Brexit : suspense en Dordogneshire

À la veille du référendum, les 10 000 Britanniques de la Dordogne s'interrogent sur leur avenir. Reportage dans le village d'Eymet, dans le sud du département.

Par Ioris Queyroi

Les Britanniques installés à Eymet à Dordogne sont inquiets à la veille du référendum sur le maintien ou non de leur pays dans l'Union.
Les Britanniques installés à Eymet à Dordogne sont inquiets à la veille du référendum sur le maintien ou non de leur pays dans l'Union. © Le Parisien/Maxppp

Temps de lecture : 5 min

C'est une histoire pleine d'incertitudes, mais demain elle va peut-être défaire leur vie et l'Union européenne. Petite femme brune en blouse rose, Julia brosse le poil noir d'un setter sur la table de toilettage. La propriétaire de Shampoo Chien est l'un des nombreux sujets de Sa Gracieuse Majesté à s'être installés à Eymet, la plus britannique des bastides périgourdines. Elle redoute un « « British exit » » et a donné par correspondance son vote au camp du « « in Europe » », droit restreint à ceux qui ont quitté le Royaume-Uni depuis moins de 15 ans. « Je suis anglaise, mais je veux rester en France, dit-elle en croisant les doigts. Ici, j'ai ma maison, j'ai mon entreprise, mais je ne sais pas si je vais pouvoir rester. »

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Sur la terrasse de sa fermette en vieilles pierres, David, plaquiste indépendant venu de Bristol il y a 18 ans, a le parler cash : « Quand j'écoute la radio ou la télé anglaise, je suis sidéré par ce que j'entends. Je vis le rêve européen, c'est une évidence pour moi qu'il faut qu'on reste en Europe. Tout n'est pas parfait, mais on est plus fort dans un grand ensemble que tout seul. » Un voisin anglais, un très vieux monsieur à moustache tiré par son chien en laisse, passe le saluer. On le lance sur le référendum, il en perd le fameux flegme britannique. « Un camp dit une chose, l'autre camp dit le contraire. Ils n'ont aucune preuve. C'est une folie ! Si la Grande-Bretagne quitte l'UE, que va-t-il se passer pour nos frais de santé ? » souffle-t-il, avant de lever son chapeau de paille en guise de salut et de tourner les talons.

« Si les Anglais repartent, le village va mourir »

Pensions de retraite, arrangements en matière médicale, permis de travail, fiscalité sur les revenus perçus à l'étranger, virements d'argent entre banques : les interrogations sont multiples et personne ne sait y répondre. My God ! Il faut dire que c'est inédit, jamais un pays membre n'a encore quitté l'Union européenne.

Un tiers des 2 700 habitants du joli village d'Eymet avec vue sur un riche patrimoine médiéval et bruits sur les eaux de la Dropt sont britanniques. En quête d'une vie plus douce, ils sont 10 000 à avoir élu domicile dans le département, surnommé « « Dordogneshire ». Si une majorité sont retraités, on trouve de plus en plus d'actifs : patrons de café et de restaurant, artisans, brocanteurs. Ou agent immobilier, comme Jane à Eymet depuis 1991. Qui s'affole malgré le mug « Keep Calm » posé sur son bureau : « C'est vivant chaque soir, il y a des bars, des restaurants. Si les Anglais repartent, le village va mourir. Même chose dans les campagnes alentour. Les Anglais font les travaux dans les maisons et les familles mettent leurs enfants dans les écoles, c'est pour ça qu'elles ne ferment pas. »

Peur sur la livre sterling

Lui ne présage pas la mort du village. Tim Richardson, unique Anglais au conseil municipal et viticulteur de 50 ans, sait que les Britanniques ne vont pas déserter du jour au lendemain l'UE et Eymet : les traités de Bruxelles prévoient une période de deux ans de négociation des conditions de sortie. Et il convoque le krach boursier de 2008 qu'avait surmonté le village : « La livre sterling avait perdu de sa valeur face à l'euro, c'était très compliqué, surtout pour les retraités qui touchaient leur pension en Angleterre. Du jour au lendemain, ils ont perdu 30 %  de leur pouvoir d'achat. » À la chambre franco-britannique de la CCI Dordogne, Roger Haigh se rappelle cette année-là : « Il y avait eu une diminution importante des arrivées et le départ d'un nombre conséquent de Britanniques qui avaient vendu leur propriété pour retourner au Royaume-Uni. Aujourd'hui, même les économistes les plus neutres disent que la livre va chuter s'il y a Brexit. De combien sera cette baisse ? Comme le reste, personne ne peut le dire. »

Deux millions de travailleurs européens résident au Royaume-Uni, plus d'un million de Britanniques vivent dans un autre pays de l'UE (dont 185 000 en France) et la communauté française outre-Manche regroupe au bas mot 300 000 expatriés. « Si la Grande-Bretagne sort de l'Europe, il va y avoir une période un peu douloureuse de renégociations, et inévitablement la mise en place d'accords bilatéraux entre les pays, soutient Haigh, en Dordogne depuis 24 ans. Les expatriés sont trop nombreux pour qu'un pays membre dise tout d'un coup : On arrête tout, vous repartez. »

Business is business, le risque du Brexit n'a pas encore entamé la bonne marche de l'économie périgourdine. « Des contacts nous disent qu'ils attendent le résultat pour continuer leurs démarches d'enregistrement, mais c'est minoritaire. L'an passé, on a enregistré plus de 80 autoentrepreneurs en provenance de la Grande-Bretagne. Pour l'instant, les chiffres ne disent pas qu'il y aura une baisse. »

Des Anglais prêts à devenir français ?

