“Une répression terrible s’abat sur la chaîne de télévision KBC. Après la fermeture des studios et l’arrêt de l’enregistrement de deux émissions satiriques, la décision vient de tomber : les autorités algériennes ont décidé de mettre en prison le 24 juin le staff dirigeant de cette chaîne de télévision appartenant au groupe de médias El-Khabar”, alerte Algérie-Focus.

Il s’agit du directeur de la chaîne de télévision KBC, Mehdi Benaïssa, du directeur de la production, Riad Hartouf et de la directrice des programmes du ministère de la Communication, Mounia Nedjaï. “Ils sont accusés de ‘fausses déclarations’ et d’‘abus de fonction’. Ils ont été placés sous mandat de dépôt, après un interrogatoire et une garde à vue de trente-six heures chez les gendarmes, à Bab Djadid. Cité également dans l’affaire, le président du conseil d’administration du groupe El-Khabar, Zahereddine Samati, et la comptable de KBC ont été entendus comme témoins”, précise de son côté Liberté.

“Les autorités reprochent aux deux responsables de KBC d’avoir réalisé des émissions soi-disant ‘sans autorisations légales’. Pourtant, Mme Mounia Nedjaï, haute responsable du ministère de la Culture, a bel et bien délivré cette autorisation de tournage aux responsables de KBC. Mais cela n’a guère suffi pour convaincre les enquêteurs de la Gendarmerie nationale. Bien au contraire, Mme Mounia Nedjaï s’est retrouvée tout bonnement interpellée et accusée à son tour de ‘complicité’ du tournage des émissions”, poursuit Algérie-Focus.

Le bras de fer entre les autorités et le groupe de presse El-Khabar remonte à mars 2016, quand l’homme d’affaires Issad Rebrab, milliardaire à la tête du premier groupe privé d’Algérie, Cevital, a racheté El-Khabar, deuxième quotidien arabophone du pays. Journal indépendant, El-Khabar, en difficulté financière et sans accès à la publicité du secteur public, voyait dans ce rachat un moyen d’assurer la survie du journal et de la chaîne de télévision KBC.

Important dispositif policier

Mais la transaction réalisée par Rebrab, critique farouche et inlassable du pouvoir politique en Algérie, a été dénoncée par le ministre de la Communication, qui a annoncé, en avril, que le gouvernement avait saisi le tribunal administratif pour contrôler la légalité de cette vente au motif que ce rachat va à l’encontre de la règle qui interdit la détention de plus d’un média par la même personne. Or Issad Rebrab est aussi actionnaire du journal francophone Liberté. Toutefois, Rebrab souligne que la transaction concernant le groupe El-Khabar a été réalisée par l’une de ses filiales. A noter que les actions de l’imprimerie d’El-Khabar, que le journal partage avec le journal francophone El-Watan, ont également été rachetées par Rebrab.

Après les arrestations des responsables de KBC, le Huffington Post-Algérie relève pour sa part que “la situation ne cesse de s’aggraver au sein du groupe El-Khabar”, et relate que “le climat tendu entre certains médias et le pouvoir ne cesse d’augmenter. Jeudi 23 juin au soir, le nouveau siège du journal El-Watan avait été encerclé par un important dispositif policier. Le lendemain, les autorités ont demandé au personnel de quitter les lieux, selon le quotidien, qui explique sur son site Internet que le motif de cette décision est le litige dont fait l’objet une partie du parking des nouveaux locaux.”

Disparition des émissions satiriques

“L’adieu aux libertés, titre son éditorial El-Watan. El-Khabar a été ciblé bien avant son rapprochement avec l’industriel Issad Rebrab en raison de sa liberté de ton, notamment à travers sa télévision KBC. Sur celle-ci pèse aujourd’hui une menace de disparition après que des émissions satiriques ont été interdites et des responsables incarcérés. D’une pierre deux coups : museler un journal de qualité et régler des comptes avec un homme d’affaires qui dérange, telle est la conduite des autorités qui ne cessent de harceler les médias en général, ce dernier refuge de la liberté de ton et du printemps démocratique de la fin des années 1980 au début des années 1990”, s’inquiète le quotidien.

Après les interdictions de journaux et les harcèlements judiciaires, c’est le temps de l’étranglement financier. L’accès à la publicité étatique reste toujours interdit aux médias qui contestent l’ordre établi, tandis que les entreprises et organismes étrangers subissent de fortes pressions du côté des autorités sur leur choix des supports publicitaires.”

El-Watan, “qui vit cette réalité depuis deux ans, axe aujourd’hui ses efforts sur la fidélité de son lectorat, premier garant de son indépendance éditoriale et financière”, revient sur ses propres ennuis avec les autorités et sur le déménagement qui n’a pas pu avoir lieu le 24 juin. “Acquis après quinze années de luttes et de sacrifices, son nouveau siège est confronté, avant réception, à des contraintes administratives et techniques en mesure d’être facilement levées par les autorités administratives locales si n’interfèrent pas des considérations d’ordre politique. Affaiblir El-Watan, après El-Khabar et demain Liberté et les îlots de bonne presse, y compris électroniques et audiovisuels, ce sera l’adieu définitif à la liberté d’expression et donc à l’Algérie démocratique.”