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Critique

Les petits plaisirs honteux du fait divers

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Par Henri Gibier

Publié le 24 juin 2016 à 01:01

Essai Ce n'est pas forcément bon signe quand on a le sentiment que le fait divers se perd. C'est souvent parce qu'il est supplanté dans les préoccupations de l'opinion par des faits tristement singuliers, à l'image des guerres, dans ces périodes où l'Histoire laisse peu de place aux histoires. En ce moment, c'est un peu le cas avec le terrorisme, ce fléau meurtrier qui rend dérisoires les crimes passionnels et autres règlements de comptes sanglants qu'il arrive de rencontrer dans la vie quotidienne. Il y a donc une pointe de nostalgie dans l'entreprise de Mara Goyet, professeur d'histoire-géographie, qui s'est donné pour défi, ainsi qu'elle l'écrit dans son introduction, «d'explorer de toutes les manières le fait divers, humer son atmosphère, respirer son air délétère et scruter les effets sincères qu'il produit sur notre archaïque et moderne terre». Elle commence cette exploration par les objets qui sont en quelque sorte les totems du fait divers. Le congélateur, la scie, le piolet, la malle sanglante, les poisons de toutes sortes: beaucoup d'affaires criminelles se sont inscrites dans notre mémoire par l'intermédiaire de ces instruments.

Formidable matière à roman

Le charme du fait divers, c'est par ailleurs son potentiel romanesque. Il est comme une violente échancrure dans le tissu banal de l'existence. Celle-ci s'en trouve transcendée : ainsi le destin de Violette Nozière, condamnée à mort en 1934 pour l'empoisonnement de son père, qui la violait, donne naissance à une mythologie encouragée par les surréalistes. Le jour de la condamnation, André Breton et ses acolytes lui envoyèrent une gerbe de roses rouges. Elle restera douze ans en prison, voyant sa peine transformée trois fois par trois chefs d'Etat différents, avant d'être réhabilitée en 1963 - une exception dans l'histoire judiciaire. Une fois libre, raconte Mara Goyet, Violette épousera le greffier de la prison, dont elle aura cinq enfants! Formidable matière à roman.

Autres héros de ce défilé si peu héroïque, Joseph Vacher, le «serial killer» à la française, c'est-à-dire coquet, Emile Louis, tueur d'handicapées avec la même routine que s'il achetait sa baguette de pain, et au fond si immondément «pépère», les soeurs Papin, Christine et Léa, pour qui le crime parfait est d'abord un crime propre: «Meurtrières, elles sont restées cuisinières, commente l'auteure, elles ont agressé, sauvagement tué, mais aussi dressé les victimes comme un plat prêt à cuire.» Mara Goyet s'amuse avec les noms donnés à ces équipées meurtrières, esquisse un traité du style du fait divers, s'interroge sur la fonction qu'il remplit dans nos sociétés, convoque Proust, Balzac, Barthes et Duras. À la fin, elle avoue: «C'est à l'âge de sept ans que j'ai entamé un carnet de fait divers.» Elle dit en avoir tiré une vision du monde, on ne veut pas trop savoir laquelle.

H. G.

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