Menu
Libération
TRIBUNE

«La France a besoin de vous»

A quelques jours du débat sur le projet de loi égalité et citoyenneté, le député PS de Seine-Saint-Denis Daniel Goldberg présente des actions d'accompagnement des entreprises pour ouvrir leurs processus de recrutement aux jeunes des quartiers moins privilégiés.
par Daniel Goldberg, député PS de Seine-Saint-Denis
publié le 27 juin 2016 à 17h25

Dix ans après les émeutes des banlieues, les politiques publiques en direction des quartiers populaires offrent un bilan en demi-teinte. Si des actions positives ont été menées, force est de constater qu’il n’y a pas eu de véritable changement structurel de l’état des choses. La jeunesse de ces territoires moins privilégiés subit toujours une mise à l’écart économique : près de trois fois supérieure à la moyenne nationale. Les discriminations à l’emploi dont elle est l’objet sont non seulement fortement ressenties, mais démontrées et mesurées.

Faille profonde dans le pacte républicain

Dans le contexte de crispation que connaît notre pays, ajouté à la perte de confiance massive envers les pouvoirs publics de la part de toute une partie des Français-es, notamment celles et ceux vivant dans les quartiers populaires, on ne peut laisser prospérer ce sentiment de faille profonde dans notre pacte républicain. Des réponses à la hauteur du défi lancé à notre cohésion nationale doivent être mises sur la table. Maintenant.

Le projet de loi égalité et citoyenneté apparaît comme un rendez-vous majeur, voire de la dernière chance, entre le gouvernement et la jeunesse des banlieues. Et, disons-le, les dispositions prévues pour la lutte contre les discriminations à l’embauche ne nous semblent pas suffisantes au regard des enjeux.

Il est fort probable que le sentiment partagé par les principaux concernés sera d’entendre parler une fois de plus de mesures sans efficacité pour leur parcours de vie professionnelle. Pour un jeune de ces quartiers, se savoir moins discriminé en théorie quand, en pratique, on désespère toujours de décrocher un premier emploi, ne change pas la donne. Le vrai changement serait la perspective concrète, notamment pour les diplômé-e-s, d’un stage qualifiant, d’un contrat d’apprentissage, d’un travail décent à la hauteur de leur investissement scolaire, de leurs compétences et de leur motivation professionnelle.

Un changement de regard nécessaire

Le vrai changement serait aussi un changement de regard et de posture pour notre pays tout entier : c’en est assez de représenter ces quartiers et leurs habitant-e-s comme un «boulet à traîner» pour la société française, tout juste bons à recevoir une aumône au lieu d’une nécessaire considération. Il serait pourtant simple de dire ce qui n’est jamais exprimé : «La France a besoin de vous.» Et de le traduire en actes.

Celles et ceux qui ont joué le jeu de l’école de la République, qui ont cru en sa promesse d’égalité et d’élévation sociale par l’effort, cette jeunesse sensible et en quête de sens n’attend qu’une seule chose : que la porte devant laquelle elle trépigne d’impatience s’ouvre enfin !

De la politique de recrutement à la «diversity washing»

Or, que constate-t-on ? Un énorme trou dans la raquette du service public de l'emploi. En effet, il manque toute la dimension de l'accompagnement des entreprises pour en finir avec une certaine forme d'entre-soi qui repousse de fait les jeunes diplômé-e-s de la diversité, dans toutes ses dimensions. Que se passe-t-il en l'absence d'un tel dispositif ? Certaines entreprises, conscientes des enjeux, notamment économiques, et des retombées positives pour elles, ont su développer des politiques de recrutement et de déroulement de carrière efficaces. Mais elles demeurent trop peu nombreuses quand d'autres se réfugient dans le déni ou encore dans des démarches de communication qui pourraient être qualifiées de «diversity washing» ou de «social washing».

Quant aux entreprises qui n’ont pas les moyens de se payer des prestations de recrutement, en particulier les TPE-PME qui sont les premiers recruteurs du pays, celles-ci se débrouillent en interne, en faisant jouer leur réseau secondaire, ce qui a pour effet d’aller puiser là aussi dans des viviers restreints, le plus souvent fort éloignés des candidat-e-s de la diversité.

Cette boucle qui écarte massivement de notre économie les jeunes diplômé-e-s des quartiers populaires doit être brisée. Pour cela, il faut compléter le dispositif de notre politique de l’emploi en mettant sur pied un véritable service public de l’accompagnement des entreprises dans l’ouverture de leurs processus de recrutement aux jeunes des quartiers moins privilégiés. Cela passe par des objectifs de recrutement des jeunes diplômé-e-s issu-e-s de ces quartiers en fonction des potentialités du bassin d’emploi.

Forger une culture d’inclusion économique

La dernière étude «Besoins en main-d’œuvre» compte 200 000 à 300 000 postes restés vacants pour près de 1,8 million de postes ouverts en 2015. Pôle Emploi, avec 4 200 agents pour couvrir l’ensemble du territoire et les 3,4 millions d’entreprises françaises (soit un conseiller Pôle Emploi pour 800 entreprises), ne peut répondre à lui seul aux besoins et à la mise en place d’un service spécifique d’accompagnement des entreprises. Il est donc nécessaire de s’appuyer sur d’autres ressources, ayant une expertise en la matière et «industrialiser» les bonnes pratiques aujourd’hui éparses. Pour cela, Pôle Emploi pourrait s’appuyer sur un ensemble d’opérateurs de recrutement au statut public, privé ou associatif, en leur confiant, en partenariat avec les collectivités territoriales, des missions par le biais de délégations de service public. L’enjeu est simple, il est devant nous, il est nécessaire à tout le pays : forger une culture de l’inclusion économique de tous les enfants de la République.

Benjamin Blavier, délégué général et fondateur de Passeport Avenir ; Ghislaine Caire, secrétaire générale adjointe du Syntec ; Daniel Goldberg, député de Seine-Saint-Denis ; Saïd Hammouche, président de la Fondation Mozaïk ; Mohand Hebbache, directeur région Ile-de-France, Humando ; Catherine Tripon, directrice des relations aux parties prenantes, Fondation FACE

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique