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Notre-Dame-des-Landes, l’urne de vérité ?

Notre-Dame-des-Landes, l'aéroport enterrédossier
Les électeurs de Loire-Atlantique sont invités à se prononcer ce dimanche sur le projet du nouvel aéroport.
par Sylvain Mouillard et Coralie Schaub
publié le 24 juin 2016 à 20h11

C'était il y a cinquante et un ans, en 1965. Le préfet de Loire-Atlantique décide d'entamer la recherche d'un «nouveau site aéronautique pour les régions Bretagne et Pays de la Loire». La zone agricole de Notre-Dame-des-Landes, située à une vingtaine de kilomètres au nord de Nantes, est vite retenue.

Le dossier, relancé dans les années 2000, est pourtant toujours au point mort. Près d'un million d'habitants de Loire-Atlantique sont appelés aux urnes ce dimanche pour dire s'ils sont «oui» ou «non» favorables au transfert de l'aéroport actuel, celui de Nantes-Atlantique, vers la commune de Notre-Dame-des-Landes. Le Premier ministre, Manuel Valls, a promis cette semaine devant l'Assemblée nationale que l'Etat «respectera» la décision des électeurs à travers cette consultation locale inédite. En cas de «oui», Manuel Valls, a promis que les travaux débuteraient à l'automne. Du côté des opposants, en revanche, on ne se lasse pas de dénoncer un vote «biaisé» et «illégitime» (Libération du 20 juin ). «Si c'est oui, ce sera pour nous toujours non», a résumé cette semaine Jean-François Pellissier, porte-parole d'Ensemble !, venu apporter son soutien aux opposants.

L'occupation du site prévu pour le projet par les «zadistes» constitue également un défi pour les autorités, qui n'étaient pas parvenues, en 2012, à les évacuer. En attendant le résultat du vote, Libération fait le point sur les principaux blocages d'un dossier explosif.

Le bras de fer sur la nécessité d’un nouvel aéroport

Pour les pro-NDDL, un nouvel aéroport est «indispensable». Celui de Nantes-Atlantique «a connu 135 jours de saturation en 2015 (plus de 14 000 passagers par jour)», avance l'association «Des ailes pour l'Ouest». A tel point qu'il a fallu refuser «250 [vols] en 2015 (sur 48 000 mouvements)», indique le dossier d'information de la Commission nationale du débat public visant à présenter de «façon claire et objective le projet», déclaré d'utilité publique en 2008. «L'installation apparaît étriquée», ont admis en avril les experts du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). Les «pro-transfert» évoquent aussi un aéroport bruyant («42 000 personnes» exposées, contre 900 à NDDL) et dangereux. «A Nantes, le centre-ville est survolé à moins de 300 mètres ! Plus bas que la tour Eiffel !» s'émeut Des ailes pour l'Ouest. Le trafic est passé de 2 millions de passagers voilà quinze ans à près de 4,4 millions en 2015 et devrait doubler d'ici à 2050. Or il serait «irréaliste» d'agrandir Nantes-Atlantique, car il est proche de la réserve naturelle du lac de Grand-Lieu. Autre point repris par Valls : un nouvel aéroport créerait 3 000 emplois pendant sa construction et 6 000 grâce à l'espace libéré par l'ancien. Des arguments balayés par les opposants, qui parlent d'un projet «inutile» et «d'un autre temps». Le nombre d'avions stagne, car ils sont plus remplis qu'avant. Et les appareils sont moins bruyants, arguent-ils. Ils brandissent le rapport du CGEDD concluant à «un choix entre une modernisation de Nantes-Atlantique [dont l'agrandissement serait possible] et un aéroport sur le site de Notre-Dame-des-Landes redimensionné à une seule piste» au lieu de deux. Et ils viennent d'ajouter à leur démonstration une étude du CEDPA (Collectif des élus doutant de la pertinence de l'aéroport) contestant «catégoriquement» les calculs de la Direction générale de l'aviation civile, selon laquelle il faudra plafonner à 56 000 mouvements d'avion le trafic à Nantes-Atlantique, en raison du bruit. Pour Isabelle Laudon, du WWF France, cette étude montre que «ce chiffre est erroné et qu'il faudrait le fixer au minimum à 74 000 mouvements en 2023, et plutôt à 91 000 compte tenu du progrès technique des avions. Or, comme le calcul du bénéfice socio-économique de Notre-Dame-des-Landes reposait sur ce chiffre, celui-ci est faux et la déclaration d'utilité publique s'effondre». Enfin, pour les «anti», le chantier ne créera «que 700 emplois temporaires pendant quatre ans», alors qu'il détruira 200 emplois agricoles.

 Un projet au coût plus élevé que les indemnités d’annulation ?

