Publicité

Kerviel : le parquet dénonce les défauts de contrôle de Société Générale

Si la cour d’appel de Versailles devait suivre le réquisitoire de l’avocat général, Jérôme Kerviel n’aurait plus à payer 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts à Société Générale.

0211041387323_web.jpg
Si la cour devait suivre le réquisitoire de l’avocat général, Jérôme Kerviel n’aurait plus à payer 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts à son ancien employeur.

Par Valérie de Senneville

Publié le 17 juin 2016 à 15:26

Il est bien souvent plus utile dans l’enceinte d’un tribunal ou d’une cour de faire du droit plutôt que de l’agitation médiatique. Le réquisitoire cinglant de l’avocat général Jean-Marie d’Huy, ce vendredi à la cour d’appel de Versailles dans le dossier Kerviel vient de le prouver avec une grande efficacité. L’avocat général ne réclame plus aucun dommage et intérêt contre Jérôme Kerviel et insiste sur les défauts graves de surveillance de la banque. La Société Générale se verrait donc privée des dommages et intérêts de 4,9 milliards d’euros.

Conséquences sur la déduction fiscale

Ce n’est pas tout. Les carences en matière de surveillance sont si graves, insiste Jean-Marie d’Huy, qu’elles deviendraient une « faute intentionnelle » de la part de la banque. La précision n’est pas sans conséquence : la jurisprudence du Conseil d’Etat ne permet la déduction fiscale des pertes subies en cas de fraude que si l’entreprise victime n’a commis aucune faute intentionnelle. Si la cour devait suivre les réquisitions de l’avocat général jusqu’à cette extrémité, la banque devrait donc rembourser à l’Etat les 2,2 milliards d’euros de réduction fiscale accordée.

Faute intentionnelle contre faute non intentionnelle

Publicité

Le raisonnement de l’avocat général est limpide. Il commence par évacuer la question de la comparaison des fraudes. «Le problème ici est qu’une faute intentionnelle et une faute non intentionnelle entrent en concours. Est-il possible de comparer une faute pénale et une faute civile, un acte volontaire et un acte involontaire? Comment soupeser des gravités de nature différentes», s’interroge l’avocat général.

La question est à la base du dossier. Car depuis le début la Société Générale scande qu’elle est une victime des agissements d’un rogue trader, reconnaît des fautes mais sans commune mesure avec les agissements de Jérôme Kerviel qui a fait des faux pour cacher des positions folles de plus de 50 milliards d’euros. En bref, ses défaillances ne sont pas des fautes pénales contrairement aux agissements de Jérôme Kerviel.

« Dans quelle proportion la faute de la victime vient altérer son droit à réparation »

L’intelligence du réquisitoire est de refuser d’entrer dans cette dialectique: «il ne s’agit pas de soupeser deux fautes, l’une de nature pénale, l’autre de nature civile, ce qui est une mission impossible… En réalité il s’agira d’apprécier, dans des circonstances où celui qui a subi le dommage a concouru à la construction de celui-ci, dans quelle proportion la faute de la victime vient altérer son droit à réparation», explique Jean-Marie D’Huy qui tient à «déconnecter» les fautes de Jérôme Kerviel et celles de la Société Générale. Et soudain le raisonnement apparaît clair. On sort de cette mélasse émotionnelle, vendue par la défense de la méchante banque et du pauvre petit trader, pour s’attacher aux faits ainsi qu’à leurs conséquences juridiques, et ils font tout aussi mal.

Société Générale a «permis, facilité, favorisé les actes frauduleux ayant généré le dommage»

L’avocat général rappelle fermement que Jérôme Kerviel est coupable, il a été condamné définitivement à 5 ans de prison dont deux avec sursis pour abus de confiance, faux et usage de faux et introduction frauduleuse dans un système informatique ; mais là n’est pas son propos : «il est indéniable que la Société Générale a commis des fautes et c’est bien la raison de ce renvoi devant vous. Et ces fautes sont à l’évidence en relation avec la commission de l’infraction car elles ont permis, facilité, favorisé les actes frauduleux ayant généré le dommage», explique Jean-Marie d’Huy qui va s’appuyer sur les conclusions de la commission bancaire et du rapport Green de l’inspection générale interne de la Société Générale pour matérialiser les carences graves de la banque dans son système de contrôle.

