Sexe : reprenons le mode d'emploi

Au rapport

Les jeunes ont-il accès à une éducation à la sexualité de qualité ? Ce n'est pas l'avis du Haut Conseil à l'égalité (HCE), qui rend public aujourd'hui un rapport très documenté sur le sujet. Ce n'est pas l'avis non plus des Libénautes qui ont accepté de partager leurs souvenirs de cours. par Virginie Ballet et Catherine Mallaval

Lire aussi : La sexualité est-elle bien enseignée ?

A 17 ans, la moitié des ados a déjà eu un rapport sexuel...
A 17 ans, la moitié des ados a déjà eu un rapport sexuel...

A cet âge-là, la moitié des adolescent(e)s a déjà eu un rapport sexuel, selon le baromètre santé de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes). Ce chiffre de 2010 ne semble guère bouger : non, on ne couche pas de plus en plus jeune. Et, si les garçons restent plus précoces que les filles, ils ne le sont que de quelques mois (l’âge médian du premier rapport est de 17,4 pour les garçons, de 17,6 ans pour les filles), alors que cet écart était de quatre ans dans les années 40 ! A cette époque où l’entrée dans la sexualité était liée au mariage pour les femmes, la moitié d'entre elles avaient connu une première expérience sexuelle à 22 ans, contre 18 ans pour les hommes.

«Intégrée, globale et positive»
«Intégrée, globale et positive»

C'est ainsi que devrait être l'éducation sexuelle, selon le HCE, qui préconise qu'elle soit dispensée dans et hors de l'école, qu'elle ne se limite pas «aux aspects physiques et à la reproduction», et qu'elle prenne «en compte la sexualité dans le cadre d’une relation égalitaire et comme source de plaisir».

26 millions
Le nombre de résultats quand on tape «Comment faire l'amour» sur Google. Pas facile de s'y repérer.
Elisa : «Comme un cours en auto-école, pour vérifier le bon fonctionnement du moteur dans le véhicule»
Elisa : «Comme un cours en auto-école, pour vérifier le bon fonctionnement du moteur dans le véhicule»

«Mon premier cours d'éducation sexuelle a eu lieu en 2001, alors que j'étais en 4e. Mes parents ne m'avaient jamais parlé de rapports sexuels, ni de fécondation, ni de contraception, ni de la nécessité de se protéger… Ce cours a été un véritable fiasco. Les élèves ne cessaient de rire (moi comprise) face à ce pauvre homme qui nous expliquait de manière très pragmatique comment se passe une relation sexuelle, ce qui ressemblait à un cours en auto-école pour vérifier le bon fonctionnement du moteur dans le véhicule. Je me souviens surtout qu'on nous a distribué des préservatifs masculins (les préservatifs féminins n'ont pas été évoqués, je ne saurais dire si cela existait à l'époque). On s'est entraînés à les poser sur l'un des pieds de nos tabourets, posés sur nos bureaux pour l'occasion. A la fin, on a eu droit à notre préservatif chacun, mais la majorité ont fini en ballon d'eau, éclatés sur les élèves dans les couloirs.»

Elisa, 28 ans, Gironde (par mail)

Kevin : «J’ai vraiment eu l’impression d’être un abruti»
Kevin : «J’ai vraiment eu l’impression d’être un abruti»

«Je suis presque certain de n’avoir bénéficié que d’un atelier de deux heures durant ma scolarité, quand j'étais en 4e ou en 3e. Nous avons d’abord travaillé en groupe non mixte, puis les groupes de garçons et de filles ont été réunis. Je me souviens de deux choses. La première, c’est qu’une de mes copines posait des questions quand elle ne comprenait pas les mots utilisés (fellation, sodomie), ce que je n’osais pas faire. De manière générale, j’ai vraiment eu l’impression d’être un abruti, surtout quand on n’était qu’entre garçons et que certains parlaient comme des experts. La seconde chose, c’est que la discussion était très centrée sur les risques. Je surestime peut-être l’effet de cette intervention, mais j’ai vraiment l’impression que ça a joué sur mon rapport à la sexualité à l’adolescence : pour moi, la relation sexuelle était presque plus un moment de danger que d’échange et d’épanouissement.

