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Politique

Le Brexit serait un désastre pour l'Europe mais personne n'ose le dire!

On peut aimer l’Europe tout en étant sévère à l'égard de son fonctionnement. Devant le silence des discours pro-européens, celui des anti-européens s'est d'autant plus fait entendre. Et seul l’éloge de l’Europe pourrait faire dire aux Britanniques non au Brexit.
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Europe
L’Union européenne et ses Etats membres sont en proie à une crise multiforme
CATERS NEWS AGENCY/SIPA

Quand, en 2013, David Cameron commence à évoquer le principe d’un référendum sur l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’Union Européenne, sur son blog Alain Juppé estime qu’il s’agit là "d’une occasion historique pour aller au fond des choses" et nourrit l’espérance d’un "débat fondamental". Hélas, ce débat n’a pas eu lieu et n’aura probablement pas lieu d’ici le scrutin du 23 juin.

Bien sûr, de l’autre côté du Channel, c’est une véritable campagne électorale qui occupe les médias et les conversations. Et, il est juste de dire que dans le pays la bataille fait rage. Le rebond, au dernier moment, des inscriptions sur les listes électorales témoigne d’une mobilisation certaine des Britanniques. Mais, le refus de David Cameron, l’homme du maintien, d’affronter directement, en face à face, Boris Johnson et Michael Gove, les deux grands tenants conservateurs du Brexit, ou Nigel Farage le chef de l’Ukip et champion du leave, ainsi que l’étrange discrétion du leader travailliste Jeremy Corbin favorable au stay, réduisent le débat à son expression la plus simpliste et la plus caricaturale. L’Union Européenne c’est Hitler et Napoléon, crie Boris Johnson. Les plus heureux en cas de sortie de l’Union européenne seraient Poutine et Al-Baghdadi rétorque David Cameron ! Signe de l’ampleur de la démagogie ambiante, une députée conservatrice a récemment quitté le camp des leave en se disant écoeurée par l’énormité des mensonges proférés.

Côté Europe continentale, le mot d’ordre est prudence et retenue. Pour ne pas dire évitement. La seule Europe qui vaille est celle de l’Euro de football. Où est le débat fondamental annoncé par Alain Juppé? En dehors des échanges de notes d’experts au sein des think tanks européens, il n’est nulle part. Comme si nous n’étions pas concernés.

Et pourtant, la sortie de la Grande Bretagne de l’Union Européenne ne pourrait que provoquer une fragmentation accrue de l’Europe. Dans plusieurs pays, les partis d’extrême droite demanderont eux aussi la tenue d’un referendum sur le maintien dans l’Union Européenne. Il est probable que le premier à s’exprimer en ce sens sera le Front National. Face aux défaillances, réelles, de l’Union Européenne, et à l’eurosceptiscisme, logique, des opinions publiques, il pourrait être difficile de résister.

Un silence assourdissant malgré les risques encourus

Et pourtant, la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union Européenne compliquerait terriblement l’indispensable coopération entre Etats sur les questions de sécurité, qu’elles soient liées au crime –la Grande Bretagne devra quitter Europol-, au terrorisme ou aux multiples conflits régionaux, de l’Ukraine à la Syrie.

Et pourtant, la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union Européenne affaiblirait la possibilité d’une véritable stratégie européenne dans l’énergie, enjeu économiquement et géopolitiquement vital.

Et pourtant, la sortie de la Grande Bretagne de l’Union Européenne serait un choc négatif majeur pour l’économie des pays membres de l’OCDE, en particulier les pays européens, selon les mots du secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria. Même si la BCE se prépare à intervenir sur les marchés dès le 24 juin en cas de victoire du leave, l’impact lourd sera perceptible progressivement et durablement.

En dépit de ces graves dangers, Angela Merkel reste silencieuse, François Hollande se contente de rappeler l’étroitesse des liens qui unissent les Britanniques à l’Europe. Quant à Matteo Renzi, il estime qu’une sortie serait catastrophique pour les Anglais mais pas du tout pour les Italiens!

Désirer l'Europe en toute conscience de ses manques

C’est le scenario tragique du référendum français de 2005 qui se met en place: une campagne électorale viciée par des considérations de politique intérieure (ici le leadership du parti conservateur), une incapacité des Britanniques pro-européens à assumer et à expliquer les raisons de leur engagement, et un refus général des leaders européens à entrer dans la discussion de peur de favoriser les partisans du Brexit. Cette attitude est d’ailleurs probablement dictée par les Anglais eux-mêmes. Il y a un peu plus d’un an, j’avais envisagé de lancer une grande pétition européenne pour dire à nos amis britanniques "stay with us !". L’ambassadeur de Grande-Bretagne en France, Sir Peter Ricketts, m’avait persuadée des risques d’effet boomerang d’une telle initiative. J’y ai renoncé à regrets.

Jacques Delors expliquait qu’on ne pouvait pas tomber amoureux d’un marché unique. C’est tellement vrai! Mais on peut aimer l’Europe, ses valeurs, son humanisme, sa culture! On peut être sévère – je le suis - sur le fonctionnement tant du Conseil que de la Commission, et désirer l’Europe! L’absence de cri du coeur pro-européen[1] conduit au désert européen. Il serait temps de relire René Girard: le désir est mimétique. Les anti-européens l’ont compris. A parler fort, à hurler contre, ils suscitent l’hostilité à l’égard de l’Europe. Seul l’éloge de l’Europe, comme Erasme le fit en son temps, pourra faire dire aux Britanniques et à tous les Européens: Europa, mon amour.

[1] A l’exception notable de celui de Denis Macshane, Let’s stay together, aux éditions IB.Tauris

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