Verbatim du raisonnement de l’avocat général :

«Les banques ne sont pas des entreprises comme les autres... La maîtrise des risques impose aux banquiers d’organiser, de fiabiliser, de sécuriser leur système de mesure et de gestion des contrôles internes… Pour la gestion de ces risques, un système de contrôle interne efficace est une composante essentielle de la gestion d’un établissement et constitue le fondement d’un fonctionnement sûr et prudent de l’organisation bancaire. Il est obligatoire que l’établissement se dote d’instruments appropriés et efficaces de détection et d’évaluation des risques… »«Jérôme Kerviel a volontairement dissimulé ses prises de positions et déjoué les systèmes de contrôles internes, la Société Générale est toujours restée dans l’ignorance de ces malversations, elle n’est donc ni co-auteure, ni complice des infractions commises par Jérôme Kerviel. Et je rappelle encore une fois que cela a été définitivement jugé. Cependant, il reste que ce montant exorbitant qui a placé la banque, selon son président lui-même, en situation de risque « létal » démontre à lui seul l’importance des carences de contrôle des opérations et des procédures internes, et de maîtrise des risques opérationnels ».« Au total, cinq raisons sont mises en avant pour expliquer la défaillance de la hiérarchie du front office : la supervision défaillante du responsable direct de Jérôme Kerviel sans laquelle la fraude aurait été détectée plus rapidement, le manque d’accompagnement et d’encadrement par le manager de Delta One, la tolérance à la prise de positions directionnelles intraday sur la table DPL, qui a créé un contexte au sein duquel Jérôme Kerviel opérait librement, un manque d’attention et de réaction face aux nombreuses alertes, dénotant un manque de sensibilité au risque de fraude au niveau du front office, un contexte opérationnel rendu difficile par une forte et rapide croissance de l’activité, de nombreux signaux révélant une situation opérationnelle dégradée, en particulier du middle office »« De l’ensemble de ces éléments, il ressort que la banque à travers ces défaillances, ces insuffisances, ces carences, a indéniablement rendu possible ou facilité la réalisation de la fraude et son développement, entraînant les graves conséquences financières que nous connaissons. Un établissement financier de premier rang, parfaitement informé de ses obligations qui, malgré les avertissements donnés sur les défauts et les risques internes, malgré les recommandations formulées par ses propres services pour y remédier, continue de fonctionner sans apporter de réponse et en dehors du champ réglementaire, commet à l’évidence non pas de simples négligences mais bien une faute grave qui doit nécessairement être prise en compte dans la réparation du préjudice. Des négligences qui deviennent intentionnelles et leur conjonction traduisent un mode de fonctionnement bien lointain des préoccupations de sécurité et de prudence… de sorte que s’est installée une forme non pas de consentement mais de tolérance. Fermer les yeux et laisser faire, tant que tout se passe bien et que chacun y trouve son intérêt »« Cette faute de la Société Générale doit être considérée comme suffisante pour permettre que se réalise l’entier préjudice. Cette appréciation que je porte sur ce dossier, si vous la suiviez, vous amènerait à supprimer le droit à réparation auquel prétend la Société Générale et ce d’autant plus que Jérôme Kerviel n’a retiré un quelconque profit matériel des infractions qu’il a commises… Ainsi je sollicite de votre Cour le rejet de la demande de dommages et intérêts ainsi que la demande d’expertise formulée par l’avocat de Jérôme Kerviel sur la détermination du préjudice de la Société Générale qui devient, sans objet. Et votre décision pourrait être un message fort donné aux établissement bancaires pour éviter qu’à l’avenir de tels faits puissent se reproduire »

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres
Publicité