« A quoi sert une photographie politique ? A rien ou beaucoup. Tout dépend de la sincérité de son auteur. Je ne raconte plus la politique comme une comédie depuis que je me suis rendu compte que j’avais devant moi des personnages de tragédie. Pas ces notables qui se limitent aux mandats de député ou aux portefeuilles de ministre, mais ces quelques femmes et hommes qui mettent en jeu leur vie, leur nom, pour partir à la conquête d’un pouvoir suprême qu’ils ne redoutent pas d’assumer. Ceux-là ne lâchent jamais. Convaincus de leur destin exceptionnel, ils savent faire souffler des vents sacrés sur les salles de meeting. Les foules qu’ils emportent les célèbrent parfois comme des dieux, d’autres les haïssent avec excès. Le Monde me permet de suivre les grands politiques, inlassablement, au plus près, pour capter ces moments d’euphorie, de fatigue ou de doute qui aideront à dresser leurs portraits et les ramener ainsi à leur condition d’humain. Cette rédaction où règne la force du verbe assume depuis une douzaine d’années la fragilité de mes images. »

Invité du festival MAP au musée Paul-Dupuy à Toulouse jusqu’au 30 juin 2016, le photographe Jean-Claude Coutausse revient sur une douzaine d’années de reportage politique pour Le Monde.

« A quoi sert une photographie politique »

Jean-Claude Coutausse pour Le Monde

  • Michel Guerrin, David Revault d’Allonnes, Raphaëlle Bacqué et Nicolas Jimenez racontent la jeune histoire, parfois compliquée, de la photographie au journal Le Monde.

  • Paris, salle des fêtes de l’Elysée, vendredi 20 janvier 2012. Nicolas Sarkozy attend que le nonce apostolique, doyen des ambassadeurs en France, finisse de prononcer les vœux du corps diplomatique. Le président n’écoute pas, ne tient pas en place. Il expédiera ensuite son discours avec rage. Plus tard, nous serons informés de ce qu’il savait déjà : la mort de quatre soldats français lors d’une attaque en Afghanistan.

  • Cahors, vendredi 30 septembre 2011. Nous sommes seulement deux photographes à suivre François Hollande en campagne pour la primaire de la gauche sur les routes du Sud-Ouest. Lui n’est accompagné que de son secrétaire et de son chauffeur. Il nous a laissé son numéro. Parfois, nous le perdons et l’appelons ; d’autres fois, c’est lui qui nous renseigne sur la route. Peu de gens croient en lui, c’est ce qui le motive. Le candidat va chercher les voix une par une.

  • Lille, mercredi 18 avril 2012. Au bout de la rampe d’accès au podium lors du grand meeting pour la campagne présidentielle de François Hollande, Martine Aubry interrompt d’un coup son ascension et offre cette image, parfaite métaphore de sa carrière politique.

  • La Baule, samedi 22 septembre 2012. Jean-Marie Le Pen intervient durant l’université d'été du Front national. Je photographie le personnage depuis 1986, je connais par cœur sa gestuelle. Pas de surprise, il suffit de se placer, d’attendre et d’appuyer sur le déclencheur.

  • Lille, mercredi 18 avril 2012. François Hollande sur un nuage quelques jours avant le premier tour de la présidentielle. Le service d’ordre du PS du Nord, sûrement mécontent de la défaite de sa championne à la primaire de la gauche, multiplie les provocations violentes envers les preneurs d’images. Je me suis réfugié sur une tribune latérale qui vibre du trépignement des militants pendant le final. Je tente, malgré tout, cette image au quinzième de seconde. Ma voisine, une jolie jeune femme asiatique s’amuse de me voir prendre autant de photos. Elle deviendra plus tard ministre de la culture.

  • Paris, Trocadéro, mardi 1er mai 2012. Entre les deux tours de la présidentielle, Nicolas Sarkozy donne son grand meeting parisien. Pas question de me placer sur l’axe officiel de prise de vue, trop bien préparé par la communication. Je m’incruste dans la foule des militants, aidé par un des attachés de presse de l’UMP qui ne se fait plus aucune illusion sur les chances de succès de son candidat.

