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« A chacun son Sahel » ou la cacophonie internationale dans la lutte antiterroriste

Quatorze missions nationales et internationales rivalisent d’envoyés spéciaux et de délégations pour faire valoir chacune sa stratégie au Sahel. Sans coordination.

Publié le 23 juin 2016 à 00h07, modifié le 27 juin 2016 à 19h06 Temps de Lecture 3 min.

Sur la base aérienne de Thiès, près de Dakar, des soldats sénégalais participent, en février 2014, à un exercice militaire réunissant des troupes africaines, européennes et américaines engagées dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.

On savait la coopération internationale capable de tout. Mais l’exemple auquel je consacre ma chronique cette semaine bat tous les records en matière d’aberrations et d’absence de coordination. Voyons plutôt : il existe aujourd’hui pas moins de quatorze stratégies différentes en faveur du Sahel. Certes, la région est vaste, s’étendant de la Mauritanie au Tchad en passant par le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Mais cela fait davantage de stratégies que de pays concernés (dix). Les Nations unies ont la leur pour les Etats sahéliens, à l’instar de l’Union européenne (UE), de l’Union africaine, de la Banque mondiale (BM) et de la Banque africaine de développement (BAD), qui ont chacune développé leur mission propre.

Et, comme pour ajouter à « cette guerre de stratégies », certains pays ont pris l’initiative de mettre en œuvre des plans nationaux pour le Sahel. En première ligne dans la lutte contre le terrorisme, la France avec son opération militaire « Barkhane », alors que l’Espagne, les Pays-Bas et l’Allemagne ont leur agenda et leur politique d’aide aux pays de l’espace sahélien.

Pour couronner le tout, certaines stratégies sont mises en œuvre par des envoyés spéciaux installés à Dakar ou à Bamako. Ainsi l’Ethiopienne Hiroute Guebre Sellassie assume depuis 2014 les fonctions d’envoyée spéciale des Nations unies au Sahel aux côtés de l’Espagnol Engel Lossada, missionné par l’UE, et du sénateur Didier Berberat, envoyé spécial de la Suisse pour la région. La Suise qui a également missionné l’ambassadeur Jean-Daniel Biéler comme Conseiller spécial pour la région d’Afrique centrale avec focus sur le bassin du Lac Tchad.

Enfin, autre appellation mais même fonction : l’ancien chef de l’Etat burundais Pierre Buyoya est, pour sa part, le haut représentant spécial de l’Union africaine pour le Mali et le Sahel (Misahel).

Gros 4x4 et bureaux de standing

L’installation d’un envoyé spécial pour le Sahel à Bamako s’accompagne forcément de la location de bureaux de haut standing, du recrutement d’un staff conséquent et de l’achat de gros véhicules 4X4. Le financement de ce train de vie est naturellement prélevé sur l’enveloppe destinée à soutenir la résilience des populations sahéliennes face à la menace terroriste et à combattre la pauvreté, laquelle offre un terreau favorable au recrutement des jeunes désœuvrés par des groupes extrémistes.

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Pour les Etats du Sahel, la surenchère des stratégies et la multiplication des envoyés spéciaux tournent au cauchemar. Les ministères des pays concernés se retrouvent à gérer les missions en cascades de leurs partenaires, avec le même ordre du jour.

Résultat : ministres et collaborateurs répètent à la délégation qu’ils reçoivent aujourd’hui ce qu’ils ont expliqué à celle de la veille et qu’ils rediront le lendemain à une autre.

Outre le temps perdu dans ces réunions à n’en point finir, cette absence de coordination entre partenaires crée de doublons dans le choix et la mise en œuvre des projets. Selon la thématique à la mode, tout le monde fait de la lutte contre le terrorisme, après avoir fait du changement climatique, ou de l’égalité des genres.

Ces méthodes regrettables, « à chacun son Sahel », sont d’autant plus surprenantes que les bailleurs de fonds s’étaient solennellement engagés en novembre 2013 à travailler dans la sous-région en parfaite synergie. Pour donner des gages de leur détermination à éviter la dispersion, ils avaient organisé une tournée conduite au Mali, au Burkina Faso et au Niger par le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, la présidente de la Commission de l’Union africaine, NKosazana Dlamini-Zuma, et le commissaire européen au développement de l’époque, Andris Piebalgs.

A bord du même avion se trouvaient le président de la Banque mondiale Jim Yong Kim et le président d’alors de la Banque africaine de développement, Donald Kaberuka. Tous avaient juré, lors d’une conférence commune, que le travail solitaire avait définitivement laissé place à la concertation, à la coordination, à la recherche des synergies et à la simplification des procédures de décaissement des fonds.

Les vieux démons

Las. De retour à New York, Addis-Abeba, Bruxelles et Tunis, les organisations internationales ont été rattrapées par les vieux démons de la coopération internationale. Ceux-là même qui font que chaque « enseigne » intervient avec sa culture et ses lourdeurs, sans se soucier de ce que met en œuvre ou pense sa voisine.

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Et la note d’espoir ? Elle vient des pays du Sahel eux-mêmes. Instruits peut-être par la cacophonie de leurs partenaires internationaux, ils ont fait le choix inverse et décidé d’agir de concert. Pour cela, ils ont créé en décembre 2014 le G5 Sahel autour du Burkina, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad. Les débuts de cette jeune organisation semblent très prometteurs.

Seidik Abba, journaliste-écrivain, auteur de Rébellion touarègue au Niger. Qui a tué le rebelle Mano Dayak ? (éd. L’Harmattan, 2010).

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