«Avec le recul, je peux comprendre que ces professionnelles de santé, qui dans mes souvenirs avaient entre 40 et 50 ans et qui devaient avoir connu l’hécatombe liée au sida des années 80-90 aient pu construire ce genre d’atelier. Parler de plaisir n’était alors peut-être pas vraiment la priorité.»

Kevin, 29 ans, Montpellier (par mail)

«La sodomie fait-elle mal ? Et la double pénétration ?»
Entendu par le Planning familial du Nord, lors d'une intervention en classe
Alice : «On aurait pu parler de harcèlement»
Alice : «On aurait pu parler de harcèlement»

«On aurait gagné du temps si on nous avait parlé du clitoris, d'abord. On nous avait bassiné avec le point G, du coup les garçons avaient l'impression que c'était le Saint Graal de le trouver, mais s'ils avaient su où était le clitoris et comment ça marche, ça aurait été plus utile. On aurait pu nous parler de consentement, aussi, de plaisir commun, de la nécessité de communiquer, des dérèglements hormonaux chez les filles ou encore de l'endométriose… Il faudrait également parler de harcèlement pendant ces séances, pourquoi pas au cours d'une session dédiée, histoire de faire entendre que traiter une fille dans la rue de «sale pute» ou lancer des regards salaces, ce n'est pas de la drague.»

Alice, 23 ans (par mail)

12%
C'est la part de séances d'éducation à la sexualité organisées hors des établissements. C'est très peu, le HCE suggère de le faire davantage.
Chloé : «On ne peut pas mettre sur le même plan l’information sur les dangers de la drogue, ceux de la circulation routière et ceux de la sexualité»
Chloé : «On ne peut pas mettre sur le même plan l’information sur les dangers de la drogue, ceux de la circulation routière et ceux de la sexualité»

«J'en ai retenu quelque chose de très genré : les mecs ont des érections, les filles doivent faire attention à ne pas tomber enceintes, elles ont le droit de dire non jusqu’au bout. Et bien sûr, il faut se protéger. Je me souviens du témoignage traumatisant d’un homme atteint du sida. Par ailleurs, pudiquement et dans un euphémisme, il était question de découvrir individuellement son corps. De plaisir, d’érotisme, il n'était absolument pas question, sinon de façon très détournée. Rien sur d’éventuels sentiments, sur l’apprentissage de la relation ou des relations sexuelles. Juste un acte mécanique et performant devant signer notre entrée en "normalité". De quoi se sentir très con(ne), nul(le), seul(e), et pour longtemps. De la délicatesse, des interventions avec un public non mixte et un contenu progressif (il ne s’agirait pas de balancer en une seule séance un kit de survie en monde adulte) seraient bienvenus. On ne peut pas mettre sur le même plan des séances d’information sur les dangers de la drogue, ceux de la circulation routière et ceux de la sexualité.»

Chloé, 28 ans, Paris (par mail)

Assumer politiquement
Assumer politiquement

Les acteurs consultés par le HCE soulèvent la nécessité d'une volonté politique assumée pour faire évoluer l'éducation sexuelle, et ce en impliquant plusieurs ministères, notamment pour dresser un état des lieux de la loi de 2001.

Eve : «On nous a dit : "Avorter, c'est mal, c'est un acte inhumain"»
Eve : «On nous a dit : "Avorter, c'est mal, c'est un acte inhumain"»

«J'ai quitté le lycée il y a deux ans à peine. J'ai fait mes études secondaires dans un collège-lycée privé catholique d'Essonne. Nous n'avons jamais eu d'éducation sexuelle, nous avons à peine étudié quelques schémas d'appareils génitaux humains en cours de SVT, mais plus dans le but d'aborder les menstruations et la puberté, en aucun cas la sexualité. La chose se rapprochant le plus d'un cours d'éducation sexuelle que j'ai pu avoir au collège-lycée furent cinq minutes, dans un cours de catéchisme en 4e, dédiées à la question de l'avortement. La professeure nous a proposé un débat sur le thème "Que pensez-vous de l'avortement ?". Je me suis risquée à lancer que "c'est un droit que les femmes doivent avoir, car il s'agit de leur corps. On devrait toujours pouvoir être capable de mettre fin à une grossesse non désirée grâce à l'IVG". La réponse ne se fit pas attendre : "Non, avorter, c'est mal, c'est un acte inhumain, peu importe la situation [même lors de viols nous a-t-elle dit au cours de la discussion], et il ne faut surtout pas avorter si vous ne voulez pas avoir le poids d'un meurtre sur la conscience." A peine traumatisant, de balancer ça à des gamins de 13-14 ans.»

