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Marita Lorenz, l'espionne qui aimait Fidel Castro est morte

Marita Lorenz, 76 ans, dans le penthouse de l'hôtel The Quin, à Manhattan. En médaillon: sa première rencontre avec Castro, en janvier 1959, à bord du "Berlin".
Marita Lorenz, 76 ans, dans le penthouse de l'hôtel The Quin, à Manhattan. En médaillon: sa première rencontre avec Castro, en janvier 1959, à bord du "Berlin". © Sébastien Micke/Paris Match. Médaillon: Sipa.
De notre correspondant à New York Olivier O'Mahony , Mis à jour le

Maîtresse du dictateur cubain à 19 ans, Marita Lorenz avait été "retournée" par la CIA pour l’assassiner. Décédée à l'âge de 80 ans, elle nous avait raconté cette aventure extravagante.

Paris Match. Comment une jeune Allemande née en 1939 rencontre-t-elle Fidel Castro en 1959 ?
Marita Lorenz. Mon père était capitaine de navires de croisière. Il commandait le “Berlin” qui, début 1959, a accosté au port de La Havane. Le lendemain de notre arrivée, j’ai vu s’approcher de nous des petites vedettes remplies de types barbus, armés, en uniforme kaki. J’ai remarqué le plus grand, qui fumait un cigare, et lui ai demandé ce qu’il voulait. “Monter sur le bateau, pour regarder”, a-t-il répondu. J’ai dit : “OK, monte.”

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Que se passe-t-il alors ?
Je lui fais visiter le bateau, de la salle des machines à la première classe. Il me demande où est ma cabine. Et une fois la porte ouverte, il me pousse à l’intérieur, m’étreint et m’embrasse. Mon premier baiser avec un homme...

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Vous êtes-vous sentie violée ?
Pas du tout. J’étais subjuguée. Fidel dégageait une telle force ! Nous n’avons pas fait l’amour, mais presque. J’ai tout de suite eu envie de le revoir.

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Comment vous êtes-vous retrouvés ?
J’étais rentrée à New York, où j’habitais avec mon frère Joe. Un jour, le téléphone sonne. C’est Fidel qui m’invite à La Havane. Je réponds immédiatement oui ! Le lendemain, j’étais dans un avion de Cubana Airlines. A l’époque, c’était possible : Fidel ne s’était pas encore rapproché de l’URSS et les ponts avec les Etats-Unis n’étaient pas coupés.

Aviez-vous peur ?
J’étais terrifiée, mais exaltée aussi.

Que disaient vos parents ?
Je ne leur ai rien dit.

Comment Fidel vous a-t-il reçue ?
Il m’a accueillie en me faisant tournoyer dans ses bras. Je suis restée huit mois et demi, de mars à novembre 1959.

Où viviez-vous ?
Dans la suite 2408 du Hilton, où il logeait. Son frère Raul et Che Guevara occupaient les chambres d’à côté. Dès mon arrivée, nous avons fait l’amour.

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Fidel n'était pas un très bon amant. Il adorait se regarder dans la glace en se caressant la barbe

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Quel genre d’amant était-il ?
Ce n’était pas un très bon amant. Il était plus intéressé par les caresses que par l’acte sexuel proprement dit. Mais ils sont tous comme ça, ces dictateurs.

Comment ça ?
J’ai eu une liaison avec Marcos Perez Jimenez, l’ancien homme fort du Venezuela. C’était pareil. Fidel était un narcissique. Il adorait se regarder dans la glace en se caressant la barbe. Il manquait de confiance en lui ou, plutôt, il avait besoin d’être rassuré, cajolé. Un petit garçon.

Est-ce le ressentiment qui vous fait parler ?
Non, parce que je ne lui en veux absolument pas, au contraire ! A côté de lui, j’avais l’impression d’être une reine. Il me disait : “Tu es la First Lady de Cuba.” Fidel reste le grand amour de ma vie.

Comment était-il au quotidien ?
Il n’avait pas de routine. Il partait sans prévenir ni dire pourquoi. Il était aussi très drôle. Nous adorions nous moquer des touristes que nous observions du haut de notre fenêtre, au 24e étage.

