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Droits des femmes

Pour le Syndicat des gynéco, certains avortements entraînent «des arrêts de travail injustifiés»

Le Syngof crée la polémique en suggérant que les IVG médicamenteuses soient réalisées lors de jours non travaillés. Des interventions qui peuvent désormais être pratiquées par les sages-femmes, ces dernières, qui se jugent compétentes à exercer ce type d'avortement, fustigeant une prise de position corporatiste.
par Juliette Deborde
publié le 20 juin 2016 à 20h06

Le 5 juin, un décret permettant aux sages-femmes de réaliser des interruptions volontaires de grossesse (IVG) médicamenteuses paraissait au Journal Officiel. Depuis cette date, les sages-femmes ont le droit de réaliser cette intervention, et de prescrire un arrêt de travail de 4 jours (renouvelable une fois) dans ce cadre. Cette mesure, prévue par la loi de modernisation du système de santé et visant à faciliter l'accès des femmes à l'IVG, n'a pas vraiment été du goût du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (Syngof), à en croire un communiqué sans équivoque relevé par Slate. Le Syngof a également relayé sur sa page Facebook une publication, signée de sa secrétaire générale : la gynécologue Elisabeth Paganelli suggère que les femmes pourraient s'arranger pour prendre un jour de congé ou avorter un jour férié (au nombre de 11 cette année…). Selon la gynécologue, un arrêt de travail ne doit être prescrit qu'en cas de «complications». Si «tout se passe bien», «on propose à la patiente de choisir le jour de l'expulsion un jour férié avec un adulte […] ou de poser un jour de congé (cela lui évite de donner un arrêt de travail à son employeur et de craindre de devoir s'expliquer avec ses collègues).» Le tout au nom de l'égalité entre les hommes et les femmes : «Si on considère que la femme est l'égale de l'homme au sein du travail et qu'elle puisse enfin être payée comme l'homme et avec égalité, il faut que les professionnels de santé évitent les arrêts de travail injustifiés à leurs patientes», écrit-elle, semblant oublier que les hommes, eux, n'ont pas d'utérus.

«On impose une contrainte de plus aux femmes qui veulent avorter»

Beaucoup ont vu dans ce texte une prise de position misogyne, faisant passer l'IVG pour une pratique honteuse, et visant à culpabiliser les femmes. «Entre les obstétriciens qui veulent pas qu'on accouche le week-end et ceux qui veulent pas qu'on avorte en semaine…», écrit Clara de Bort, directrice d'hôpital et spécialiste des droits des femmes sur Twitter. «Depuis le confort de son cabinet libéral, [Elisabeth Paganelli] doit en outre être peu sensible à la réalité des travailleuses pour lesquelles il n'est pas toujours aisé d'obtenir un congé un jour précis, surtout sans en expliciter la raison, ce qui les expose d'autant plus au risque de devoir évoquer devant son employeur sa nécessité d'avorter, ou d'inventer un quelconque mensonge», note également Marie-Hélène Lahaye, sur son blog Marie accouche là, qui rappelle par ailleurs qu'au nom du secret médical, le motif de l'interruption de travail n'est pas mentionné sur le certificat d'arrêt de travail destiné à l'employeur. «Il s'agit surtout d'imposer une contrainte de plus aux femmes qui veulent avorter, qui s'ajoute à la difficulté de trouver un praticien dans le délai légal très court de l'IVG.»

Interrogé par Libération, le médecin Martin Winckler rappelle que l'IVG médicamenteuse n'est pas un acte anodin, puisqu'il s'agit d'«une fausse couche provoquée». L'absorption du médicament, par voie orale (qui peut être pratiquée jusqu'à 7 semaines d'aménorrhée, soit 5 semaines de grossesse), entraine des contractions de l'utérus et des saignements pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours. «L'évolution d'une IVG chez une femme donnée est imprévisible. Un arrêt de travail de 4 jours renouvelable une fois, ce n'est pas scandaleux, loin de là», affirme le médecin. «C'est la femme qui sait en quoi une IVG perturbe ou non sa vie, et c'est à elle de dire ce qui rendra les choses confortables», écrit-il sur sa page Facebook. «Il faut tenir compte des situations personnelles. Tout le monde n'a pas les mêmes conditions de travail ou de vie. La médecine, c'est s'occuper des gens dans leur spécificité, chaque patient est unique», explique-t-il à Libération. «C'est à chaque femme de décider, abonde Chantal Birman, membre du conseil d'administration de l'Union nationale et syndicale des sages-femmes (UNSSF). Certaines femmes ont besoin d'une semaine pour poser cet acte dans leur vie, alors que d'autres préfèrent prendre le comprimé le vendredi soir, et passer rapidement à autre chose.»

Les patientes «plus écoutées» par les sages-femmes

Pour les organisations de sages-femmes, pouvoir pratiquer des IVG médicamenteuses va dans la continuité de leurs compétences, déjà étendues ces dernières années. «Les sages-femmes peuvent déjà prescrire des arrêts de travail au cours de la grossesse, d'une durée de 15 jours maximum, rappelle Elisabeth Tarraga, secrétaire générale de l'Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF). Elles peuvent assurer le suivi gynécologique depuis 2009, prescrivent des méthodes de contraception.» Les aspirantes sages-femmes suivent aussi la première année de médecine (Paces) depuis 2009. «En formation initiale, les sages-femmes ont même plus d'heures de gynécologie que les médecins !», ajoute Chantal Birman, de l'UNSSF. Selon elle, les sages-femmes seraient même mieux à même d'accompagner les patientes faisant le choix d'une IVG médicamenteuse que les gynécologues. D'autant plus que, comme c'est déjà le cas pour les médecins de ville, les IVG par voie orale ne peuvent être pratiquées que par les sages-femmes libérales ayant passé une convention avec un établissement de santé. «Les sages-femmes connaissent les femmes, leurs ambiguïtés, elles ne sont pas dans des logiques de pouvoir, de hiérarchies. A chaque nouvelle compétence acquise, on se rend compte que les femmes sont mieux traitées, plus écoutées.»

Le médecin Martin Winckler, lui, déplore une posture «réactionnaire» et «anti-déontologique» des gynécologues et obstétriciens français. «Ils devraient accueillir cette nouvelle à bras ouverts. Au lieu de cela, ils considèrent les femmes comme leur chasse-gardée, regrette-t-il. C'est un combat d'arrière-garde !» Le collège national des gynécologues (CNGOF), qui n'a qu'un rôle consultatif, a rendu un avis défavorable à la prescription d'arrêts de travail par les sages-femmes, mais s'est prononcé en faveur de la pratique de l'IVG médicamenteuse par ces dernières. «Cette décision augmente l'accès des femmes à l'IVG, cela améliore l'offre de soin, assure le président, Bernard Hédon. C'est une bonne chose pour les femmes.»

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