En cas de « Brexit », la question ne serait probablement pas la plus épineuse à laquelle l’Union aurait à répondre, mais elle aurait une forte charge symbolique : quel sort sera réservé aux quelques centaines de fonctionnaires européens de nationalité britannique, vivant et travaillant pour la plupart entre Bruxelles et Luxembourg ? Plus encore que leurs collègues des 27 autres Etats de l’UE, ils appréhendaient le résultat du référendum du jeudi 23 juin. La plupart, en Européens convaincus, vivraient la victoire d’un « Leave » comme un véritable traumatisme. Mais ils craignent aussi de perdre leur emploi.
« Bien sûr que je suis inquiète, on ne sait pas du tout ce qui pourra nous arriver, il y a eu une réunion d’information [organisée par les syndicats] au printemps. Il a été dit qu’il n’y avait aucune certitude, mais que nos cas ne seraient pas réglés dans l’immédiat, qu’on aurait le temps d’aviser », témoigne une fonctionnaire britannique soucieuse de garder l’anonymat. La jeune femme a eu ses enfants en Belgique et, comme beaucoup de ses collègues, elle y a effectué l’essentiel de sa carrière, au sein des institutions communautaires. Elle imagine mal de devoir quitter son travail, voire ce pays.
Se battre pour « éviter les licenciements »
Le code du travail de la haute fonction publique européenne n’a rien de rassurant. A en croire l’article 28 de la « réglementation du personnel » de l’UE, un fonctionnaire « est recruté à condition qu’il soit ressortissant d’un des pays membres de l’Union européenne, sauf si une exception est autorisée par les autorités qui le nomment ». A Bruxelles, on cite souvent le cas d’une poignée de Norvégiens recrutés à la Commission (sept aujourd’hui) ou de quelques Croates embauchés avant l’adhésion de leur pays à l’UE, précisément pour aider Bruxelles à la préparer.
L’Union syndicale, le principal syndicat des fonctionnaires européens, est très prudente : « Les textes n’interdisent pas qu’on puisse démettre les fonctionnaires britanniques d’office, mais, s’ils ne sont pas tous traités sur un pied d’égalité, ils pourraient certainement contester la décision des institutions européennes devant la Cour de justice de l’UE », suggère Félix Géradon, secrétaire général adjoint de l’Union syndicale. « Nous nous battrons pour éviter ces licenciements. En cas de démissions d’office, nous nous battrons pour que les personnels puissent partir avec des indemnités », ajoute le syndicaliste.
Le plus probable, estime M. Géradon, comme d’autres sources proches de la Commission et du Conseil européen, c’est que les Britanniques ne seront pas tous remerciés du jour au lendemain, qu’une négociation s’engagera pour régler les modalités du divorce entre le Royaume-Uni et l’UE. « Ne serait-ce que pour assurer les traductions en anglais, on aura besoin de personnel ! », souligne-t-il.
« Déjà pas mal de binationaux »
Les plus jeunes devraient probablement faire une croix sur leur plan de carrière. « Pas sûr qu’ils vont vouloir rester dans une administration qui leur fera comprendre qu’ils ne sont plus les bienvenus », reconnaît une source britannique. Quant à ceux qui occupent les plus beaux postes dans la haute administration européenne, les chefs et sous-chefs des principales directions bruxelloises, ils auront du mal à se maintenir à ces fonctions très politiques.
Les Britanniques sont relativement peu nombreux au sein des institutions européennes : 1 164 sur 33 000 à la Commission, selon un recensement de 2016, moins que les Roumains (1 306), beaucoup moins que les Français (3 193) et que les Belges (5 400). Cette faiblesse est l’un des symptômes du vieux désamour entre Londres et Bruxelles, la carrière européenne ne faisant pas fantasmer les élites britanniques.
L’Union syndicale a fait passer le message aux personnels : pas besoin de se précipiter pour solliciter une double nationalité auprès d’un pays membre de l’Union afin de sauver leur poste. Les Britanniques ne semblent pas avoir pris d’assaut les autorités belges compétentes, qui ne communiquent aucun chiffre. « Il y a déjà pas mal de binationaux, avec des passeports belges ou irlandais », souligne une Britannique de Bruxelles.
Cependant, certains ont pris les devants. Peter Guilford, fondateur de l’agence de relations publiques GPlus, est de ceux-là : « Je ne suis pas fonctionnaire, mais je ne veux pas rester dans l’incertitude pendant les années que pourrait durer le divorce entre le Royaume-Uni et l’UE. Je vis ici depuis trente ans, j’ai demandé la nationalité belge. » Ce chef d’entreprise, ex-fonctionnaire de la Commission, explique avoir entrepris les démarches il y a un mois. Il espère recevoir ses papiers en octobre : « La dame qui m’a répondu au téléphone m’a parlé comme si j’étais la cent unième personne à lui poser la question », témoigne-t-il…
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