Menu
Libération
Reportage

«Le problème d’un référendum, c’est que les tripes l’emportent toujours sur la tête»

Déambulations dans les rues de Londres où, jusqu'au bout, partisans du «leave» et du «remain», ont défendu leur position.
par Sonia Delesalle-Stolper, Correspondante à Londres
publié le 23 juin 2016 à 18h55

Le cœur de Londres autour du parlement de Westminster a des allures de carnaval. Difficile de faire plus de deux mètres sans croiser quelqu’un qui porte un autocollant «Vote In» ou balance, accroché à son épaule, un sac en toile qui crie «I love EU». Les touristes sont toujours présents, en dépit d’une météo peu clémente, mais, une fois n’est pas coutume, ils ne prennent pas que Big Ben en photo mais mitraillent ces passants engagés. Ils ont conscience d’être là pour un jour historique.

Sur College Green, la pelouse qui fait face au parlement de Westminster, une armada de caméras, de télévisions britanniques et internationales, s'est posée. Les flashs crépitent. Planté au milieu de la foule, Stuart Holmes, 65 ans, affiche fièrement son chien, un staffordshire terrier qui «n'est pas méchant mais bon, je l'ai muselé», également prénommé Stuart. Sur le flanc de l'animal, flotte une affiche «Vote Leave». «Je suis un activiste antinucléaire à plein-temps, je vote "Leave" pour empêcher le développement de nouvelles centrales nucléaires dans le pays», explique-t-il. Lorsqu'on lui fait remarquer que le camp du leave n'a à aucun moment dans la campagne promis de suspendre la construction de centrales nucléaires, il marque un temps d'arrêt, puis répond : «Oui, mais ils pourraient…»

Un peu plus loin, sur une autre pelouse, les passants continuent de se recueillir devant le mémorial improvisé en souvenir de la députée Jo Cox, assassinée jeudi dernier par un homme qui a crié «Britain First ! (la Grande-Bretagne d'abord !)» avant de lui tirer dessus. Jack Keevill, 29 ans, regarde pensivement les fleurs et les petits mots posés sur l'herbe. Dans quelques heures, il sera chez lui, à Gloucester (ouest de l'Angleterre) pour voter «Remain». Il est en transit à Londres, en provenance de Bruxelles où il travaille. «J'y ai vu comment les institutions européennes fonctionnent, je ne comprends pas quand le camp du Leave dit que le Royaume-Uni n'a pas de voix à Bruxelles. C'est faux, les fonctionnaires européens britanniques font un travail remarquable et sont extrêmement respectés.» Il avoue être «très nerveux» avant le résultat.

Denis MacShane, 68 ans, et sa fille Sarah, 28 ans, se disent eux «absolument terrifiés» par l'éventuelle victoire du leave. Denis fut ministre aux Affaires européennes de Tony Blair. Il connaît une chose ou deux à l'Europe. Dans son beau costume, il accompagne sa fille qui, depuis six heures et demie du matin est en campagne. «On va continuer à distribuer des prospectus, à parler aux gens jusqu'à ce soir, aux stations de métro, sur les ponts, en frappant aux portes, jusqu'à la clôture des bureaux de vote». Pour Denis MacShane, «c'est comme en 2005 en France pour le traité de Maastricht, le problème lors d'un référendum, c'est que les tripes l'emportent toujours sur la tête». Au-dessus de Westminster, un petit avion fait des tours en rond. Il traîne derrière lui une longue bannière qui appelle à voter «Remain».

Kaya Mar est peintre et caricaturiste. A chaque grand événement politique, il peint un tableau. Devant Westminster, il montre son œuvre. Nigel Farage, leader du parti antieuropéen UKIP et le conservateur Boris Johnson, ancien maire de Londres, sont assis côte à côte, nus, dans une charrette. «En temps normal, ces deux-là ne s'assiéraient pas dans la même pièce, mais c'est ce que cette campagne a fait, créer des alliances improbables.». L'âne qui tire la charrette a les yeux bandés et avance vers une falaise. «C'est une métaphore du peuple britannique qui s'avance à l'aveugle vers un gouffre s'il vote Leave.» D'origine espagnole, Kaya Mar a la nationalité britannique depuis quarante-et-un ans et il va «voter Remain» avec ses quatre enfants adultes.

Un peu plus au nord de Londres, près de la station de métro de Holborn, un trio de jeunes filles s'agite. Tee-shirts Remain, prospectus, stickers, elles alpaguent sans relâche le passant. En fait, expliquent-elles, elles «participent à une chasse au trésor organisée par leur école». Vraiment. Rania Ramli, 17 ans, Elsie Wilson 17 ans et Hannah Ballteimer, 16 ans, sont en première au lycée voisin de City of London. Elles ne peuvent pas voter mais se sont engagées dans la campagne. «Il s'agit de notre avenir, c'est trop important.» Alors la chasse au trésor attendra, ou se fera en parallèle, là, l'essentiel c'est «de convaincre de rester dans l'UE !»

«Vous vous souvenez d’Adolf Hitler?»

A quelques pas, un homme frappe par son élégance très british. Chapeau melon, costume croisé et rayé, il a tout du gentleman. On lui pose la question de son vote. Il sourit et nous répond dans un français hésitant : «Qu'est-ce que vous pensez ? Out évidemment, Out mille fois !». Et il enchaîne : «Ce sont les immigrés, ce n'est plus possible. Je n'ai rien contre les Français, les Allemands, l'Europe du Nord, et même l'Italie du Nord éventuellement, mais plus au sud, c'est pas possible.» Et puis, il assène le coup de grâce : «vous vous souvenez de ce que disait Adolf Hitler ? Il disait que lorsque vous aviez une race pure et que des petits résidus d'autre race arrivaient et se mélangeaient, ce n'était pas bon pour la race aryenne». Un instant, on s'interroge: ce type est-il sérieux? Mais oui, absolument. Il refuse de donner son nom, concède un Jerry comme prénom et refuse d'être pris en photo, avant, finalement d'accepter de l'être de dos. Et de s'éloigner, satisfait de sa tirade, sur cette grande avenue de la métropole la plus cosmopolite d'Europe.

Le trio de jeunes filles a été arrêté dans son élan par un grand Américain qui brandit un téléphone portable et leur lance : «Les filles, je suis étudiant américain et je tourne une vidéo pour ma mère, en Floride, vous pouvez me parler de ce référendum ?». Carter, 20 ans, étudiant à Yale University, est en stage d'été à Londres. Il trouve ce référendum passionnant. «Pour nous Américains, il nous semble dingue que les Britanniques puissent sortir de l'Europe, on ne gagne jamais rien à s'isoler et toujours à se rassembler et à travailler ensemble.».

Photos et vidéo Manuel Vasquez pour Libération

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique