Un choix de raison, au nom d’intérêts partagés. C’est ainsi que se résume la réconciliation entre Israël et la Turquie, conclue dimanche 26 juin, après six ans de brouille. Les deux équipes de négociation, qui avaient intensifié leurs contacts depuis le début 2016, ont achevé leurs travaux à Rome.
Le premier ministre Benyamin Nétanyahou, qui se trouvait dans la capitale italienne pour rencontrer le secrétaire d’Etat américain John Kerry, s’est réjoui des « immenses implications » de cet accord, surtout économiques. « Le Moyen-Orient est dans la tourmente, a-t-il dit lundi. Ma politique consiste à créer des îlots de stabilité avec nos voisins proches. »
Les deux parties ont fait des compromis. Ankara n’a pas obtenu la levée complète du blocus naval israélien imposé sur la bande de Gaza, ce qui pourrait contrarier la base conservatrice du pouvoir turc. Toute l’aide humanitaire à destination du territoire palestinien passera par le port d’Ashdod et sera examinée à la loupe par les Israéliens. Un premier chargement de 10 000 tonnes devrait quitter la Turquie le 1er juillet, selon le premier ministre, Binali Yildirim.
Ankara maintient ses contacts
avec la branche politique du Hamas
En revanche, Israël n’a pas convaincu la Turquie de cesser les contacts avec les représentants de la branche politique du Hamas, qui contrôle la bande de Gaza depuis 2007. Fin juin, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a une nouvelle fois reçu le chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mechaal, comme il l’avait fait à la fin 2015.
L’accord stipule qu’Israël accepte de verser environ 20 millions de dollars (18 millions d’euros), via un fonds, à l’attention des familles de morts et des blessés lors de l’assaut donné au navire Marmara, en mai 2010. Cette compensation s’ajoute aux excuses publiques déjà formulées. A l’époque, un commando israélien avait lancé un raid contre ce navire d’une flottille de six bateaux qui essayait de briser le blocus maritime imposé par Israël sur la bande de Gaza. Neuf personnes de nationalité turque étaient mortes pendant l’opération, et une dixième des suites de ses blessures.
En échange, la Turquie renonce aux poursuites judiciaires contre les responsables militaires israéliens. Des ambassadeurs seront nommés à la suite de la ratification officielle de l’accord, qui devrait être présenté le 29 juin par M. Nétanyahou en conseil de sécurité. La Turquie s’est aussi engagée à ce que le Hamas n’agisse pas contre Israël depuis son territoire, après une visite secrète effectuée mi-juin par le chef du Mossad, Yossi Cohen, selon le quotidien Haaretz.
En Israël, les avis sont partagés sur cet accord scellé avec un Erdogan imprévisible et autoritaire. L’hypothèse d’un nouveau conflit avec le Hamas pourrait à nouveau faire dérailler la réconciliation à l’avenir. Les premiers opposants sont les proches des quatre Israéliens morts ou détenus dans la bande de Gaza par le mouvement islamique, deux soldats annoncés disparus au cours de l’opération Bordure protectrice, à l’été 2014, et deux civils.
La réconciliation entre la Turquie et Israël, deux alliés des Etats-Unis, a un ressort régional. Les deux pays partagent une même défiance envers les ambitions iraniennes au Moyen-Orient, vues comme hégémoniques.
La rupture avec Israël s’était inscrite pour la Turquie dans une période où elle cherchait elle-même à affirmer son influence régionale, sur fond de révolutions arabes. Depuis, la guerre en Syrie, la crise des réfugiés et le durcissement intérieur dans le pays, qui a concentré les critiques occidentales, ont bouleversé ses plans.
La réconciliation avec Israël témoigne du retour à la normale auquel Ankara aspire dorénavant. « Israël, la Syrie, la Russie, l’Egypte… Il ne peut y avoir de haine éternelle entre ces pays qui sont autour de la Méditerranée et de la mer Noire », affirmait ainsi, le 16 juin, le premier ministre.
Ayant frôlé la confrontation avec la Russie sur le dossier syrien, se sentant menacée par l’alliance des forces kurdes avec Washington contre l’organisation Etat islamique (EI) dans le nord de la Syrie et en perte d’influence au Moyen-Orient, la Turquie doit sortir de sa « solitude précieuse », selon le mot d’Ibrahim Kalin, conseiller en politique étrangère de M. Erdogan. En ne s’opposant pas à l’ouverture d’une représentation israélienne auprès de l’OTAN, Ankara a illustré sa bonne volonté.
Des intérêts énergétiques partagés pourraient encore rapprocher les deux pays. L’exploitation de gisements de gaz naturel en Méditerranée orientale, au potentiel faramineux selon les Israéliens, mais encore virtuelle, nécessite leur coopération. Ankara veut diversifier ses sources d’approvisionnement pour ne pas trop dépendre de la Russie, alors qu’Israël perçoit la Turquie à la fois comme un client à venir et une porte vers l’Europe. Pour cela, il faudra construire un gazoduc de plus de 500 km, au coût considérable, qui réclamera plusieurs années.
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