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Législatives

Espagne: la fin du bipartisme, bis repetita

L’émergence de Ciudadanos et Podemos lors des législatives de décembre a mis fin à la domination des socialistes et du Parti populaire. Et le scrutin de dimanche devrait le confirmer.
par François Musseau, (à Madrid)
publié le 24 juin 2016 à 18h31

Un troisième scrutin consécutif ? Dans les talk-shows politiques, au gré des réseaux sociaux ou des analyses publiées dans la presse par des commentateurs chevronnés, l’hypothèse fait florès : et si, au terme des législatives de ce dimanche, les résultats étaient une nouvelle fois confus, ne permettant pas une majorité claire, et obligeaient à convoquer les Espagnols aux urnes une troisième fois en moins d’un an ? Quoique sans réel fondement, cette rumeur en dit long sur la très instable situation politique et sur la sensation majoritaire de vivre dans un pays difficilement gouvernable.

Le 20 décembre, les législatives avaient accordé une courte victoire au Parti populaire (PP) du conservateur Mariano Rajoy (lire ci-contre), aux commandes depuis quatre ans, mais qui, avec seulement 123 sièges (176 requis pour obtenir la majorité absolue), n'a même pas essayé de former un exécutif. Depuis, le pays va à vau-l'eau, vaguement dirigé par un gouvernement intérimaire, et les efforts du jeune roi Philippe VI pour promouvoir une coalition stable ont été voués à l'échec. Toutes les initiatives ont été mises à mal par l'intransigeance, plus ou moins forte, des Populares, des socialistes, des centristes de Ciudadanos et des alternatifs de Podemos - les quatre principales formations de la chambre des députés.

Anticyclone. Le scrutin de dimanche a pour vocation de redistribuer les cartes et, peut-être, de permettre l'émergence d'une claire majorité. Mais la plupart des sondeurs en doutent, tant les estimations de vote se tiennent dans un mouchoir de poche, chacune des quatre formations dominantes étant créditée de 15 à 29 % des suffrages. Le PP arriverait en tête, suivi - ce serait la grande nouveauté - par Podemos, puis par les socialistes et Cuidadanos. «Il faut que les Espagnols s'habituent à l'idée que le bipartisme historique a vécu pour de bon, note le sociologue José Juan Toharia. Nous sommes installés dans un contexte quadripartite pour une longue période, et il faudra bien faire avec, faute de quoi nous sommes condamnés à une instabilité chronique.»

Depuis la fin du franquisme jusqu’à un passé très récent, l’Espagne était un anticyclone politique, dominé par un authentique numéro de duettiste : d’un côté, le PP (balayant presque toute la droite), de l’autre, le Parti socialiste (le PSOE, raflant le centre et la gauche, sauf son versant communiste). Lorsque l’un était au pouvoir, l’autre dirigeait l’opposition à sa guise ; lorsque l’un n’obtenait pas la majorité absolue, il passait une alliance avec les nationalistes basques ou catalans, trop heureux de glaner en échange de succulentes contreparties dans leurs territoires respectifs.

Paradoxe. L'arrivée de Ciudadanos et Podemos, fruits de la crise, a tout bouleversé. «Le vote s'est fragmenté, analyse le politologue Enrique Gil Calvo. Parallèlement, chaque formation a renforcé son identité auprès de son électorat en traçant des lignes rouges. Résultat : chacun campe sur ses positions et le système est bloqué.»Et on assiste à un paradoxe : «Avec le passage de deux à quatre partis dominants, le nouveau Parlement est davantage démocratique, poursuit José Juan Toharia. Mais l'incapacité à sceller des alliances accentue les frustrations citoyennes, la lassitude et la sensation d'incompétence de notre classe politique.»

Les déclarations des principaux dirigeants n'invitent pas à l'optimisme. Rajoy refuse de céder sa place, même si tous ses rivaux fustigent en lui l'icône de la corruption. Ciudadanos joue la carte de «l'ouverture», mais conditionne son soutien à des mesures libérales, un «pacte national pour l'éducation» ou une «charte anticorruption». Quant aux socialistes, ils craignent le sorpasso («dépassement») de leur allié naturel - et pire rival - Podemos, enclin à imposer son hégémonie à gauche. L'entente entre les deux «progressistes» semble pourtant être la clé du scrutin : Pedro Sánchez, le leader du PSOE, rejette une «coalition à l'allemande» avec le PP, laquelle recueille la préférence des sondés ; et n'écarte pas une alliance avec Podemos, qui, à en croire une récente enquête d'opinion de Metroscopia, pourrait frôler la majorité absolue. Pour que l'Espagne soit gouvernable, ses dirigeants devront faire des compromis et souscrire à des renoncements.

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