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Crime

Une nouvelle appli pour dénoncer les violences policières au Brésil

L’application DefeZap a été imaginée en réponse aux photos et aux vidéos de violences policières qui font irruption sur les réseaux sociaux.
Photo by Antonio Lacerda/EPA

En début d'année, la police a abattu un jeune homme de 19 ans, Igor Silva, dans la favela de Maré, à Rio de Janeiro. Les policiers ont ensuite embarqué le corps de la victime dans un fourgon de police, avant de repartir.

Cela aurait certainement été la fin de l'histoire si une source anonyme n'avait pas envoyé une vidéo de l'incident à DefeZap — un nouveau site internet et numéro WhatsApp.

Conçue pour lever le voile sur les abus de pouvoir et pour faire avancer les réformes du secteur de la sécurité, l'application DefeZap a été imaginée en réponse aux photos et aux vidéos de violences policières qui font irruption sur les réseaux sociaux. Même si elles suscitent une vive indignation, ces images choquantes ont tendance à disparaître rapidement, et les affaires sont vite étouffées.

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L'ONG Meu Rio a créé DefeZap afin de mettre à bon escient le pouvoir de ces images. Le nom est un mélange du mot « Zap » — une abréviation du mot WhatsApp — et de « defesa », qui veut dire défense en Portugais.

« Nous voulions que les réactions en réponse aux violences policières s'éloignent des images virales, dont l'impact n'est que provisoire et qui désensibilisent les gens par rapport au problème », explique Guilherme Pimentel, le coordinateur du projet DefeZap.

Lorsque Meu Rio reçoit une vidéo, l'organisation la transmet aux agences responsables des enquêtes sur les abus de pouvoir par des fonctionnaires. Le groupe en a fait de même avec la vidéo de Silva, et le dossier fait aujourd'hui l'objet d'une enquête spéciale menée par le procureur du tribunal pénal de la ville.

Pour les membres de Meu Rio, ce nouveau projet a comme objectif de faire tomber les barrières administratives qui font traîner certains dossiers, et de combattre la tendance qu'a la police à traiter chaque dossier comme un cas isolé.

Avec les images récoltées grâce à l'application, l'organisation espère prouver que ces violences sont le fruit de problèmes institutionnels profondément enracinés, afin d'encourager des réformes du secteur.

De nombreux militants et experts au Brésil prônent aujourd'hui la démilitarisation des forces de police. Une étude menée par l'ONG Brazilian Security Policy Forum — dont la mission est d'évaluer la politique de sécurité — a montré que 74 pour cent des officiers de police sont également de cet avis.

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Parmi les autres revendications : une hausse des salaires de la police, une plus grande supervision, plus de contrôle des armes, et des caméras de surveillance dans les véhicules de police.

Le site DefeZap et le numéro WhatsApp de Meu Rio ont été officiellement lancés le mois dernier dans la région métropolitaine de Rio de Janeiro. Mais pour les membres de l'organisation, la nouvelle application a commencé à porter ses fruits dès le lancement du projet pilote, en février.

Selon la loi brésilienne, dès qu'un décès a lieu devant un officier de police, le corps de la victime et la scène du crime doivent rester telles quelles afin d'être examinées par les experts de la division CORE.

La vidéo de Silva illustre bien le besoin d'une plus grande supervision. Non seulement elle montre une violation flagrante — les officiers du CORE traînant le corps de la jeune victime — mais elle contredit également la version officielle de la police, qui prétend que le jeune homme est mort en route pour l'hôpital. Selon les officiers, Silva aurait été blessé lors d'une « confrontation » avec la police.

Les articles de presse parus le jour de la mort de Silva reprennent tous la version officielle, selon laquelle la victime aurait été arrêtée en possession d'un pistolet calibre 40, d'une radio et d'un gilet pare-balles. Les habitants et la famille de la victime nient ces allégations, qui sont très différentes de l'image projetée par la page Facebook de Silva, qui montre un jeune employé de pharmacie avec un grand sourire et un engouement pour les selfies-miroirs.

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Les conflits armés sont un problème quotidien dans certaines favelas du Brésil, avec un nombre impressionnant de décès dus à la police. D'après une étude du Brazilian Public Security Forum, la police aurait tué 3 009 personnes en 2014 — soit 8 personnes par jour.

Pour les militants, la violence est imputable à la stratégie dite de la pacification, qui consiste à envoyer des divisions de police lourdement armées dans les favelas des grandes villes afin de reprendre de force les territoires contrôlés par les trafiquants de drogue.

