Manif anti-loi Travail : comment Valls a perdu la face

LE FAIT DU JOUR. Partisan d'une interdiction de la manifestation prévue aujourd'hui à Paris par les syndicats, le Premier ministre a dû faire marche arrière. Un cafouillage qui laissera des traces.

Palais Bourbon (Paris VIIe), hier. Le revirement du gouvernement, avec une interdiction de manifester décrétée à 9 heures puis retirée à 13 heures, a écorné la réputation d'homme à poigne de Manuel Valls.
Palais Bourbon (Paris VIIe), hier. Le revirement du gouvernement, avec une interdiction de manifester décrétée à 9 heures puis retirée à 13 heures, a écorné la réputation d'homme à poigne de Manuel Valls. (AFP/ThomasSamson.)

    Manuel Valls n'a plus qu'à espérer qu'il y ait... beaucoup de manifestants! En cas de forte affluence ce jeudi après-midi place de la Bastille, les opposants au projet de loi Travail seront bloqués et contraints de faire du surplace. Et le Premier ministre, qui rêvait d'un « rassemblement statique », sauvera ainsi la face. Un comble pour le chef du gouvernement, qui n'a finalement pas mis sa menace d'interdiction de manifester à exécution. Quitte à donner une impression de flottement.

    Et, pourtant, mardi soir, lorsque les ténors de la majorité sont réunis avec François Hollande à l'Elysée, tous sont d'accord : « On ne cède pas aux syndicats sur le parcours. » Valls a préféré sécher le dîner de travail pour passer la Fête de la musique avec sa femme, la violoniste Anne Gravoin, le temps d'un concert de Nolwenn Leroy dans les jardins de Matignon. Mais le chef du gouvernement a déjà donné le la. Les parcours proposés par la CGT et FO? « Trop longs », a jugé le Premier ministre, favorable à un rassemblement statique ou rien. Et tant pis si, depuis trois jours, Bernard Cazeneuve tente d'arracher un compromis avec Martinez (CGT) et Mailly (FO). Pas question de revivre les scènes de « guérilla » des neuf défilés précédents. La hantise de Valls : « Un drame irrémédiable », glisse un conseiller élyséen. En clair, une bavure.

    Malgré les menaces, les syndicats refusent pourtant de plier. Finalement, mercredi matin, c'est le préfet de police de Paris, Michel Cadot, qui se retrouve envoyé au front par l'exécutif. « Il n'y a pas d'autre choix que d'interdire la manifestation », endosse le haut fonctionnaire. En réalité, le communiqué a été rédigé avec l'assentiment de Beauvau et de Matignon. « Il a même été relu par le président », assure un proche à l'Elysée. Mais ni Valls, ni Cazeneuve, ni Hollande n'assument publiquement.

    « Vous nous voyez passer les menottes à Martinez ? »

    Et pour cause, c'est l'hystérie. De Jean-Luc Mélenchon aux frondeurs du PS, tous se déchaînent contre « une atteinte à la démocratie ». Même les plus conciliants, comme la CFDT et la CFE-CGC, font part de leur courroux. La situation est épineuse pour tous les protagonistes. Valls passe pour un quasi-dictateur. Dans les rangs du gouvernement, on frémit d'avance : « Vous nous voyez passer les menottes à Philippe Martinez et Jean-Claude Mailly ? » glisse un conseiller. Et, au-dessus des leadeurs syndicaux, plane le spectre des violences en cas de manifestation sauvage. Ils tentent donc le tout pour le tout. Peu avant le Conseil des ministres d'hier matin, le portable de Cazeneuve sonne. « Les syndicats veulent me voir », transmet-il à Hollande et Valls. Dans la foulée, le ministre de l'Intérieur leur met le marché entre les mains : 1,6 km entre la place de la Bastille et... la place de la Bastille. Une manif en rond. « En rond de façon statique », raille Mélenchon. Matignon va même jusqu'à calculer la distance autour du bassin de l'Arsenal, « deux fois 800 m ». « Tout le monde gagne : Valls parce que c'est un peu statique, les syndicats parce que c'est un peu défilant », ironise ce conseiller du gouvernement.

    Certes, il n'y aura pas de long cortège comme celui du 14 juin à Paris, lors duquel des vitres de l'hôpital Necker avaient été cassées. Mais, après la valse-hésitation d'une interdiction décrétée à 9 heures et annulée à 13 heures, la crédibilité de Valls en prend un coup. Fidèle à sa réputation d'homme à poigne, il est le premier à avoir dégainé l'arme atomique de l'interdiction de manifester. Nicolas Sarkozy avait d'ailleurs beau jeu de le ridiculiser : « On n'y comprend plus rien. » Comme si cet amateur de taureaux avait été pris à son propre jeu, à en croire un conseiller de l'Elysée qui le connaît bien : « Valls le Catalan voulait la queue et les deux oreilles, il n'a obtenu que le museau... »