Menu
Libération
Récit

«Qui se déchire, en réalité ? C’est pas la gauche, c’est le Parti socialiste !»

A la permanence parisienne du XIe arrondissement, où les militants font grise mine, un mot d’ordre : tout sauf Hollande au premier tour en 2017.
par Noémie Rousseau
publié le 21 juin 2016 à 20h31

Il reste des tags rouges sur la façade, une vitrine brisée et la vidéo sur YouTube. Les militants socialistes passent désormais la porte sans plus prêter attention aux dégâts causés sur leur permanence du XIe arrondissement parisien. «C'est l'expression de gens qui ont un avis un peu différent du nôtre», souffle une jeune femme qui comprendrait presque le geste. «C'est un peu difficile en ce moment de se dire encarté au PS, cela suscite beaucoup de questions», poursuit-elle, embarrassée. Ce samedi soir de la fin mai, c'est AG. Pas de thème, pas d'ordre du jour. Juste l'occasion de vider son sac, sur fond de crispations autour de la loi El Khomri. Ce sont «des réunions généralement très fréquentées», explique Philippe Wehrung, le secrétaire de cette section plutôt légitimiste.

Une quarantaine de personnes se pressent. «Le risque le plus grave, c'est de rester prisonniers d'un jeu de rôle politique illisible pour les Français, […] contraints d'être soit des fans de, soit des frondeurs», commence Philippe avant de rappeler que «Hamon et Montebourg ont été des acteurs essentiels dans la nomination de Valls comme Premier ministre». Puis il en met une couche sur cette «classe politique relativement médiocre», avant d'arriver au sujet qui fâche, la loi travail, archétype de «tout ce qu'il ne faut pas faire». «On a créé une impasse, on ne sait pas comment en sortir, ni comment ne pas perdre la face !» conclut-il. Le décor est planté. Au premier rang, le député Patrick Bloche se lève. «Quand on me demande comment ça va, je réponds "comme un député socialiste".» On rit jaune à l'unisson, comme un rappel à l'essentiel : ils sont tous embarqués dans la même galère. «A un an de la présidentielle, nous aurions pu tirer avantage d'une situation économique plus porteuse», regrette le député, avant d'aborder «un mal profond» : «La décomposition préoccupante de la gauche.» Ça ricane dans les rangs. «J'ai des regrets… le parti est un peu moqué», lâche l'élu, qui harangue enfin l'assemblée : «Il faut sortir de la nasse […]. 2017, c'est pas foutu !»

«Beaucoup de couleuvres»

Bastien est un militant en colère qui n'a toujours pas digéré le choix par le gouvernement de la politique de l'offre. «Utiliser les marges de manœuvre pour faire des cadeaux aux entreprises en espérant que cela ait un effet sur l'emploi : c'est le choix de l'exécutif avec lequel on n'a jamais été d'accord, s'étrangle-t-il. Et nous, militants socialistes, on devrait assumer ? Le PS n'est pas comptable de ce bilan !» En tailleur bleu électrique, Danièle Hoffman, ex-députée de Paris, trépigne, fiches en main. Quand son tour vient, elle bondit et avertit qu'elle ne sera «pas applaudie», pour sa position «moins consensuelle». La suppléante de Cécile Duflot fait la promotion de la loi travail, des compromis, des amendements. On entend les dents des militants grincer. Elle insiste, supposant qu'ils ont peut-être mal lu la loi. «Qui a déjà travaillé dans une TPE-PME ?» demande-t-elle. Une majorité de mains se lèvent. Alors elle retente le coup : «Qui a déjà dirigé une PME ?» Cette fois, elle les tient, eux, «si contents d'aller dans les manifs de la CGT quand on est dans l'opposition» et bien incapables d'admettre qu'«une fois au pouvoir, il faut prendre en compte la réalité». Face à la grogne, elle se pique : «J'ai avalé beaucoup de couleuvres, mais quelque chose est mort en 2005 [au PS, ndlr], avec le référendum européen. Des camarades ont commencé à coller contre le vote militant. Avant, il était respecté.»