  • Paris, place de la Concorde, défilé du 14 juillet 2006. Première apparition de Cécilia Sarkozy rentrée des Etats-Unis pour accompagner son mari, ministre de l’intérieur, vers la présidence. Très impressionné par la tension entre les époux, je garde le point sur le visage de Cécilia durant la courte interview et je ruine le direct à France 2 en ne cédant jamais cet axe au caméraman du direct, un gaillard de 110 kg qui s’est bêtement placé à ma gauche et écrase mon pied jusqu’à me faire une entorse à la cheville.

  • Tulle, le 6 mai 2012. Le bureau de vote, puis huit heures sur un praticable de presse à marquer ma place face à la scène. 20 heures, la victoire, un air d’accordéon et le retour à Paris. Je transmets mes photos en vingt minutes depuis l’autocar qui nous mène à l’avion. Le Bourget et un autre autocar pour la Bastille où nous arrivons trop tard. Je rejoins le journal à Vélib' parmi les fêtards. Cette image, oubliée dans le rush, surgit de mon Mac vers 4 heures du matin et couvre le lendemain la « une » du Monde. Offerte plus tard au nouveau couple présidentiel, elle devient une de leurs images fétiches.

  • Paris, palais de l’Elysée, mardi 15 mai 2012. Passation de pouvoir entre Nicolas Sarkozy et François Hollande. A la trop classique poignée de main, je préfère cet angle qui nous place une dernière fois, le lecteur et moi, sur les pas de celui que nous avons suivi pendant un an sur les routes de la campagne présidentielle. Prise et transmise à l’heure ultime de bouclage du journal, je retrouve ma photo en « une » du Monde chez mon kiosquier, en rentrant chez moi quelques heures plus tard.

  • Villeroy, vendredi 11 novembre 2011. Nicolas Sarkozy va participer à une cérémonie sur le monument rendant hommage à Charles Peguy, tué en ce lieu lors de la guerre de 14-18. Arrivée du convoi présidentiel. Une de mes photographies préférées.

  • Paris, Maison de l'Amérique latine, mercredi 9 novembre 2011. Stéphane Le Foll, Manuel Valls et Vincent Peillon, futurs ministres, assistent à la première conférence de presse de François Hollande, candidat socialiste à la présidentielle, sorti vainqueur de la primaire de la gauche.

  • Paris, lundi 7 décembre 2015. Devant le siège du parti Les Républicains au lendemain du premier tour des élections régionales. Lorsque les portes se ferment, il faut s’accrocher au détail le plus banal pour raconter l’événement.

  • Paris, salle des fêtes du palais de l'Elysée, jeudi 16 mai 2013. Le gouvernement Ayrault au grand complet assiste à la deuxième grande conférence de presse de François Hollande. Une rare occasion de montrer sur une même image la masse de caractères et d’ego, sur lesquels un président doit d’abord exercer son pouvoir.

  • Toulouse, jeudi 5 avril 2012. Pari tenu pour Jean-Luc Mélenchon qui remplit la place du Capitole. J’aime avant tout suivre les campagnes présidentielles pour voir de près ces foules qui ne demandent qu’à être emportées.

  • Alger, palais des Nations, jeudi 20 décembre 2012. Voyage d'Etat en Algérie, François Hollande va prononcer un discours devant les deux chambres réunies du Parlement algérien. Pour la première fois, un président français reconnaît les souffrances infligées à l'Algérie par la colonisation.

  • Nice, journées d'été du Front national, samedi 10 septembre 2011. Jean-Marie Le Pen vient de prononcer son discours. Durant le week-end, il multipliera les apparitions tapageuses devant la presse, comme pour affirmer sa place de patriarche de ce parti, dont sa fille vient d’hériter.

  • Paris, Carrousel du Louvre, vendredi 16 novembre 2012. Rachida Dati participe au meeting de campagne pour la présidence de l’UMP de Jean-François Copé.

  • Paris, Palais des congrès, lundi 12 novembre 2012. Entouré de ses conseillers, François Fillon se prépare à entrer dans la salle d’un meeting de campagne pour la présidence de l’UMP.

  • Lille, dimanche 19 février 2012. Lors de la convention nationale du Front national, un bureau d’adhésion est installé dans le hall du Palais des congrès.

