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Il y a une vie après la loi de Moore

Pendant cinquante ans, la règle énoncée par l'un des fondateurs d'Intel a rythmé les progrès des microprocesseurs. Ce n'est plus le cas désormais. Mais l'innovation ne devrait pas ralentir.

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Par Sébastien Dumoulin

Publié le 14 juin 2016 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Les meilleures choses ont une fin. Même la loi de Moore. Ce pronostic formulé en 1965 par un futur fondateur d'Intel s'était pourtant vérifié jusqu'ici. Tous les deux ans, le nombre de transistors logés sur un microprocesseur a été multiplié par deux. Ces minuscules interrupteurs, en laissant ou non passer le courant, forment un 0 ou un 1 et constituent l'élément de base de l'électronique. Toujours plus riquiqui, et donc moins gourmands en énergie, les transistors ont permis à la puissance de calcul des ordinateurs de s'envoler. Chaque nouveau processeur, enfonçant les caractéristiques de son prédécesseur, remplissait les caisses des fabricants, qui pouvaient ainsi financer la recherche et les installations pour fabriquer les puces de la génération suivante.

Ce cercle vertueux n'est pas un heureux hasard. Depuis vingt ans, toute l'industrie des semi-conducteurs élabore une feuille de route commune, fixant les objectifs à atteindre en termes de miniaturisation et les échéances à respecter. En clair, la loi de Moore, simple constatation empirique à l'origine, est devenue une prophétie autoréalisatrice. Chez Intel, on parle de « stratégie tic-tac » : le constructeur annonce une meilleure finesse de gravure en année « tic », puis améliore le dessin de ses puces et prépare la réduction suivante en année « tac ».

Hélas, le mécanisme de cette pendule commence à prendre du jeu. En 2014, les premières puces gravées en 14 nanomètres (nm) - environ 5.000 fois plus fin qu'un cheveu - sont arrivées avec un an de retard sur le planning. Tic, tac... tac. Le passage au 10 nm, la prochaine étape, n'est pas attendu avant 2017. Tic, tac... tac. Quant aux puces gravées en 7 nm, elles ne seront pas en production avant 2020, et celles en 5 nm pourraient ne jamais voir le jour. A cette taille, certains éléments du transistor ne sont constitués que de quelques atomes. Et la physique commence alors à faire des siennes, les électrons se comportent de manière différente et la puce n'est plus fiable. Tic, tic, tic, tic...

Bien sûr, ce n'est pas la première fois que les scientifiques butent sur un obstacle à la miniaturisation des transistors. Une plaisanterie court d'ailleurs dans l'industrie : la « loi sur la loi de Moore » stipule ainsi que tous les deux ans, le nombre de personnes prédisant la fin de la loi de Moore est multiplié par deux. Et, jusqu'à présent, les difficultés techniques ont toujours été contournées. Au milieu des années 2000, c'est la chaleur générée par les processeurs miniaturisés qui a d'abord menacé leur stabilité. Les constructeurs ont dû arrêter d'augmenter la fréquence d'horloge, c'est-à-dire la vitesse d'exécution des opérations et pour compenser, ont imaginé des processeurs avec plusieurs coeurs - deux, puis quatre, puis huit processeurs en un, pour répartir la charge de calcul. La loi de Moore avait eu chaud, mais elle tenait bon.

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Le mur de l'investissement

Deuxième soupir de soulagement au début de la décennie actuelle, lorsque le passage sous la barre des 20 nm, réputé ingérable, a finalement été rendu possible par deux nouvelles façons de construire les transistors pour mieux canaliser les électrons et diminuer les « courants de fuite » : le transistor 3D, dit « FinFET », d'Intel et le FD-SOI - ajout d'une minuscule couche d'isolant aux galettes de silicium utilisées pour fabriquer les puces -, imaginé par les français du CEA-Leti, de Soitec et STMicro.

Mais la physique est têtue. Bientôt, il n'y aura plus rien à faire pour faire maigrir les transistors. D'autant qu'au problème atomique s'ajoute un problème économique. A mesure que les gravures deviennent plus fines, le coût des usines explose. Il n'y a plus aujourd'hui que quelques acteurs - essentiellement Intel, Samsung et le taïwanais TSMC - à pouvoir aligner les milliards de dollars que coûte une nouvelle ligne de production. Et comme leurs revenus ne progressent pas dans les mêmes proportions, le mur de l'investissement sera sans doute atteint avant celui de la physique.

Est-ce donc la fin du progrès informatique ? Il y aurait de quoi s'inquiéter, vu que la quasi-totalité des industries repose sur les capacités croissantes des ordinateurs. Heureusement, il n'y a pas que la taille (des transistors) qui compte. Les tiroirs des labos regorgent de composants qui n'ambitionnent pas d'être plus petits, mais plus efficaces que leurs aînés. Certains utilisent les photons en lieu et place des électrons, d'autres remplacent le silicium par un alliage avec du germanium ou par un autre matériau, comme le graphène. Sans parler des tenants de l'informatique quantique, qui veulent démultiplier les capacités de calcul en utilisant les propriétés encore mal maîtrisées des particules à l'échelle atomique.

Deuxième espoir pour l'informatique de demain, en attendant de tels changements de paradigme, les processeurs actuels conservent des marges de progression. Leur architecture peut être améliorée, ainsi que le logiciel qui régit leur comportement. « Moore s'attachait à la taille des composants élémentaires. Mais l'organisation de ces composants est aussi importante », explique Laurent Fournier, DG de Qualcomm France. « Vous n'imaginez pas tout ce que l'on peut gagner en optimisant la communication entre eux ». Pour certains observateurs, la loi de Moore, en offrant des gains technologiques époustouflants et prédéterminés, a même bridé la recherche. Sa disparition permet d'explorer enfin ces pistes négligées.

Troisième raison de ne pas s'en faire, les processeurs universels peuvent laisser la place à des puces plus spécialisées - un peu comme ce fut le cas avec l'apparition des processeurs graphiques pour les jeux vidéo à la fin des années 1990. Pour la première fois cette année, la feuille de route de l'industrie ne montre plus le chemin vers un processeur plus puissant - charge aux utilisateurs de lui trouver des emplois. Au contraire, elle propose de réfléchir aux applications avant de concevoir les puces. Pour équiper nos milliards d'objets connectés, certaines devront par exemple consommer très peu d'énergie, voire la générer elles-mêmes. La loi de Moore est obsolète, mais la micro-électronique a encore des pas de géants à accomplir.

La route de l'infiniment petit

1958 : La première puce électronique de l'histoire comporte un seul transistor.

1965 : Gordon Moore écrit sa fameuse prédiction.

1971 : Intel présente le premier processeur, le 4004, doté de 2.300 transistors.

1977 : L'Apple II, un des tout premiers ordinateurs personnels, a un microprocesseur de 3.510 transistors d'une finesse de gravure de 8.000 nanomètres.

1989 : Le processeur i860 d'Intel, dédié aux applications scientifiques, franchit la barre du million de transistors.

2004 : La fréquence d'horloge des microprocesseurs cesse d'augmenter en raison de la chaleur croissante dégagée par les puces.

2007 : le nombre de transistors sur une puce dépasse le milliard. Apple sort le premier iPhone.

2016 : Intel ralentit l'adoption de nouvelles finesses de gravure. La loi de Moore n'est bientôt plus.

Sébastien Dumoulin

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