Eve, 19 ans (par mail)

1 million
C'est le nombre de pilules minimum du lendemain et du surlendemain vendues chaque année depuis 2005. Rappelons que la contraception d'urgence est devenue accessible en pharmacie sans prescription médicale depuis juin 1999. Entre 2000 et 2010, son utilisation a fortement progressé, en particulier chez les plus jeunes, passant de 9 % à 24 % chez les femmes sexuellement actives.
«Une meuf avale le sperme, elle peut être enceinte ?»
Entendu par le Planning familial du Nord lors d'une intervention en classe
Daphné : «Je ne comprends pas comment on peut décrire les organes génitaux en oubliant le clitoris»
Daphné : «Je ne comprends pas comment on peut décrire les organes génitaux en oubliant le clitoris»

«L'éternel absent de l'éducation sexuelle à l'école, et qui est indissociable des questions d'éthique, de respect, d'égalité homme-femme, et tout simplement de bon sens, c'est le plaisir. Comme s'il allait de soi, ce qui est très loin d'être le cas (en tout cas pour un grand nombre de femmes). Je n'ai jamais entendu prononcer le mot «clitoris» pendant toute ma scolarité (et j'ai eu droit à plusieurs intervenants extérieurs en plus des cours, qui n'ont parlé que du sida et des risques de grossesse). J'ai donc ignoré son existence jusqu'à un âge inavouable. Je ne comprends pas comment on peut prétendre décrire les organes génitaux en l'oubliant, mais c'est ce qui se passe en 4e, à mon avis dans l'écrasante majorité des cas. Le problème de l'éducation sexuelle à l'école est qu'elle est axée sur la reproduction uniquement, comme si le plaisir était non problématique. Cela engendre de graves problèmes dans les rapports garçon-fille et dans l'égalité à laquelle nous aspirons tous face à la sexualité. Pour l'instant, nous sommes grossièrement inégaux face au sexe.»

Daphné, 25 ans, Hauts-de-Seine

Martin : «Parler de la sexualité côté homme serait une bonne chose»
Martin : «Parler de la sexualité côté homme serait une bonne chose»

«Pendant ces cours, on ne parle pas de la paternité forcée, ni de ce que c'est que devenir parent, et plus particulièrement papa… On parle de la possibilité d'accoucher sous X ou d'avorter, mais pas de l'obligation pour l'homme de reconnaître ses enfants, ni du recours en paternité que peut utiliser la femme ou l'enfant pour forcer la paternité… Bref parler de la sexualité côté homme et pas seulement côté femme serait une bonne chose.»

Martin (via Facebook)

Clitoris

«Une fille de 13 ans sur deux et une fille de 15 ans sur quatre ne sait pas qu'elle a un clitoris. 68 % des garçons de 3e et de 4e ne connaissent pas la fonction de cet organe. A se demander ce que l'on apprend dans les cours d'éducation à la sexualité», explique Annie Sautivet, sexologue, mémoire de DU sexologie, faculté de médecine Montpellier-Nîmes, 2009.