Chiropraticien à Eymet depuis 2001, Simon est le seul Britannique rencontré dans le village, ouvertement favorable à un divorce avec l'UE. Même si les partisans du maintien, croisés dans ce coin du Périgord arraché aux Anglais en 1377 par les troupes de du Guesclin, réclament tous une Europe plus claire, plus concrète, plus proche d'eux. Dans le confort de son cabinet, Simon joue l'attaque sur l'air de la défiance : « Je n'ai pas confiance, je n'aime pas l'Europe. » Pour lui, c'est une jolie dame mais qui fait payer cher ses charmes. « Les Anglais paient beaucoup », répond-il, soucieux de la préservation de la souveraineté de la Grande-Bretagne. Il exclut la désunion en cas de Brexit, si jamais les Écossais se prenaient d'envie d'un nouveau référendum pour leur indépendance. Simon cible les immigrés, puissant moteur du vote « Leave Europe ». D'un ton dénonciateur : « Ils veulent venir en Angleterre pour ne rien faire, juste avoir le bénéfice d'être anglais. » Il aime sa vie à Eymet. « Ici, c'est calme et agréable, et les gens sont sympas », dit-il, un sourire dans la voix. S'il le faut pour rester, il demandera une carte de séjour. Et la nationalité française ? Il fait non de la tête. Avec fierté : « Je suis anglais ! » Eymetois depuis 27 ans et patron du pub Gambetta posé sous les arcades moyenâgeuses, Rupert n'a jamais compris « l'entêtement isolationniste des Anglais, cette manie de se trouver différents ». Sans hésiter, lui ira à la préfecture demander sa naturalisation : « Je veux être européen. Ce sera ma façon de l'être si l'Angleterre sort. »

En cette soirée de clôture des votes, Jane sera dans l'école anglaise d'un village voisin : « On a prévu une soirée avec des plats anglais. Ce sera peut-être une célébration ou peut-être qu'on va pleurer. Ce sera peut-être la dernière fois, ma vie va peut-être changer à la fin du mois. » Son regard songeur cherche une réponse, au loin derrière la vitrine de l'agence immobilière. « Mon mari sera en Angleterre pour le résultat, je lui ai dit : Qu'est-ce qu'on fait s'ils ne te laissent pas revenir  ? Tu ne vas jamais rentrer ! » Elle lance dans un rire tonitruant, posé comme un voile sur son inquiétude : « On se parlera sur Skype. »

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Commentaires (13)

  • mifa52

    De très nombreux britanniques s'étaient installés en Dordogne bien avant 1980. Rien ne changera pour eux, ni pour ceux qui viendront s'y installer dans l'avenir.

  • Albretcht

    Pourquoi, chez certains, ces relents de xénophobie envers nos voisins. Les Huguenots que nous avons poussés à l'exode ont fait le bonheur des pays d'accueil non seulement en Europe mais beaucoup plus loin à la pointe de l'Afrique autour de la ville du Cap, à Franshhoek, "le coin des Français", dont le cimetière est plein de noms de chez nous, et région où l'on peut admirer de superbes vignobles créés par ces migrants dans une nature de grande beauté avec des villes, notamment Stellenbosch d'un charme fou, du moins naguère. Si nous avions fait appel à une main-d'œuvre de jeunes et moins jeunes européens, aurions-nous les problèmes qui minent maintenant la France !? Notre avenir est dans une Europe véritable, ce n'est malheureusement pas celle que nos responsables ont faite, mais n'est-elle pas préférables au retour à notre chauvinisme qui nous a valu, en 75 ans, trois guerres qui ont anéanti des peuples pourtant de même culture... Qui se relevaient à peine du règne d'un dictateur qui ne recherchait que sa gloire personnelle et celle de sa famille pour laquelle il sacrifia presque toute notre jeunesse d'alors.

  • L.Huron

    Napoléon Bonaparte, qui ne débordait pas de sympathie pour les sujets du Royaume Uni, les traitait de "boutiquiers", ce qui était loin d'être un compliment dans la bouche de l'Empereur.
    Alexis de Tocqueville, plus mesuré dans son propos, déplorait leur "esprit de commerce" qui privait les Anglais (et les Américains) de toute perspective philosophique et de toute pensée politique.
    Le tournure prise par le référendum sur le "Brexit" est hélas révélateur de l'état d'esprit d'une partie des sujets de sa Trés Gracieuse Majesté partisans de claquer la porte de Bruxelles-pourquoi pas-, mais les lamentations des exilés en Dordogne sont encore plus pitoyables.
    Recréant un communautarisme néo-colonial, les Anglais installés en France illustrent parfaitement l'aphorisme selon lequel ils aiment la France (enfin, sa sécurité sociale, sa fiscalité douce pour les étrangers, et accessoirement son vin pour de rares connaisseurs) mais détestent les Français.
    Souvenons de la réponse superbe de Surcouf à un officier de la Royal Navy qui reprochait aux corsaires de "La Royale" de s'attaquer aux cargaisons des navires ennemis, les vaillants marins de sa Majesté n'étant censés se battre seulement "pour l'honneur" : "Mon cher, on se bat toujours pour ce qu'on n'a pas. "...