Brexit : L'insoutenable lourdeur des tabloids anglais

Brexit : L'insoutenable lourdeur des tabloids anglais
"The Sun" prend position pour le Brexit (DR)

Si les patrons de presse anglais se sont couverts en prônant à la fois la sortie et le maintien de l'UE, leurs journaux à gros tirage ont massivement favorisé le Brexit. En jouant sur les peurs, et en perpétuant une longue tradition de  matraquage de clichés.

Par teleobs
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De notre correspondante à Londres,

"Incline-toi, Grande-Bretagne ! Les masses silencieuses de notre pays se sont élevées contre une classe politique arrogante et déconnectée et l’élite méprisante de Bruxelles", se félicite le Daily Mail. Au lendemain d’un résultat choc, les quotidiens britanniques exposent un pays divisé. C’est la "naissance d’une nouvelle Grande-Bretagne" pour le Daily Telegraph. "Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait?", s’interroge au contraire le Daily Mirror.

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L’exemple le plus criant de la férocité de la campagne du référendum menée dans la presse britannique, n’a pas été la une du tabloid The Sun, qui affichait clairement sa position la semaine dernière, avec cette manchette : “BeLeave in Britain”. Cela n’a pas été non plus la sortie du Daily Mail lorsqu'il s’est prononcé pour quitter l’UE en Une : "Si vous croyez dans la Grande-Bretagne, votez "Leave", en s’en prenant aux  "mensonges" et aux "élites avides" d’une "Europe cassée et moribonde"

Non, le cas le plus emblématique est l'attention -ou plutôt l'absence d'attention- portée  par ce même Daily Mail à la tuerie dans la boîte gay d’Orlando, en Floride. Tous les autres journaux ont fait la une sur le drame. Et que pouvait-on lire en une du Daily Mail ? Ce titre : "Colère autour du plan secret pour faire entrer 1, 5 millions de Turcs en Grande-Bretagne". La campagne pour le Brexit était si importante pour le tabloid, que dix jours avant le vote, le journal a préféré faire sa couverture avec une histoire, à moitié concoctée, susceptible de pousser ses lecteurs vers le camp du "Leave" (Partir).

Un combat déséquilibré   

Les journaux britanniques ont largement soutenu le Brexit. Le Daily Mail, évidemment. Mais aussi le Daily Telegraph, le Daily Express ou le Daily Star. Des titres qui touchent près de quatre fois plus de lecteurs -- environ 4,7 millions-- que leurs concurrents pro-européens le Guardian, le Financial Times et le Daily Mirror.

Une étude de l’Université de Loughborough, tenant compte des tirages des journaux, a estimé à 80/20 le rapport entre les articles en faveur du ‘Leave’ et ceux prônant le ‘Remain’. Les propriétaires des journaux se sont toutefois couverts, personne ne sachant, au final, qui allait l’emporter. Too close to call. Comment ? Ils ont pris soin de miser sur chaque camp. 

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Les deux journaux appartenant à la famille Rothermere ont ainsi pris des partis opposés : le Daily Mail soutenant le Brexit et le Mail on Sunday se positionnant pour le statu quo, une division qui reflète la fracture dans le camp conservateur qui constitue la majorité de son lectorat.

De la même façon, le magnat de la presse, Rupert Murdoch, a misé sur les deux chevaux "Leave" et "Remain". Le tabloid The Sun était résolument pro-Brexit : en Une, au lendemain du scrutin, on pouvait lire : “See EU later”. Le vénérable Times de Londres était pro-Remain. Alors que le Sunday Times se déclarait pro-Leave (ces titres sont eux-aussi dans l’écurie Murdoch).

Les migrants, figures d'épouvantails 

A l'arrivée, la presse populaire, celle qui touche le plus de monde, trop souvent en utilisant les arguments les plus simplistes, a massivement matraqué "Exit". Certes, les journaux ne peuvent pas décider d'un vote, mais ils ont  fait leur maximum pour influencer les électeurs. En les effrayant. Depuis janvier, les observateurs des médias ont comptabilisé plus de 30 unes sur les migrants -au coeur de la campagne- pour le Daily Mail et le Daily Express, 15 pour le Sun.

Est-ce que cela a compté? Selon David Deacon, professeur d’analyse médiatique à l’University de Loughborough : "les médias ont plus d’influence en dictant les sujets auxquels les gens doivent penser, qu'en leur disant directement quoi penser". Une cascade de papiers sur certains thèmes -anxiogènes de préférence- a infiniment plus de poids que des consignes de vote. La presse anglaise a multiplié les sujets sensationnalistes. 

"Les dingos de Bruxelles"

Ainsi l’avalanche d’articles sur les "bureaucrates dingos de Bruxelles", sport national et presque une figure obligée de la presse britannique depuis l'adhésion du royaume-Uni en 1973, a certainement conduit les électeurs à envisager l’UE -dont ils connaissent mal le fonctionnement pour la plupart - comme un monstre dont il faut se libérer. Des décennies de lecture d’articles caricaturaux, parfois malhonnêtes, ont indéniablement pesé. Dans la presse, la campagne pour le Brexit battait son plein depuis des années.

Marie-Hélène Martin

 

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