Brexit

Cinq raisons pour que Londres parte

Vu de Bruxelles, les dirigeants européens ne seraient pas fâchés d’un Brexit, même si peu d’entre eux l’affirment en public. Ainsi débarrassés des fréquents blocages de Londres, ils pourraient enfin relancer l’Union.
par Jean Quatremer, Correspondant à Bruxelles
publié le 22 juin 2016 à 21h11

Disons-le d'emblée : le départ du Royaume-Uni serait une bénédiction pour l'Europe. Certes, peu de voix officielles osent le dire, en dehors de quelques eurodéputés français et luxembourgeois, mais presque tout le monde est las des crises de nerfs britanniques à répétition. Qu'ils sortent et qu'on en finisse, voilà ce que pensent beaucoup de continentaux. Passage en revue des principales raisons pour lesquelles le leave, vu d'Europe, doit l'emporter.

Pour ne pas mettre l’UE en danger

Les partisans du Brexit espèrent qu'il entraînera la chute de l'Union, ce nouvel «Empire du mal». Une hubris hors de propos tant elle mésestime sa résilience : outre que ce n'est pas la première fois que l'UE est confrontée à une sortie de l'une de ses parties (le Groenland), à un refus d'adhérer après négociations (la Norvège, à deux reprises), à une interruption des négociations (l'Islande), à des référendums négatifs sur un traité (le Danemark, l'Irlande, la France, les Pays-Bas et la Suède), on se demande bien qui aurait intérêt à partir. D'une part, il faudrait qu'un gouvernement soutenu par son Parlement le décide. Ou, s'il existe une procédure référendaire (ce qui est loin d'être la règle), qu'un Etat décide de l'utiliser. A l'Ouest, aucun gouvernement n'est prêt à suivre David Cameron. Et nulle part un référendum d'initiative populaire sur l'appartenance à l'Union n'est autorisé.

D’autre part, il faudrait qu’un pays ait un intérêt à le faire, ce qui n’est pas le cas : les gouvernements d’Europe de l’Ouest savent tout ce que leurs pays ont à perdre en quittant l’UE, comme l’a montré le précédent grec, au gouvernement pourtant largement eurosceptique. Certes, si le FN arrivait au pouvoir en France, les choses pourraient évoluer. On n’en est pas là. Et les Etats d’Europe centrale, dont les gouvernements sont encore plus eurosceptiques que l’Ukip, n’ont aucune intention de partir : ils reçoivent l’équivalent de 4 % de leur PIB annuel en fonds communautaires, une manne à laquelle personne n’est prêt à renoncer. Enfin, même si un ou deux pays suivent le Royaume-Uni, cela permettra de clarifier le projet communautaire : mieux vaut continuer à avancer dans l’intégration avec des pays qui en ont envie. La sortie de la Grande-Bretagne décidée par elle-même et pour elle-même sera son problème, pas celui de l’Union.

Pour décourager les europhobes

Le départ du Royaume-Uni donnera une leçon grandeur nature à tous ceux qui pensent qu'une fin de l'Union serait sans douleur. Berlin et Paris ont été d'une rare fermeté : in, c'est in, out, c'est out. En clair, Londres ne pourra avoir le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière. Le message est destiné aux citoyens britanniques, mais aussi à leurs europhobes nationaux du FN ou de l'AfD. Dans un premier temps donc, l'Union négociera la rupture de ses liens avec la Grande-Bretagne : deux ans de palabres pendant lesquels les Britanniques vont comprendre leur douleur. D'une part, ils vont voir leur croissance chuter, les marchés n'aimant pas l'incertitude ; et, d'autre part, ils vont devoir légiférer à tour de bras pour remplacer les textes européens intégrés dans leur droit, ce qui promet une kyrielle de procès, pour le plus grand bonheur des avocats, en cas d'oubli ou pour gérer la transition.

