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Brigades internationales : Belges, volontaires et oubliés

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Un livre et un documentaire retracent le périple de deux jeunes frères anversois partis dans les rangs des Brigades internationales pour combattre les troupes du général Franco, en 1936. Leur histoire reste méconnue, chez nous, comme celle des infirmières de l’hôpital El Belga. Alors qu’elles suscitent l’admiration en Espagne.

On dirait Arthur Rimbaud, sur la fameuse photo du poète prise par Carjat. Il est beau, grand, mince. On est au mois d’octobre 1936, et Piet Akkerman a 23 ans. Il vient de rejoindre les Brigades internationales, qui luttent contre les franquistes en Espagne. Son frère aîné, Emiel, 28 ans, a rallié l’armée républicaine dix jours plus tôt. La guerre civile y a commencé en juillet. De Tolède à Madrid, de Séville à Malaga, « on fusille comme on déboise », comme l’a écrit Saint-Exupéry. Il sera cruel, ce conflit, massacrant, et se terminera le 1er avril 1939 par la victoire complète des franquistes soutenus par la légion Condor allemande et le corps italien des troupes volontaires sur une armée républicaine épuisée, conseillée par les Soviétiques.

En 1936, Piet Akkerman compte déjà plus de six ans de militantisme pur et dur. A 17 ans à peine, à Anvers, il est arrêté sur son vélo, une pancarte attachée sur la poitrine dénonçant les écarts salariaux : « Nous, les jeunes, exigeons un salaire égal pour un travail égal. » Son terreau politique, ce sont les jeunesses socialistes sionistes, Hachomer Hatzaïr, qui préparent les recrues à l’émigration et à la vie en kibboutz en Palestine. Quelques mois avant son départ pour l’Espagne, le petit ouvrier mineur-scieur prenait la tête de la plus grande grève que l’industrie diamantaire belge, particulièrement touchée par la crise, ait connue durant l’entre-deux-guerres. Puis, à 21 ans, il dirige la section belge du Secours rouge international, créé dans l’orbite communiste, qui fournit une assistance aux prisonniers politiques. Il faut se rendre à l’évidence : Piet Akkerman cartonne. Il est « le meilleur de sa génération », affirme aujourd’hui Rudi Van Doorslaer, directeur du Centre d’étude Guerre et Société. « Les rapports de police nous disent que c’était un homme frêle, mais un orateur hors pair, doté d’un charisme exceptionnel. »

Aucun antécédent familial, pourtant, dans son appétit révolutionnaire. Le jeune homme est le cadet d’un couple de juifs qui émigre en Belgique en 1905 pour des raisons économiques et pour échapper à l’antisémitisme galopant en Pologne. Son père, Jozef, est un très modeste marchand diamantaire qui ne roule pas sur l’or. La famille vit dans un cocon religieux orthodoxe et précarisé. Piet s’appelait Israël quand ses parents rejoignent Anvers. C’est lui qui choisit de changer de prénom et d’opter pour une consonance flamande.  » C’est ça, l’histoire de Piet Akkerman : celle d’un jeune coincé entre deux cultures, d’un rebelle emporté dans une radicalité politique », poursuit Rudi Van Doorslaer, auteur avec le journaliste Sven Tuytens de Van Antwerpse vakbondsleider tot Spanjestrijder (ABVV, 173 p.).

Sous la bise de la Sierra

L’ouvrage, qui vient de paraître et attend sa traduction française, plonge dans l’histoire de ces combattants partis de Belgique, la plupart recrutés par l’Internationale communiste. On y côtoie Piet Akkerman, qui présente un profil marginal, et d’autres jeunes volontaires. Qui sont-ils, ceux-là ? Des personnages d’Ernest Hemingway et d’André Malraux, des héros anonymes de la guerre civile, immortalisés par le photographe Robert Capa. Ils sont nombreux à être militants syndicaux, adhérents du PC belge, presque essentiellement ouvriers – mineurs, métallurgistes… – ou garçons exaltés. Ainsi, de tous les volontaires, les Belges furent les plus nombreux : quelque 3 200 sur une trentaine de milliers de brigadistes.

Qu’ont-ils vu de la guerre, les frères Akkerman ? Des combattants en guenilles, grelottant sous la bise de la Sierra, qui doivent transporter les balles de fusil dans les poches de leur pantalon, qui manquent de munitions et de médicaments… En novembre 1936, Emiel, envoyé en première ligne pour sauver Madrid, trouve la mort en pleine bataille.

