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Au Kenya, des réfugiés deviennent entrepreneurs et parfois... millionnaires

Dans le camp de Kakuma, où vivent 192 000 personnes, on trouve tout ou presque : restaurants, épiceries, boutiques, cybercafés, et commerçants prospères.

Par  (contributrice Le Monde Afrique)

Publié le 23 juin 2016 à 12h25, modifié le 24 juin 2016 à 09h44

Temps de Lecture 3 min.

Mesfin Getahun, dit « le millionnaire », tient un imposant commerce de gros dans le camp de réfugiés de Kakuma, dans le nord-ouest du Kenya. Originaire d’Ethiopie, Il emploie une trentaine de travailleurs, tant des réfugiés que des Kenyans issus de la tribu locale des Turkanas.

Du haut de son trône improvisé – une pile de cartons remplis de sachets de lait en poudre – Mesfin Getahun répond d’une voix douce aux questions d’un employé, régissant avec minutie l’activité bouillonnante de cet entrepôt aux allures de caverne des merveilles. Bientôt, les sacs de céréales entassés jusqu’au plafond, les montagnes de boîtes de biscuits et les conserves de tomates iront garnir les étagères des épiceries du camp de Kakuma, apportant un peu de saveur à la vie trop amère des quelque 192 000 réfugiés entassés au beau milieu de cette région délaissée du Kenya.

Grâce à son commerce de gros, cet Ethiopien de 41 ans à la carrure athlétique fait tourner tout un réseau de magasins implantés aux quatre coins du camp, les fournissant en produits locaux et internationaux importés par des intermédiaires kényans. Car, dans cet agrégat de tôles ondulées, de toiles de tente et de morceaux de bois qu’est Kakuma, rares sont ceux qui dépendent encore entièrement des rations du Programme alimentaire mondial (PAM) et des dons d’organisations non gouvernementales internationales.

Réfugié « millionnaire »

Depuis longtemps, les commerces ont fleuri, répondant à une forte demande en biens et de services et générant des revenus pour les entrepreneurs. L’arrivée du système de transfert d’argent par téléphone M-Pesa, et celle, plus récente, des téléphones intelligents, n’ont fait qu’accélérer le développement de ce microcosme économique. On trouve désormais tout, ou presque, dans les allées du camp : restaurants, épiceries, boutiques de vêtements, cafés Internet, salles de billard, barbiers… Et surtout l’entrepôt de Mesfin le grossiste, sa façade flanquée d’un énorme écriteau rappelant à ceux qui l’auraient oublié que « Jésus est Seigneur ».

Arrivé à Kakuma en 2001, cet ancien soldat connaît une ascension fulgurante, malgré son inexpérience en affaires. D’abord embauché dans un café, il devient ensuite boulanger, puis ouvre un commerce de détail grâce à son épargne. D’instinct, il diversifie son offre de produits et incite les autres commerçants à faire de même afin de stimuler l’écosystème économique du camp. Les affaires tournent bien.

Celui que l’on surnomme « le millionnaire » se consacre désormais au commerce de gros et octroie des crédits à des réfugiés souhaitant lui emboîter le pas. Grâce à ce système de microfinance informel, le nombre de boutiques nées de son patronage se multiplie. Et son compte en banque ne cesse d’enfler. Il réalise aujourd’hui jusqu’à 10 000 dollars de chiffre d’affaires par jour. « C’est un don de Dieu », assure-t-il.

Dans le camp de réfugiés de Kakuma, au Kenya, en janvier 2014.

Une vingtaine de nationalités

Situé près de la frontière avec le Soudan du Sud, Kakuma abrite environ un tiers des 600 000 réfugiés hébergés par le Kenya, les autres ayant trouvé refuge dans le camp de Dadaab (340 000 résidents) ou dans les villes. Somaliens, Ethiopiens, Burundais ou Congolais… Une vingtaine de nationalités s’y côtoient.

Son ouverture en 1992 est survenue lors d’une période faste pour le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), dont les coffres étaient généreusement renfloués par la communauté internationale. « Dans les années 1990 et jusqu’en 2008, l’UNHCR a été complice de l’établissement de ces camps dans des parties très isolées et dangereuses du pays, gérant des programmes d’assistance sans issue, et de fait gardant les réfugiés en vie dans l’espoir qu’ils retournent un jour chez eux », analyse James Milner, professeur à l’université Carleton d’Ottawa.

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Puis le financement s’est tari, et les crises humanitaires se sont intensifiées (60 millions de déplacés dans le monde pour une durée d’exil de vingt ans en moyenne) forçant l’UNHCR à revoir ses programmes. Dans un effort de réduction des coûts, l’agence a lancé en 2008 sa « politique sur les alternatives aux camps », qui met l’accent sur les perspectives d’« autonomie » des réfugiés. Et sur les retombées économiques des camps pour les populations hôtes.

En finir avec la dépendance

Depuis peu, l’antenne de l’UNHCR à Kakuma et ses partenaires tentent d’appliquer cette politique avec des programmes se voulant novateurs. Pour la première fois, on pense à cultiver des fruits et des légumes dans le camp même, ou à moudre le grain sur place au lieu d’importer la farine par convois. Une employée de l’UNHCR décrit fièrement un projet pilote offrant des prêts aux entreprises en démarrage pour « s’éloigner d’une mentalité de dépendance ».

Mesfin Getahun est désormais cité en exemple par l’agence onusienne, qui souhaite mettre en valeur le potentiel entrepreneurial des réfugiés. Pour celui qui a bâti son empire en dépit du système humanitaire, ce genre de détails appartiendra bientôt au passé. Sa candidature pour la « relocalisation » à l’étranger vient d’être sélectionnée, parmi des milliers d’autres. Le richissime réfugié s’apprête à prendre un nouveau départ avec femme et enfants. Destination : Washington, DC.

Ce reportage a été financé par le Centre européen du journalisme via son programme de bourse « Innovation in Development Reporting ».

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