  • Washington D.C., base aérienne d'Andrews, lundi 10 février 2014. Voyage d’Etat de François Hollande aux Etats-Unis. Demain, j’entrerai dans le bureau Ovale pour la première fois. Dans un froid polaire, nous attendons l’avion présidentiel français. Marine-One, l’hélicoptère du président, Obama, fait voler le tapis rouge. Au moment où j’appuie sur le déclencheur, je pense à une photo d’Annie Leibovitz, même situation sur la pelouse de la Maison Blanche du temps de Richard Nixon.

  • Normandie, vendredi 6 juin 2014. Barack Obama et François Hollande participent à la cérémonie de célébration du 70e anniversaire du Débarquement. Le cimetière militaire de Colleville-sur-Mer appartenant aux Etats-Unis, c’est le service de presse de la Maison Blanche qui organise notre « pool » images. Dernière situation de la séquence, les deux présidents face à la plage d’Omaha Beach. Nous sommes mal placés. Je quitte le carré qui nous a été fermement attribué et j‘arrache cette image paisible avec deux membres des services secrets américains sur le dos. Ce meilleur axe avait été réservé aux deux photographes présidentiels qui devaient ensuite offrir la photo exclusive à un grand magazine hebdomadaire.

  • Paris, vendredi 7 septembre 2012. Le président de la République sort de l’audience solennelle à la Cour des comptes. L’autofocus de ma caméra se bloque sur l’encadrement de la portière de la voiture officielle. L’image qui m’est ainsi suggérée correspond mieux au personnage que je connais. Le physique de cet homme ne raconte pas bien sa complexité.

  • Bruxelles, Conseil de l’Union européenne, mardi 7 juillet 2015. Le conseiller en com de Bercy me propose de suivre le ministre des finances lors des deux dernières réunions de l’Eurogroup qui décideront ou non de la sortie de la Grèce de l’Union européenne. Dans le Thalys, Michel Sapin se moque de mon costume : «  Vous êtes sapé comme un ministre !» C’est pourtant cette tenue qui me permet de rester, seul journaliste, dans les couloirs où les réunions entre représentants financiers se succèdent. Je ne cherche pas à cacher ma caméra. Christine Lagarde me salue comme un membre de la délégation française. Mario Draghi accourt vers moi, après un aparté avec le président de l’Eurogroupe : «  J’espère que vous ne faites que des photos ! Vous n’enregistrez rien ? Parce que rien de ce que nous venons de nous dire ne doit sortir d’ici ! »

  • Paris, cour de l’Elysée, mardi 22 mars 2016. Manuel Valls, premier ministre, va participer à un conseil de sécurité après une série d'attentats à Bruxelles. Pour un photojournaliste politique, connaître l’endroit exact où une voiture officielle va s’arrêter est aussi important qu’une excellente connaissance de l’actualité ou qu’un carnet d’adresses bien rempli.

  • Paris, lundi 26 janvier 2015. François Hollande et Manuel Valls descendent l'escalier du palais de l'Elysée. J’ai souvent remarqué que, sans doute livré à sa fougue, ce premier ministre respecte rarement le protocole en laissant le président marcher devant lui. Je considère ce «  coude-à-coude » comme une photographie prémonitoire, depuis l’instant où je l’ai faite.

  • Paris, palais de l'Elysée, jeudi 22 janvier 2015. Dans le miroir, Gaspard Gantzer, conseiller à la communication, parle à l'oreille de Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l'Elysée. Vincent Feltesse, conseiller politique, regarde sortir le président du salon Vert après une réunion. J’ai passé au total une vingtaine de jours à l’intérieur du palais de l’Elysée avec la rédactrice Vanessa Schneider pour un article dans le magazine du Monde, puis pour un livre. On nous a ouvert des pièces, des réunions, jusqu’au conseil des ministres, sans jamais nous réclamer un seul droit de regard.

    Je ne suis jamais allé aussi loin en photojournalisme politique, qu’avec cette image. Le lecteur est accompagné dans un des plus hauts lieux du pouvoir, les personnages photographiés ne se mettent pas en scène et la présence du photographe est admise, assumée, oubliée.

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