Ces opérations se sont intensifiées à l'approche des jeux olympiques et paralympiques de Rio qui doivent débuter en Août.

Selon Amnesty International, la police de Rio a tué 580 personnes en 2014, lorsque le Brésil a accueilli la Coupe du Monde de foot — soit 40 pour cent de plus que l'année précédente. En 2015, le nombre de personnes tuées par la police a grimpé pour atteindre 645. Certains craignent que ces chiffres ne continuent d'augmenter, et que certaines des tueries ne sont que le fruit du triste hasard. Parmi les victimes d'avril : un garçon de cinq ans et cinq hommes tués lors d'une opération pour arrêter un trafiquant qui a réussi à s'enfuir.

Les militants disent que tuer les criminels est une violation flagrante du droit de chacun à la présomption d'innocence.

« Accepter à l'avance que quelqu'un qui a commis ou bien qui est soupçonné d'avoir commis un crime, soit exécuté à bout portant, c'est accepter le barbarisme et la fin de l'État de droit," explique Renata Neder, conseillère en droits de l'homme pour Amnesty.

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Le groupe a également souligné à quel point ces violences touchent de manière disproportionnée la jeunesse noire. Une étude sur les violences au nord de la ville a révélé que 99,5 pour cent des victimes des violences policières entre 2010 et 2013 sont des hommes. La même étude a révélé que 80 pour cent des victimes étaient noires et que 75 pour cent étaient âgées de 15 à 29 ans.

« La violence de l'état est justifiée par les Brésiliens lorsqu'elle est pratiquée par certains groupes sociaux, qui, selon eux, perturbent un 'ordre' abstrait dans lequel c'est l'état qui organise la société », explique Pedro Geraldo, professeur de sécurité publique à l'université fédérale Fluminense. Selon le Brazilian Public Security Forum, 50 pour cent des habitants des grandes villes du Brésil sont en accord avec l'expression brésilienne, « un bon criminel est un criminel mort ».

Pour les membres du Meu Rio, les médias enveniment la situation en diffusant sans vérifier les rapports de police sur les décès de civils ou d'individus soi-disant impliqués dans le trafic d'armes.

La plupart des victimes ne signalent pas les exactions policières, et ceux qui les signalent se heurtent souvent aux préjugés enracinés des institutions responsables des enquêtes.

La plupart des plaintes déposées par les victimes ou par les témoins sont traitées par une division administrative de la police, connue sous le nom d'unité « correctionnelle ». Elle est composée d'officiers en rotation qui sont très peu motivés pour enquêter sur leurs collègues.

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Bira Carvalho, un photographe de 45 ans qui vient de la favela de Maré, a récemment signalé un cambriolage sur sa propriété qui, selon lui, aurait été mené par la BOPE, une unité d'élite de la police militaire. Carvalho a appris que c'était la première fois que la police faisait l'objet d'une enquête au sein de sa communauté.

« Les gens ne signalent pas les incidents parce qu'ils pensent que ça ne va mener nulle part. Il y a tellement de bureaucratie et au final c'est la police qui enquête sur elle-même », explique Carvalho. « Les gens ont peur de ce que la police pourrait leur faire en représailles, et de ce que les trafiquants de drogue pourraient faire si la police interfère dans le quartier. »

C'est la même chose lorsqu'il s'agit des meurtres des mains de la police. Amnesty International a analysé les enquêtes portant sur 220 décès attribués aux forces de l'ordre en 2011. L'organisation n'a relevé qu'une seule plainte officielle entre 2011 et 2015. En 2015, seuls 16 pour cent des dossiers étaient « résolus ».

Malgré cela, de nombreux militants pensent qu'il est important de ne pas mettre l'accent seulement sur les policiers, qui sont eux-mêmes victimes de la violence. D'après le Brazilian Public Security Forum, 398 policiers ont été tués en ou hors service en 2014.

« Les policiers sont également des victimes », explique Pimentel, le coordinateur du projet. Il ajoute que la plupart des policiers sont souvent jeunes, noirs et issus de milieux pauvres. « La police subit un stress énorme et de nombreux [policiers] subissent d'intenses souffrances psychologiques. Il est important de rappeler que la police brésilienne tue le plus au monde, mais qu'elle compte également le plus de décès ».


Suivre Anna Sophie Gross sur Twitter : @AnnaSophieGross

Cet article a d'abord été publié sur la version anglophone de VICE News.