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Décryptage

APB: un étudiant, recalé de la fac par tirage au sort, gagne en justice

Le tribunal administratif de Bordeaux a considéré que la pratique du tirage au sort, arrivant en dernier ressort pour départager des candidats trop nombreux dans certaines filières, était sans fondement légal.
par Marie Piquemal
publié le 23 juin 2016 à 18h04

Cette décision de justice est passée quasi inaperçue, elle pourrait pourtant donner des idées aux élèves recalés des bancs de la fac par manque de place… Elle met aussi le ministère de l'Education nationale dans une mauvaise posture en pleine procédure APB (Admission post-bac). Cet algorithme est programmé pour répartir les 867 000 jeunes dans les filières de l'enseignement supérieur en fonction de leurs vœux. La deuxième phase d'admission débute ce jeudi. Les élèves ont cinq jours pour dire s'ils acceptent ou pas la proposition qui leur est faite.

Qu’a dit le juge ?

La semaine dernière, le tribunal administratif de Bordeaux a donné raison à un élève, ancien joueur professionnel de basket, qui contestait son refus d'inscription à l'université en filière Staps (sport) en septembre. Faute de capacité d'accueil suffisante, l'université avait départagé les candidats en procédant à un tirage au sort, pratiqué dans 189 formations l'année dernière.

Dans sa décision, le juge administratif a considéré que la pratique du tirage au sort n'avait pas de fondement légal. «Il ne ressort d'aucune pièce du dossier qu'une telle réglementation, permettant de fonder la procédure de tirage au sort mise en œuvre en l'espèce, existerait». Et que donc, dans ces circonstances, le recteur de l'académie de Bordeaux avait commis «une erreur de droit».

Pourquoi certaines universités pratiquent le tirage au sort ?

Si l’on s’en tient au code de l’éducation, le principe est clair : tout bachelier, sans distinction aucune, doit pouvoir s’inscrire dans l’université de son choix. Dans les faits, la réalité est bien différente. Au-delà des cas de sélection déguisée, pratiquée par certaines universités en toute impunité, il existe une autre forme de sélection, via le système APB, quand le nombre d’élèves souhaitant s’inscrire dans une filière dépasse les capacités d’accueil.

Le code de l'éducation prévoit alors que le recteur de l'académie tranche, après avis du président d'université, en fonction «du domicile, de la situation de famille du candidat et des préférences exprimées par celui-ci». Sans plus de précision sur l'application concrète de ces critères, et donc des paramétrages définis de la plateforme APB. «Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n'existe aucun texte réglementaire qui fonde la procédure APB et l'organise», pointe Me Romain Foucard, avocat au barreau de Bordeaux. Il s'est rendu compte du vide juridique en discutant avec son confrère Jean Merlet-Bonnan, l'avocat de Droit des lycéens. Cette association a activement milité ces derniers mois pour réclamer la publication de l'algorithme APB (et les explications qui vont avec). Et enfin comprendre les critères de sélection utilisés dans les filières dites en tension, où le nombre de candidats dépasse les places disponibles.

Le ministère a finalement dévoilé le 1er juin une partie des règles du jeu. «Mais là encore, il ne s'agit que d'un communiqué de presse, rien d'officiel !» s'étonne MFoucard. Où il est écrit que quand le nombre de places vient à manquer, sont d'abord prioritaires les élèves venant de l'académie. Si cela ne suffit pas, ceux qui ont placé cette université en premier vœu sont avantagés. Et enfin, si cela ne suffit toujours pas, il est procédé à un tirage au sort… Solution qui ne satisfait personne mais considérée comme non attentatoire au principe de non-sélection à l'université. Lors du dernier point presse, début juin, le ministère se réjouissait de la réduction du nombre de filières où la question du tirage au sort se pose : 78 contre 189 l'année dernière.

Quelle conséquence peut avoir cette décision de Bordeaux ?

Elle pourrait faire jurisprudence, c'est-à-dire servir de fondement à d'autres décisions de justice dans des cas similaires. Même si, en l'espèce, le juge n'est pas allé «au bout de la logique», regrette l'avocat : il a annulé le refus d'inscription sans obliger l'université à inscrire l'élève pour la prochaine rentrée… Le recteur d'académie est tout de même prié de réétudier le dossier. Peut-être le juge a-t-il souhaité  éviter un «appel d'air», avec une hausse des recours dans les prochaines semaines ? L'association Droit des lycéens dit avoir déjà une centaine de dossiers de candidats malheureux sur les bras. Son président, Clément Baillon, qui vient de terminer les épreuves du bac, était reçu ce jeudi après-midi au ministère de l'Education. Interrogé sur la décision, l'entourage de la ministre indique «ne pas commenter les décisions de justice», précisant toutefois que «les services concernés étaient en train de regarder en détail le jugement».

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