Arrivé à Albacete, au coeur de la Castille, le QG des Brigades internationales, et sommairement entraîné, Piet prend lui aussi part aux combats. Mais son parcours politique se révèle fulgurant au sein de la XIIe troupe André Marty, du nom du patron des Brigades internationales (stalinien, cadre du PCF dont il sera chassé en 1952 à la suite d’une liquidation politique). Ses talents d’orateur sont mis au service de la propagande stalinienne. Le jeune homme devient commissaire politique de son unité. La fonction est un produit d’importation soviétique. Elle consiste à motiver les combattants, à les porter littéralement dans la lutte armée. Elle implique aussi de s’assurer, pour le compte de Moscou, que les unités ne sont pas infiltrées par des supposés trotskistes ou anarchistes, des mouchards qui comploteraient avec les franquistes. « Les commissaires avaient ainsi le pouvoir de vie et de mort sur les déserteurs, les froussards… », explique Sven Tuytens.

La carrière et la vie de Piet s’arrêtent pourtant trois mois à peine après son arrivée sur le sol espagnol. Il meurt d’un coup de baïonnette lors de la bataille de la Cité universitaire, au nord de Madrid. Il est enterré dans la province de Guadalajara, quelque part à Algora, le 1er ou le 2 janvier 1937, parmi des centaines d’autres volontaires (1). Sur son formulaire individuel, conservé dans les archives soviétiques, on peut lire qu’il s’est révélé « capable et courageux ». « Il ne fait aucun doute qu’au regard de sa vie, Piet Akkerman aurait joué un grand rôle politique dans la Belgique de l’après-guerre », souligne Rudi Van Doorslaer.

« Las mamàs belgues »

Mais la guerre va durer, s’embourber. D’un côté, l’emprise des communistes progresse au fil du conflit, les Brigades internationales sont évidemment sous leur contrôle, tout comme tous les appareils répressifs et militaires de l’Etat républicain. De l’autre, le conflit déchire les socialistes. Ainsi, en Belgique, le Parti ouvrier belge (POB, futur Parti socialiste), au gouvernement, prend ses distances avec son aile gauche et ses partenaires de la coalition : la Belgique suit en effet la politique de non-intervention franco-britannique dans la guerre civile espagnole.

L’Espagne continue pourtant de hanter et de diviser le POB, qui fait parvenir comme il peut de l’aide aux républicains. Mais il s’agit aussi de « concurrencer » les communistes. Le parti crée ainsi l’hôpital El Belga, dans un vieux monastère des Frères mineurs à Ontinyent, dans la région de Valence, loin du front mais où arrivent des milliers de soldats républicains blessés. Parmi les infirmières novices recrutées par le docteur bruxellois et futur ministre Albert Marteaux, la force motrice s’appelle Vera Luftig, jeune veuve d’Emiel Akkerman. Après la mort de son mari, elle rejoint l’Espagne, en avril 1937, avec un groupe de jeunes juives d’Anvers et de Bruxelles. Son amie proche, Lya Berger, petite amie de Piet, l’accompagne. Elles sont alors 21, toutes membres du Kulturfarein, mouvement juif marxiste. Elles seront les premières à y travailler et très vite baptisées « les mamans belges », las mamàs belgues, par la population locale. Rapidement aussi, l’hôpital d’Ontinyent devient l’un des plus grands, et des mieux équipés, des hôpitaux militaires en Espagne. Peu connu, parce que sous le contrôle des socialistes, l’établissement est aujourd’hui un collège. Sur sa façade, on peut toujours y lire trois lettres : « IOS ». Internationale ouvrière socialiste. Comme un dernier témoignage de leur passage.

Commencée dans l’espoir, la lutte des républicains finit dans le désespoir absolu. « Ces jeunes filles avaient bien conscience que ce n’était qu’un début en Europe », déclare Sven Tuytens, qui vient de réaliser un documentaire consacré à l’hôpital d’Ontinyent. Cette guerre civile avec tanks, avions, mitrailleuses, qui avait tant fasciné les intellectuels et où l’Europe antifasciste et l’Europe fasciste s’affrontaient, sera une répétition générale d’un conflit de bien plus grande ampleur… Et, entre 1940 et 1945, de nombreuses « mamans belges » entrent dans la Résistance. Dont Vera Luftig. Durant la Seconde Guerre mondiale, elle est arrêtée par la Gestapo, mais parvient à s’échapper. Depuis, personne n’a retrouvé sa trace.

(1) Dans la province de Guadalajara, à Algora, en hommage à Piet Akkerman, une marche annuelle est organisée chaque année par l’association locale les Amis des Brigades internationales.

Les dates

Juillet 1936 Début de la guerre civile espagnole.

Eté 1936 L’URSS applique la politique de non-intervention.

Septembre 1936 L’URSS abandonne la non-intervention et décide de constituer des brigades de volontaires pour aider l’Espagne républicaine.

Novembre 1936 Les Brigades internationales participent aux combats de Madrid.

Février 1937 Bataille de Jarama, le Verdun espagnol.

Mars 1937 Bataille de Guadalajara.

Octobre 1938 Retrait et dissolution des Brigades.

Avril 1939 Fin de la guerre civile et victoire de Franco. Il conserve le pouvoir absolu jusqu’à sa mort en 1975.

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