Sur le papier, les données de l'équation sont simples : la construction d'un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes coûte 561 millions d'euros. Une somme qui doit être financée à hauteur de 315 millions d'euros (56,2 %) par la société Aéroports du Grand Ouest, filiale de Vinci. Le reste est assumé par l'Etat, qui mettra 130,5 millions d'euros (23,2 %), et par les collectivités territoriales, qui verseront 115,5 millions d'euros (20,6 %). Le tout dans le cadre d'un partenariat public-privé, qui voit l'Etat accorder une concession d'une durée de 55 ans à AGO. Pour les défenseurs du projet, le deal est profitable aux contribuables : en échange d'un investissement modéré de leur part, une aérogare flambant neuve pourrait sortir de terre dans le bocage nantais. Cette présentation au tableau noir souffre pourtant de plusieurs lacunes. D'abord, le montant final de la facture pourrait déraper. Les projets de ce type ont en effet tendance à coûter 40 % de plus que ce qui était initialement prévu. Autre problème : les importants financements publics nécessaires pour bâtir une ligne de tram-train vers l'aéroport (130 millions d'euros a minima), voire un nouveau pont sur la Loire et une ligne de train à grande vitesse s'arrêtant à Notre-Dame-des-Landes. Autant d'investissements qui ne manqueront pas de corser l'addition, et qui invitent à relativiser l'argument selon lequel une annulation du projet coûterait plus cher à l'Etat, qui pourrait devoir verser d'importantes indemnités à Vinci. Leur montant n'a pas été communiqué aux électeurs de Loire-Atlantique. «On nous a dit du côté de Vinci que c'était un sujet complexe», a expliqué Christian Leyrit, le président de la Commission nationale du débat public(CNDP), chargée de recueillir les arguments des «pro» et des «anti». La société AGO, qui gère l'aéroport actuel de Nantes-Atlantique - dont elle a récupéré la concession «gratuitement» en 2011 - ainsi que l'aéroport de Saint-Nazaire, amasse de coquets profits. Son résultat net après impôts en 2012 était de 8 millions d'euros, pour un chiffre d'affaires de 54 millions.

Un impact écologique qui inquiète

Les promoteurs de Notre-Dame-des-Landes vont jusqu'à utiliser des arguments écologiques pour faire avancer leur projet, qui va inévitablement générer de la pollution. Ils parlent d'un aéroport «plus vert» avec des bâtiments certifiés «haute qualité environnementale». Il devrait consommer trois fois moins d'énergie par passager que Nantes-Atlantique. Et la perte de biodiversité causée par sa construction sur un site composé à 98 % de zones humides sera «compensée».

Balivernes, rétorquent les anti-NDDL. «L'artificialisation des sols équivaut déjà à la surface d'un département tous les sept ans, et là, on stérilisera encore 1 200 hectares de terres agricoles et de zones humides», s'alarme Philippe de Grissac, de la Ligue de protection des oiseaux. Protégées par la loi, celles-ci jouent un «rôle essentiel», rappelle Florence Denier-Pasquier, de France Nature Environnement, citant dépollution de l'eau, prévention des inondations, stockage du carbone ou richesse en biodiversité. Préservé depuis quarante ans, le site de NDDL abrite plus de 2 000 espèces de faune et de flore, dont plus de 100 sont protégées. Or, «recréer artificiellement une telle biodiversité, on n'a pas encore trouvé comment faire. Il n'y aurait que quelques individus de cinq espèces protégées qui s'en sortiraient à peu près», pointe la Fondation Nicolas Hulot. Argument validé par le Conseil scientifique du patrimoine naturel et de la biodiversité (CSPNB), qui a émis en 2015 un «avis défavorable» au projet. Celui-ci serait aussi incompatible avec les engagements sur le climat de la COP 21, alors que les «alternatives à la voiture et à l'aérien souffrent d'un manque considérable de financement», pointe Lorelei Limousin, du Réseau action climat.

Une consultation à la légitimité discutée  

«Une innovation démocratique majeure» : c'est ainsi que le Premier ministre, Manuel Valls, a qualifié la consultation locale effectuée ce dimanche dans le département de la Loire-Atlantique pour débloquer une situation au point mort. Le dispositif, inventé de toutes pièces en début d'année, est pourtant loin de susciter l'unanimité, tant dans le camp des partisans du projet que dans celui de ses opposants.

Cette nouvelle pomme de discorde n’est en fait que la dernière illustration d’un processus démocratique en panne. Depuis la tenue du débat public, en 2002-2003, ce dossier hypertechnique a vu se succéder enquêtes, contre-expertises et missions de conciliation. Sans succès. Les deux parties campent sur leurs positions et ne cessent de se renvoyer au visage des chiffres discordants.

Dans les rangs des pro-transfert de l'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, on souligne que le droit a été respecté et que les élus partisans du projet ont souvent vu leurs mandats prolongés, signe, à leurs yeux, du soutien de la population. Cela fait bondir Françoise Verchère, ancienne maire (PG) de Bouguenais et coprésidente du collectif d'élus opposés au projet. «Les procédures donnent l'apparence d'une démocratie participative, mais l'Etat a toujours le dernier mot, même en cas d'avis défavorable, comme cela a été le cas à plusieurs reprises.» Elle fustige aussi la présentation «mensongère» d'éléments qu'elle juge d'intérêt public.

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