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Je savais qu'il avait des aventures, mais il revenait toujours

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Avez-vous parlé mariage ?
Non. Il m’a prévenue d’emblée qu’il ne fallait pas songer à l’épouser. “Je suis marié à Cuba”, me disait-il. Il me rendait dingue de jalousie. Je savais qu’il avait des aventures, mais il revenait toujours. Je n’allais pas jouer les capricieuses, lui mettre la pression. Avec Fidel, ça ne marchait pas, c’était lui qui décidait.

Vous tombez enceinte, très vite. Comment réagit-il ?
Il semble complètement perdu, puis il me dit : “Tout va bien se passer.” Il tente de calmer ma surexcitation.

En mai 1959, enceinte, vous rencontrez un homme : un certain Frank Sturgis. Racontez-nous…
Ça se passe à l’hôtel Riviera. Cet homme, que je ne connais pas, m’approche et me dit qu’il peut me faire sortir de l’île. J’ai décliné. Il se présente comme un Américain allié de Fidel. Ce que je ne savais pas à l’époque, c’est qu’il était un proche de la Mafia, dont il défendait les intérêts – et les casinos – sur l’île. Il jouait double, triple, quadruple jeu. Il avait aussi des liens avec Batista, l’ex-dictateur que Castro avait renversé, et avec la CIA qui considérait Cuba comme une colonie de l’Amérique. Plus tard, en 1972, Sturgis a fait partie du gang des plombiers qui ont posé des micros dans le QG démocrate à Washington et déclenché l’affaire du Watergate. Quand j’ai dit à Fidel que je l’avais rencontré, il m’a ordonné, furieux, de ne plus jamais le revoir.

C’est ce Frank Sturgis qui vous fait découvrir l’univers du contre-espionnage et de la CIA.
Oui, sans que je m’en rende compte. Il me disait qu’il pouvait m’aider et il me demandait plein de services en retour. Pour me débarrasser de lui, j’ai fini par lui donner des courriers que Fidel jetait dans la poubelle et qui n’avaient, selon moi, aucun intérêt. Ça avait l’air de le satisfaire.

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Je n'ai jamais su par qui ni pourquoi j'avais été empoisonnée

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En octobre 1959, vous buvez un verre de lait et vous vous écroulez. Avez-vous été empoisonnée ?
Oui, mais je n’ai jamais su par qui ni pourquoi. Fidel était absent. Un de ses proches m’emmène aux urgences puis organise mon rapatriement par avion à New York. Je ne me souviens de rien. Tout ce que je sais, c’est que je me suis réveillée dans une chambre de l’hôpital Roosevelt, à Manhattan, dans un état second.

Et votre enfant ?
Il m’a été dérobé. On a dit que j’avais subi un avortement parce que le gynécologue de New York avait cru à un accouchement forcé. C’était faux. J’étais quasiment à terme et mon enfant est né quand j’étais dans le coma à Cuba. C’est un garçon. Il a grandi là-bas et s’appelle Andres Vazquez.

Comment pouvez-vous en être sûre puisqu’il n’existe aucune photo de lui ?
Parce que je l’ai vu, en 1981, quand je suis allée revoir Fidel pour la dernière fois, après vingt ans d’absence. Et la seule photo de lui que j’avais, je l’ai perdue.

Racontez ces retrouvailles…
Il a accepté de me recevoir mais il n’avait pas l’air ravi. Je l’ai supplié de me présenter notre enfant. Alors il a ouvert la porte et Andres est apparu. Il ressemblait à Fidel. Ses mains, son visage étaient identiques. Je lui ai donné les cadeaux que j’avais apportés, il m’a dit qu’il étudiait la médecine. Je n’arrêtais pas de pleurer.

Avez-vous gardé le contact avec votre fils ?
Au début oui. Je lui envoyais des lettres. Je pense qu’il les a lues. De mon côté, j’ai reçu une enveloppe provenant de l’adresse qu’il m’avait donnée. Quand je l’ai ouverte, elle était vide.