Les premiers rapports protégés, du relâchement ensuite
Les premiers rapports protégés, du relâchement ensuite

C’est le pourcentage de premiers rapports protégés ! Autant dire que les débuts sexuels sans préservatif sont aujourd’hui très rares, alors qu’en 1987, seulement 8 % des premières fois étaient protégées. Hip, hip ? Las, on observe un relâchement de l’usage de la capote dans les rapports réguliers. L’an dernier, une enquête de la Smerep, la mutuelle étudiante, révélait qu’un(e) étudiant(e) sur trois ne porte jamais de préservatif. Parallèlement, 33 % des étudiant(e)s n’effectuent jamais de test de dépistage du VIH en cas de changement de partenaire. Au total, les moins de 25 ans représentent 11 % des découvertes de séropositivité. Et depuis les années 2000, les infections sexuellement transmissibles (IST) augmentent de façon importante. A noter : le retour de la syphilis qui avait quasi trépassé.

59%
C'est la part de femmes victimes de viol ou de tentatives de viol qui ont été agressées pour la première fois alors qu'elles étaient mineures (enquête Contexte de la sexualité en France de 2007).
0
Il n'existe aucun site national de référence pour décrire les différentes formes que revêt le revenge porn. Pas normal quand on sait que selon un sondage réalisé en 2014 par le centre Hubertine-Auclert pour la région Ile-de-France, une lycéenne sur quatre déclare avoir été victime d'humiliations et de harcèlement en ligne.
Améliorer la formation des profs
Améliorer la formation des profs

Former les futurs enseignants à l'éducation à la sexualité leur permettrait de l'aborder par la suite de manière «transversale», suggère le rapport. Par exemple, un prof d'histoire sensibilisé pourrait parler des questions d'IVG et de contraception en même temps que la loi Veil de 1975.

18%
C'est la part de garçons de 15-24 ans qui estiment que la pornographie est un bon moyen d'apprendre à faire l'amour (contre 4 % des filles). Source : enquête 2011-2012 réalisée par le Mouvement du nid.
Votre infirmier.e scolaire a désormais le droit de donner plus facilement une contraception d'urgence. Discutez-en https://t.co/wGAR9iLkbZ
OnSexprime.fr
Libérer la parole
Libérer la parole

Pour faciliter les échanges, il peut être utile de créer des groupes non mixtes, ou encore de laisser les élèves s'asseoir en cercle et de les faire parler en premier, pour éviter le côté «cours magistral». Côté formats, le HCE suggère pêle-mêle des jeux de rôles, des échanges après des expositions ou des théâtres-forums.

Disparité des financements
Disparité des financements

C'est l'un des facteurs qui explique les inégalités de mise en œuvre de la loi de 2001 dans l'Hexagone, et qui pénalise particulièrement les territoires ruraux.

Le guide de l'éducation nationale ? «Caduc et inacceptable»
Le guide de l'éducation nationale ? «Caduc et inacceptable»

Les deux textes fournis aux formateurs de l'Education nationale par le ministère ? Une catastrophe, à en croire le HCE, qui juge même leur approche «contreproductive, voire dangereuse», car basée sur une vision de la sexualité à visée uniquement reproductive, carrément hétérocentrée et bourrée de stéréotypes de genre contraires à l'égalité entre les sexes. Ces ressources sont en cours de toilettage.

Il n'y a pas que l'école dans la vie !
Il n'y a pas que l'école dans la vie !

D'autres lieux de socialisation ou institutions peuvent être mis à contribution en matière d'éducation à la sexualité, selon le rapport, qui évoque par exemple les colonies de vacances, la protection judiciaire de la jeunesse, les missions locales ou encore les fédérations sportives en guise de pistes qui pourraient compléter celles déjà existantes, comme le Planning familial.

#PetitJeComprenaisPas qu'on pouvait attraper une IST ou le VIH/Sida la première fois :( https://t.co/ZHf8m4AXpm
OnSexprime.fr
ABCD de l'égalité
ABCD de l'égalité

L'année 2013 devait être celle de la mobilisation pour l'égalité entre les filles et les garçons à l'école, grâce au dispositif des ABCD de l'égalité visant à déconstruire les stéréotypes de sexe, expérimenté dans quelque 600 classes du primaire et de la maternelle. Accusés d'encourager l'homosexualité ou la masturbation par une frange récationnaire qui appelle à une journée de retrait des enfants de l'école, les ABCD sont abandonnés dès 2014.

Lire Notre décryptage de 2014, un plan d'action pour succéder aux ABCD de l'égalité