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A Magnanville, la peur et la colère des policiers

Deux manifestations d’hommage ont eu lieu, mais les policiers ont voulu leur propre « marche blanche » avec la volonté « de se retrouver entre soi », jeudi.

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Publié le 16 juin 2016 à 17h45, modifié le 17 juin 2016 à 16h07

Temps de Lecture 3 min.

Pendant la marche entre le commissariat de Mantes-la-Jolie et le domicile des deux policiers tués, Jessica Schneider et Jean-Baptiste Salvaing, le 16 juin.

Le cortège s’arrête dans l’allée des Perdrix, à Magnanville (Yvelines) ; trois mille personnes peut-être, des policiers surtout, une rose blanche à la main. Le pavillon de leur collègue, Jean-Baptiste Salvaing, se trouve à quelques mètres à peine, bordé d’une petite haie sage. C’est là qu’il a été assassiné au nom de l’organisation Etat islamique (EI), le 13 juin, comme sa femme, Jessica Schneider, fonctionnaire au commissariat de Mantes-la-Jolie.

Une photo où ils sont enlacés, visages jeunes, rieurs, est partout dans la foule, épinglée sur les blousons, imprimée sur les tee-shirts. Ou scotchée sur le revolver, que beaucoup portent à la ceinture, ostensiblement – « prêt à servir », dit quelqu’un. Il est midi, jeudi 16 juin.

François Hollande devait présider vendredi une cérémonie officielle à la préfecture de Versailles, en présence des familles des victimes, du premier ministre, Manuel Valls, et du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve. Et deux manifestations d’hommage sont déjà organisées par des élus locaux. Mais les policiers ont voulu leur propre « marche blanche », avec la volonté « de se retrouver entre soi ». Un jeune policier des Mureaux marche la main sur son arme : « On se sent seuls au monde. » Un collègue rectifie : « Seuls contre le reste du monde. »

Incapables de retenir la colère

Quelques-uns parlent technique, diminution des effectifs et des moyens. Ou bien évoquent la fatigue accumulée depuis des mois, les grèves, les attentats, les matchs de foot. Mais sans conviction, au fond, comme si on n’en était plus là maintenant.

« Mais on ne vient pas faire le coup du syndicalisme », annonce l’un d’eux. D’ailleurs, la plupart refusent tout simplement de parler, incapables parfois de retenir leur colère. « Nous, on fait un boulot de merde, mais les journalistes, encore plus ! », crie un gradé.

La photo des deux policiers assassinés à Magnanville, Jessica Schneider et Jean-Baptiste Salvaing, lors de la marche de leurs collègues, le 16 juin.

En tête de cortège, un petit groupe demande qu’aucun gros plan ne soit fait sur les visages, « par mesure de sécurité. L’opération contre Jean-Baptiste et Jessica était ciblée ». D’une source proche de l’enquête, Larossi Abballa, leur assassin, aurait dit aux policiers du RAID, l’unité d’intervention de la police nationale : « Il est venu chez moi, maintenant, c’est moi qui viens chez lui. » Le lien entre les deux hommes, qui vivaient dans le même secteur, n’est pourtant pas encore formellement établi.

Trois proches du tueur, des hommes âgés de 27, 29 et 44 ans, interpellés mardi, ont vu jeudi leur garde à vue prolongée de quarante-huit heures supplémentaires. Peut-être permettront-ils de comprendre ce qui a mené Larossi Abballa à prendre le couple pour cible. Les enquêteurs espèrent aussi puiser des informations dans le matériel informatique et téléphonique saisi chez les trois gardés à vue, ainsi que dans celui d’Abballa.

Dans le cortège, deux policiers de Brunoy discutent des détours et des ruses dont ils usent pour rentrer désormais chez eux, « maintenant qu’on vient [les] tuer dans [leurs] maisons ». Aucun n’est venu manifester en tenue : « Trop dangereux. » Un retraité de la police va demander un port d’arme. « Toi aussi ? Ils veulent nous éliminer », s’exclame son voisin.

« On ne nous dit pas qui on va trouver derrière la porte »

« La communication avec les services de l’antiterrorisme ne se fait pas : ils nous considèrent comme des minables », explique un gradé de Mantes-la-Jolie. Bruno Estebe, adjoint à la sûreté urbaine des Yvelines, est désigné pour prendre la parole au nom de tous : « On n’a pas peur, mais, au quotidien, quand on nous envoie faire des interpellations, on ne nous dit pas qui on va trouver derrière la porte, une petite frappe ou une fiche S. »

Il a du mal à parler calmement. « Quand on pose des questions sur l’enquête pour Jean-Baptiste et Jessica, le ministère de l’intérieur nous répond : “On ne sait pas.” On ne peut plus s’en contenter. Aujourd’hui, ce sont les nôtres qui ne nous aident pas. »

Quand La Marseillaise monte sous la pluie devant un parterre de fleurs et de bougies, les larmes se mettent à couler. Une policière est prise de tremblements pendant le couplet où les « féroces soldats (…) viennent jusque dans vos bras égorger vos fils et vos compagnes ». D’autres se cachent le visage. « On demande aux journalistes de dégager, dit un des organisateurs. On ne veut pas de photos de ce qui va se passer, top secret. »

Ça y est, ils sont vraiment tout seuls cette fois, les policiers. Plus qu’eux, rien qu’eux. Et, comme s’ils ne pouvaient se retenir davantage, ils tombent en sanglotant dans les bras les uns des autres.

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