Archéologie

Depuis quand joue-t-on au football ?

Si ce sport existe dans sa forme moderne depuis le milieu du xixe siècle, sa pratique est en fait l’une des plus anciennes traditions européennes. Mais il était initialement plus proche du rugby en terme de combat physique...

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Marseille, juin 2016. Un après match Angleterre-Russie entre supporters anglais et russes a  de terribles conséquences : un jeune Anglais s’est retrouvé entre la vie et la mort. S’agit-il là d’un phénomène nouveau ? Non, l’histoire du football, dont nous parle l’historien Wolfgang Behringer de l’Université du Pays de Sarre à SaarBrücken, concerne un jeu très ancien mélangeant jeu de pied et bagarre, en d’autres termes football, rugby et… après match actuels. Et pourtant, cela fait des siècles que l'on s'efforce de civiliser le jeu de balle.

L’observateur attentif remarquera que dans certaines villes italiennes et anglaises, les anciennes fenêtres sont équipées de grille, même si elles se trouvent très en hauteur. Pourquoi ? Parce qu’il était pas question de risquer les très onéreuses vitres des fenêtres, étant donné que l’on jouait à la balle dans la rue ! Pas de doute : le football est bien plus ancien que ce que l’on croît généralement. Wolfgang Behringer en a retrouvé de très nombreuses attestations dans d’anciennes lettres, journaux intimes et autres mémoires européens. Les plus anciennes sont médiévales.

Dès lors, peut-on se demander, à quand remonte le football ? Tout dépend de ce que l’on entend par là. Les sources médiévales ne parlent que de « jeux de balle », sans autre précision. La forme de jeu de balle la plus populaire était le pallone, c’est-à-dire le « ballon » en italien, un jeu ressemblant plutôt au volleyball qu’au football. Comme toutes les sources le citant en parlent comme s’il existait déjà depuis longtemps, il est difficile de spéculer sur la période de son invention. Toutefois, la plus ancienne preuve de son existence remonte à l’année 1137 et elle est triste : il s'agit déjà d'un rapport sur la mort lié à un jeu de balle d’un jeune Anglais.

« Au Moyen-Âge, les pays du jeu de balle étaient l’Angleterre, l’Italie et la France, explique Wolfgang Behringer. Une partie durait en général tant qu’il y avait de la lumière, c’est-à-dire de l’aube au crépuscule. Les terrains de jeu pouvaient mesurer des kilomètres  et les portes de ville servaient souvent de but. » De là, peut-être, le fait qu’une appellation du gardien de but en français est « portier » ? Le mardi gras et le mercredi des cendres (le lendemain du mardi gras) étaient souvents des jours de grands tournois. Il n’y avait pas de limite au nombre de joueurs et l’on ne jouait pas de façon douce. « Si le meurtre et l’homicide étaient formellement interdits, il n’y avait guère de règles, souligne Wolfgang Behringer. Les bagarres générales et les accidents mortels étaient courants, ainsi que les vengeances qu’ils entrainaient. » C’est pourquoi, du reste, le jeu de balle était souvent interdit. Wolfgang Behringer a compté : entre 1314 et 1667, il l’a été pas moins de 30 fois et en 1424, une amende pécuniaire fut même instaurée pour qui jouerait au jeu de balle.

En France, tout particulièrement en Picardie, le jeu prenait la forme de la soule, un ancêtre présumé du football, mais aussi du rugby, dont il semble plus proche. Les deux équipes partageaient souvent le même but. Elles pouvaient être constituées de tous les hommes valides, répartis en équipes de diverses façons, par exemple les hommes mariés contre les non mariés.

C’est en Italie que se sont produites les premières tentatives de pacification du jeu, même si à l’origine, le « calcio » y était violent, puisque des quartiers ou des villages entiers en affrontaient d’autres. Toutefois, selon un passionné de sport de la Renaissance, rapporte Wolfgang Behringer, « les Medicis, participaient eux-mêmes au jeu et en firent même le jeu national de Florence. Ces hauts princes aimant pratiquer une forme de jeu plus courtoise, ils civilisèrent le jeu en le dotant de règles précises, même s'il resta tout de même rude. » Désormais, les 27 joueurs de chaque équipe luttaient pour faire passer la balle par la porte de l’équipe adverse. La balle ? En cuir blanc, elle était gonflée d’air.

Les grandes parties de jeu de balle se déroulant régulièrement à Florence sur la Piazza Santa Croce, devant l’Église de Santa Maria Novella (voir l'image ci-contre), cette place est aujourd'hui associée à l'origine de ce que l’on nomme en italien le calcio storico Fiorentino, c’est-à-dire le « football historique florentin ». Toute occasion d’organiser un grand calcio était bonne, par exemple une visite d’État, un mariage ou n’importe quel jour de fête, explique Wolfgang Behringer, et cette tradition perdure (voir l’illustration ci-dessus). En hiver, on transférait le jeu sur la glace, du moins est-ce ce qui s’est produit à Florence en 1491 quand l’Arno gela : « Comme les grands terrains dégagés manquaient pour jouer, explique Wolfgang Behringer, on transforma aussitôt la surface gelée du fleuve en terrain de jeu. »

Ce n’est qu’en 1863 que le football, codifié pour servir de sport dans les écoles britanniques, apparut sous sa forme actuelle. La version orientée vers le combat physique fut définie en rugby et le jeu de balle au pied en football, de sorte que l'ancien jeu de balle se dédoubla en deux sports. Ceux-ci furent admis (pour le football) ou pressentis (pour le rugby à 15) comme sport olympique dès 1900 aux jeux olympiques de Paris, où l’Angleterre remporta la compétition de football tandis que la France gagnait au rugby. Tous ces efforts pour définir le football, l'encadrer par des règles et en faire un sport civilisé n'empêchent pas qu'il continue à entraîner des morts. Mais c'est désormais l'extérieur du terrain qu'il faut pacifier les comportements…

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François Savatier

François Savatier est rédacteur spécialisé en archéologie et paléontologie à Pour la Science. Il a coécrit avec la paléoanthropologue Silvana Condemi Néandertal mon frère (Flammarion, 2015), Dernières nouvelles de Sapiens (Flammarion, 2021) et L’énigme Denisova (Albin Michel, 2024).

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Références

W. Behringer, Schon im Mittelalter spielte man Fußball, Archäelogie, 11 juin 2016.

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