Ensuite, Londres devra solliciter Bruxelles, mais aussi l’ensemble des Etats tiers avec lesquels l’Union a signé des accords commerciaux, pour négocier un nouveau statut. Et cela va prendre du temps. En attendant, le Royaume-Uni sera traité comme un simple pays tiers ne bénéficiant d’aucun accès privilégié au marché unique, ce qui incitera de nombreuses compagnies à délocaliser sièges et productions sur le continent. Pire, Londres perdra les chambres de compensation en euros, la City cessant ipso facto d’être la place financière de la monnaie unique. Le futur statut de la Grande-Bretagne s’annonce coton puisque, pour avoir accès au marché unique, il faudra au minimum respecter les fameuses normes européennes exécrées… Si elle veut davantage (accès aux services, notamment financiers), il faudra qu’elle accepte des politiques dont elle ne veut pas, comme la libre circulation et une contribution au budget communautaire. Bref, la sortie de l’Union va s’avérer douloureuse pour l’économie et la souveraineté britannique, dont on va s’apercevoir qu’elle n’est finalement pas si souveraine que ça finalement.

Pour permettre de développer l’Union

Pour éviter aux forces centripètes de l’emporter, il ne suffira pas de rendre la sortie britannique douloureuse. Il va aussi falloir redonner du sens à la construction communautaire, beaucoup de ses citoyens ne percevant plus les raisons de s’unir. En clair, l’Union va devoir quitter l’entre-deux dans lequel les gouvernements se complaisent et achever la construction de la zone euro : c’est en effet cette dernière qui pose problème, pas la vieille Union désormais démocratisée.

L'idée n'est pas de construire un super-Etat centralisé, mais de donner à la zone euro les moyens de se gouverner (budget, Trésor, ministre des Finances) et d'instituer un contrôle parlementaire de ses décisions. De même, les Européens comprennent de moins en moins pourquoi l'UE intervient dans des domaines comme la production du fromage au lait cru et pas dans ceux de la défense, de la politique étrangère, de l'immigration, de la sécurité intérieure, les vrais défis du XXIe siècle. Or, sur ces questions, c'est Londres qui bloque, rendant extrêmement complexe tout changement des traités à vingt-huit. Mieux, son départ va obliger les Etats à consolider un ensemble qui donne de la gîte sous les coups de la «polycrise» qu'il traverse depuis 2008. A Paris, on se dit prêt à faire des propositions et on assure que Berlin est sur la même longueur d'onde.

Pour mettre en pause l’élargissement

Les plus fervents défenseurs d'une Union ouverte aux quatre vents et la plus molle possible sont à Londres. Une fois écartés des mécanismes de décisions, ils ne pourront plus pousser à la roue de «l'ultralibéralisme». En clair, l'époque des traités de libre-échange signés avec la terre entière et des élargissements mal préparés sera terminée. Ainsi, le CETA, signé avec le Canada, le futur TTIP avec les Etats-Unis ou l'adhésion des Balkans seront sans doute renvoyé sine die, au grand soulagement de populations épuisées par cette mondialisation effrénée dont l'UE semble être l'idiote utile : en effet, de tous les ensembles politiques du monde, elle est la zone la moins protectionniste…

Pour rapprocher les citoyens de l’UE

Europe sociale, Europe fiscale, solidarité financière, politique industrielle, grands travaux, autant de gros mots aux oreilles des Britanniques, de droite ou de gauche. Il a fallu la crise de 2007-2008 pour que la Grande-Bretagne accepte enfin un peu de régulation financière. Mais il est hors de question pour elle d’aller au-delà, et notamment de passer au vote à la majorité qualifiée dans des domaines qu’elle considère comme relevant de sa souveraineté. Une attitude qui rend l’Union totalement illisible : les Britanniques la trouvent bien trop interventionniste, et les continentaux, beaucoup trop libérale et éloignée de leurs préoccupations quotidiennes. Là aussi, la sortie britannique permettra à l’Union d’aller de l’avant sans plus redouter un énième veto.

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