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J'ai rejoins les rangs anticastristes malgré moi

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Revenons sur votre retour de Cuba, fin 1959. Vous écrivez dans votre livre avoir rejoint les rangs anticastristes. Pourquoi ?
Pendant ma convalescence, j’ai reçu la visite de types du FBI qui m’ont raconté des horreurs sur Fidel. Ils ont progressivement gagné ma confiance. Ma mère était de leur côté. C’était une actrice, mais elle travaillait aussi pour eux. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle avait commencé à collaborer avec le contre-espionnage américain et elle n’a jamais décroché. Elle accusait Fidel de m’avoir violée. J’étais naïve, amoureuse, mais démolie. J’ai rejoint les rangs anticastristes, malgré moi, et j’y ai retrouvé Frank Sturgis qui, entre-temps, était revenu aux Etats-Unis. Il m’a accueillie en me disant : “Bienvenue à bord.”

Et il vous a envoyée assassiner Fidel, début 1961.
Exactement. Je suis partie en avion. J’avais toujours la clé de la suite 2408, où il continuait d’habiter. J’y suis entrée et Fidel est arrivé peu après. Il a lancé : “Oh, ma petite Allemande !”

Lui avez-vous dit que vous étiez venue pour le tuer ?
Oui. Mais il le savait déjà. Il m’a tendu son pistolet, que j’ai empoigné. Droit dans les yeux, il m’a dit : “Nul ne peut me tuer.” Il avait raison. J’ai lâché l’arme et me suis sentie libérée d’un poids.

Vos commanditaires ne devaient pas être ravis !
Ils étaient furieux. Ils m’ont expliqué que si j’avais réussi mon coup, ils n’auraient pas eu à lancer l’opération de la baie des Cochons [tentative d’invasion de Cuba qui a tourné au fiasco en avril 1961].

Mais vous êtes néanmoins restée liée aux milieux anticastristes.
Oui. J’étais devenue espionne. Quand on commence, on n’arrête pas. Je vivais à Miami, comme Lee Harvey Oswald, l’homme accusé d’avoir assassiné John F. Kennedy .

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Je me méfiais d'Oswald, il ne m'aimait pas non plus

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A quelle occasion avez-vous rencontré Oswald ?
A une soirée chez les anticastristes. Ils parlaient ouvertement de leur haine envers Kennedy. Ils l’accusaient d’avoir fait échouer l’opération baie des Cochons en ne fournissant pas l’appui aérien promis. Oswald était là. C’était un prétentieux, solitaire. Je me méfiais de lui. Il ne m’aimait pas non plus.

Est-il l’assassin de JFK ?
Il était impliqué, mais il n’était pas le seul tireur. Selon moi, il y en avait un autre.

Pourquoi ?
Parce que j’ai participé à un convoyage d’armes, de Miami à Dallas. A notre arrivée, j’ai vu Jack Ruby [l’homme qui a assassiné Lee Harvey Oswald] qui nous attendait. On m’a demandé de repartir, et j’ai appris l’assassinat du président dans l’avion. Pour moi, il y a eu complot.

La commission spéciale de la chambre des Représentants, qui a rouvert l’enquête sur l’assassinat de Kennedy, vous a entendue en 1978. Elle a pourtant décidé de ne pas retenir votre témoignage.
Je sais. Mais je maintiens. Ces fusils étaient destinés à tuer le président. C’est ce que j’ai entendu pendant le trajet.

De quoi vivez-vous aujourd’hui ?
De rien. Toute ma vie a été mêlée, directement ou indirectement, au service du contre-espionnage, soit via mes amis mafieux, soit au travers de sociétés de sécurité et de détectives privés comme Wackenhut, proche de la CIA. Aujourd’hui, j’habite dans un trou à rats dans le Queens, un demi sous-sol, avec mon chat, mon chien, ma tortue et mon poisson orange. Je n’ai qu’une hâte : partir.

A 76 ans, que pouvez-vous espérer ?
Je veux retourner en Allemagne avec mon fils Mark, qui a 46 ans. Il a un job qui l’attend là-bas. Il va diriger un musée consacré au contre-espionnage. 

« J’étais l’espionne qui aimait Castro », par Marita Lorenz, éd. First.

Photo de Marita Lorenz prise à l’hôtel The Quin, à Manhattan, à New York, www.thequinhotel.com 

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