifié immédiatement» et expurgé de toute accusation contre son pays. Exigence satisfaite 24 heures après. La mention de la coalition est retirée de la liste noire pour «révision», selon le porte-parole de l'ONU. L'ambassadeur de Ryad s'en est aussitôt réjoui tandis que les médias saoudiens saluaient le travail de leur grand diplomate.

Réaction indignée des organisations de défense des droits de l'homme. Une vingtaine d'entre elles, dont Amnesty International, Oxfam, Human Rights Watch ont adressé mercredi une lettre ouverte à Ban Ki-Moon lui demandant de remettre la coalition militaire menée par l'Arabie saoudite sur sa liste noire et dénonçant la crédibilité de l'ONU. Une telle volte-face sous la pression d'un gouvernement «rend dérisoires les efforts de l'ONU pour protéger les enfants», avait estimé le représentant de Human Rights Watch.

L’Arabie Saoudite avait exercé en effet une double pression politique et surtout financière. Son ambassadeur a clairement dit que les négociations de paix au Yémen en cours entre le gouvernement yéménite, que soutient la coalition, et les rebelles chiites houthis risquaient d’en pâtir. Dans le même temps, Riyad a menacé de couper plusieurs financements aux agences et programmes de l’ONU, notamment l’UNRWA qui aide les réfugiés palestiniens et connaît de graves difficultés. Les Saoudiens ont aussi mobilisé à leurs côtés d’autres pays de l’Organisation de la coopération islamique et de la Ligue arabe, parmi les très généreux contributeurs et donateurs de l’ONU.

La menace de couper les financements a été décisive, reconnait Ban Ki-moon. Un aveu rare de la part du numéro un de la diplomatie mondiale, qui, il est vrai, termine son dernier mandat dans quelques mois.

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