Christo, l'artiste des grands travaux

Voilà maintenant plus de cinquante ans que Christo emballe la planète. Il expose aujourd'hui à la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence et dresse un pont flottant sur le lac d'Iseo en Italie.

Par Sabrina Silamo

Publié le 12 juin 2016 à 10h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h46

Grâce à lui, on pourra bientôt marcher sur les eaux du lac d'Iseo en Italie. A Saint-Paul de Vence, un Mastaba, imaginé par Christo et Jeanne-Claude (1935-2009) en 1967, et « réactivé » dans la cour Giacometti de la Fondation Maeght, surgit au-dessus du toit, telle une mer ondulante de barils bleus et rouges. Mais qui est l'artiste qui utilise le baril, unité de mesure liée au pétrole, pour bâtir un monument qui s'élève vers le ciel ?

Dans les années 1960 débute l'époque des premiers empaquetages, un arbre à Eindhoven ou une sculpture du jardin de la villa Borguèse à Rome. Symbole de prise de possession de l'espace, ces interventions deviennent rapidement de plus en plus colossales, mais restent éphémères. « Les draperies ont depuis toujours fascinés les artistes, déclare Christo. On peut lire les époques à travers les plis, anguleux pour les sculptures gothiques, plus arrondies pour les sculptures baroques comme celles du Bernin ou de Michel-Ange ». La toile devient donc l'un des matériaux favoris de l'artiste avec lequel il s'approprie, drape et colore des édifices chargés d'histoire tels le Pont-Neuf de Paris en 1985 (40 000 mètres carrés de polyamide seront nécessaires) ou dix ans plus tard, le Reichstag de Berlin. « Mon oeuvre a plus de similitude avec l’architecture qu’avec un quelconque mouvement artistique, affirme Christo. D'abord, je “deale” avec l’espace contrairement à un artiste qui se contente d’utiliser l’espace. Ensuite, je suis confronté aux mêmes contraintes qu’un architecte en ce qui concerne la logistique, le financement ou les complexités administratives liées à mes projets ». Ces empaquetages feront la renommée de Christo et Jeanne-Claude, son épouse, avec laquelle il travaille et signe toutes ses oeuvres.

Un sculpteur in situ

Christo milite pour la liberté (dont il a cruellement manqué durant les années de plomb vécues dans son pays natal sous la tutelle communiste de l'URSS), et contre la propriété. Il choisit la nature pour exposer ses projets, lui donnant « une dimension sculpturale nouvelle ». Certes, comme les artistes du Land Art, il compose avec les paysages mais jamais n'utilise des éléments trouvés sur place pour la valoriser. « Moi, je ne fais pas de Land Art, proteste-t-il. Je ne joue pas avec l’abstrait, mais avec le concret. ». Ainsi, en 1972, il tire un rideau de nylon de 13 000 m2, couleur safran, long de presque un demi-kilomètre et haut de 60 mètres, dans une vallée du Colorado (Valley Curtain) ou pose une ceinture de polypropylène rose autour des onze îlôts de la baie de Biscayne en Floride (Surrounded Islands) en 1983. Ces œuvres in situ sont uniques et ne sont présentées qu'une seule fois, même si leur production exige d'importants montages financiers. Pour exemple, The Umbrellas qui tracent une ligne du Japon aux Etats-Unis à l'aide de 3100 parasols bleus (comme l'eau des rizières au nord de Tokyo) et jaunes (comme le sable du désert au nord de Los Angeles) coûta au couple 26 millions de dollars en 1991. Une somme que Christo et Jeanne-Claude assumèrent entièrement en vendant les dessins préparatoires (jusqu'à 200.000 euros l'esquisse), collages, maquettes ou lithographies.

Un éternel utopiste

22 projets réalisés et 37 refusés : tel est le palmarès de Christo et Jeanne-Claude en cinquante ans de carrière. Parmi les œuvres non-abouties, le Mastaba d'Abu Dhabi, imaginé dès 1977, que l'artiste de 81 ans ne désespère pas de mener à terme. Quatre cents fois plus gros que la version exposée à la Fondation Maeght, l'édifice aux 410.000 barils deviendrait la sculpture la plus haute au monde (150 mètres). C'est l'histoire de ce projet pharaonique que raconte l'exposition de la fondation Maeght à l'aide de sculptures, maquettes, esquisses et photographies.

De l'autre coté des Alpes, à une cinquantaine de kilomètres de Milan, Christo a dressé un pont flottant de trois kilomètres (The Floating Piers). Cette passerelle, qu'il a drapée d’un tissu mordoré, permet au visiteur de se rendre de la berge jusqu'à l'île de Monte Isolo (d'ordinaire accessible uniquement par bateau). Et c'est ainsi, que du 18 juin au 3 juillet, grâce à l'artiste qui emballe la planète depuis près de 60 ans, il sera possible de marcher sur l'eau.

Christo en 10 dates
1935 : Naissance de Christo Vladimirov Javacheff, à Gabrovo (Bulgarie)
1953-56 : Etudie la peinture, la sculpture et l’architecture aux Beaux Arts de Sofia
1957 : Fuite vers l'Ouest, via Prague puis Vienne
1958 : Rencontre son épouse Jeanne-Claude (1935-2009) et début de leur collaboration artistique
1964 : Le couple émigre aux Etats-Unis
1968 : Empaquetage de la Kunsthalle de berne et réalisation d'un Mastaba à Philadelphie
1977 : Début du projet du Mastaba d'Abu Dhabi
1985 : Empaquetage du Pont-Neuf
1999 : mur de 13000 barils au gazomètre d'Oberhausen
2016 : Réalisation d'un Mastaba à Saint-Paul de Vence et d'un ponton flottant sur le lac Iseo

Christo et Jeanne-Claude, jusqu'au 27 novembre. Fondation Maeght, 623 chemin des Gardettes, Saint-Paul-de-Vence. Tél. : 04 93 32 81 63. www.fondation-maeght.com

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