Illustration illico avec Fabien, trentenaire en costume gris qui se présente comme «frondeur». «Hollande a renoncé dès 2012 à son projet, qui n'était pourtant pas radicalement de gauche. Il n'a pas échoué. Il n'a même pas essayé ! Or, ce que veut le peuple de gauche, c'est du courage», s'emporte-t-il. En 2016, il s'attendait à une «regauchisation du discours» en vue des élections. Raté. «Sur les questions économiques, nous n'avons jamais été d'accord, mais avec la déchéance de nationalité, ils s'en sont pris au seul truc qui nous reste, les valeurs, l'inclusion», s'indigne Fabien. Il marque un temps, et reprend, solennel : «Je vous préviens, je ne voterai pas François Hollande au premier tour en 2017.»

Entre compassion et lassitude

Cheveux blancs, polo bleu, et l'air dépité, Michel avoue qu'il «espérait qu'un gouvernement de gauche n'ait pas à envoyer les forces de l'ordre contre des manifestants». L'homme dit sa «honte» d'entendre «la sémantique de la droite dans la bouche de Valls et Hollande», «honte» de voir un «gouvernement de gauche être réduit au rôle d'arbitre entre les syndicats». Mais ce sont «les conséquences au sein du parti» qui semblent le plus l'affecter. Michel a entendu des camarades qui voudraient «clarifier le PS», qui «préféreraient qu'un certain nombre de gens ne soient pas là pour être bien tranquilles entre centre droit et centre gauche». Il interpelle Danièle, qui évoquait une «rupture idéologique» au sein du parti après 2005. Elle maintient. Les autres raillent. «L'union des centres est une utopie qui court depuis la IIIe République», enchaîne Michel, qui annonce, lui aussi, droit dans ses bottes, qu'il ne votera pas Hollande en 2017.

«On avait misé sur des déchirures à droite avec leur primaire, mais qui se déchire en réalité ? C'est pas la gauche ! C'est le PS !» s'énerve un jeune homme. Un monsieur en imperméable vert se dit «choqué» de voir «arriver des petits jeunes qui oublient leur appartenance à une majorité et votent contre le gouvernement». Il se souvient du virage de 1983 sous Mitterrand : «Là, on n'avait pas vu de frondeurs !» La soirée vire à la querelle des anciens et des modernes. La petite vingtaine, Raphaël est arrivé en retard parce qu'il «travaillait pour [se] payer un costard». Lui a changé de camp avec le débat sur la déchéance de nationalité, qui lui a «donné la gerbe». «Je veux qu'il y ait une trace dans les livres d'histoire : tous les socialistes n'ont pas abdiqué.»

«Pourquoi diable en sommes-nous arrivés là ?» demande un vieux militant qui n'a pas le souvenir que «la situation ait un jour été aussi dramatiquement merdique». Il est «écœuré» de «voir la droite revenir et que la gauche ne soit plus jamais au pouvoir d'ici la fin de [sa] vie». Et pourtant, «ça va mieux dans le pays», rappelle Florent, «même si, dans notre vie militante, ça n'a jamais été aussi pourri». Le trentenaire veut arrondir les angles, il oscille entre compassion et lassitude. Il ne va pas jusqu'à afficher un optimisme déplacé. «La séquence est difficile, […] on va tourner la page, […] la crise sociale peut se débloquer, essayons de nous mettre d'accord.» Il voudrait éviter «l'hystérie» d'un nouveau 49.3 lorsque le texte de la loi travail reviendra devant l'Assemblée nationale, début juillet, les «motions de censure dont tout le monde sort cramoisi».

«Silence assourdissant de Cambadélis»

«Cela fait vingt ans qu'on fait des colloques et on n'a toujours pas de projet cohérent. Arrêtons de nous plaindre et essayons d'avancer», dit un autre. «Les gens ne voient pas où on va depuis 2012, on est en partie responsables de la crise, de la fracture dans le pays», estime un quadra aux grandes lunettes, crâne rasé. Et dans ce contexte, il est «effaré par le silence assourdissant de Cambadélis. Le PS doit exister à côté du gouvernement». Plus personne n'a rien à dire. On a fini de s'envoyer la vaisselle à la figure, on range les chaises en se félicitant de la qualité du débat, «moins houleux» que d'habitude… Quelques militants prolongent la discussion le temps d'une cigarette sur le trottoir humide, sous les fenêtres brisées qu'ils ne voient pas.

à lire aussi :Les QG socialistes attaqués en permanences

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique