De «Black Lives Matter» à « OITNB » : quand les séries dénoncent la brutalité policière

Le show de Jenji Kohan se fait, dans sa saison 4, le relai du mouvement « Black Lives Matter », suivant le pas d'autres séries ayant dénoncé les violences policières envers les Afro-américains. (Attention, SPOILERS en vue ! )
De « Black Lives Matter » à OITNB  quand les sries dnoncent la brutalit policière

« Des animaux, des animaux, piégés, piégés jusqu'à ce que la cage soit pleine », chante Regina Spektor dans le générique d'Orange is The New Black. Ce refrain, résonnant à chaque début d'épisode, illustre assez bien la direction prise par la saison 4, diffusée mi-juin sur Netflix. Plus engagée que jamais, la série amplifie son sous-texte politique pour dénoncer l'incarcération de masse et les conditions de vie déplorables dans les prisons américaines. Dans le premier épisode, les cadres de Litchfield décident de rentabiliser l'espace en accueillant une centaine de nouvelles détenues, entassées comme du bétail. Pour contrôler tout ce beau monde, les bureaucrates ont une idée de génie : embaucher d'anciens militaires, appâtés par un hébergement en pension complète. Ainsi débarque une nouvelle fournée de gardiens adeptes des injures raciales, du délit de faciès, et des méthodes de torture façon Abou Ghraib. Après des humiliations en chaîne, les prisonnières organisent une manifestation pacifiste, réprimée par les coups de matraque. Première victime : la discrète Poussey (Samira Wiley), étouffée par un garde en volant au secours d'une camarade.

L'épisode 12, réalisé par Matthew Weiner (créateur de Mad Men), capture avec brio le chaos ambiant, mais aussi l'indifférence dans laquelle la prisonnière décède, à l'image d'autres victimes noires de violences policières. Son « I can't breathe » fait tragiquement écho à la mort d'Eric Garner, 44 ans, tué par suffocation en juillet 2014 à New York. Soupçonné de vendre illégalement des cigarettes, l'homme, en surpoids et asthmatique, avait été plaqué au sol par l'agent Daniel Pantaleo, jusqu'à perdre connaissance. Les similitudes entre la fiction et des faits réels ne s'arrêtent pas là : le corps de la jeune femme gît dans la cantine pendant des heures, à la vue de tous, comme celui du jeune Michael Brown, abattu, il y a deux ans, à Ferguson dans le Missouri. Tentant de limiter les dégâts, l'administration cherche d'abord à discréditer la victime en diffusant une photo compromettante. À l'instar du cliché de Michael Brown en pseudo mode thug qui avait été préféré à celui pris lors de sa remise de diplôme. Une stratégie de défense rapidement abandonnée : Poussey est la fille d'un militaire, seulement condamnée pour avoir vendu un peu d'herbe. Dans son allocution à la presse, le directeur Caputo dédouane ensuite le responsable de la bavure… et ne prononce même pas le prénom de la défunte. Difficile, à ce moment-là, de ne pas y voir une référence à la campagne « Say her name » (« Dites son nom »), appelant à honorer la mémoire des femmes victimes de brutalité policière.

Tentatives de récupération
Voir Poussey rendre son dernier souffle est d'autant plus un choc que la jeune femme avait trouvé l'amour dans cette saison et des perspectives d'emploi à la sortie de Litchfield. Alors que tant de séries utilisent la mort comme un artifice scénaristique (n'est-ce pas The Walking Dead ?), Orange is the New Black sacrifie un personnage adoré pour mieux dénoncer le mal qui ronge les États-Unis. Ces bavures policières dont les premières victimes sont des hommes noirs, voire des jeunes garçons, à l'instar de Tamir Rice, 12 ans, abattu alors qu'il jouait avec un pistolet en plastique. Des tragédies souvent laissées impunies et qui ont donné naissance au mouvement politique Black Lives Matter (Les vies noires comptent) dont l'ombre plane désormais sur les séries américaines.

Depuis des décennies, la télévision américaine s'est passionnée pour les cop shows embrassant la perspective des flics moralement irréprochables (NYPD Blue) ou usant de violence pour corriger des criminels déshumanisés : Rick Hunter, dégainant plus vite que son ombre ou Horatio Caine, dans Les Experts : Miami, dont l'agressivité n'a d'égale que l'inexpressivité de son visage. Quelques contre-exemples - The Wire, ainsi qu'un épisode du Prince de Bel Air dénonçant le profilage racial – font presque figure d'anomalies dans cette narration uniforme. Fait nouveau, cette thématique s'infiltre aujourd'hui dans une multitude de shows qu'il s'agisse de simples références - le tabassage de Rodney King montré en ouverture d'American Crime Story - ou de storylines inspirées directement des gros titres.

L'épisode 12 de la saison 6 de The Good Wife débute par une vidéo amateur montrant un homme noir tué par un policier lors d'une altercation. Malgré cet entrée en matière brutale, ainsi qu'une référence explicite à Ferguson, le décès de Cole Willis est ensuite relégué au second plan, seulement appréhendé au regard de son impact sur la carrière politique de l'héroïne Alicia Florrick. Une illégitimité que le show assume au détour d'une scène : tels des « white saviors », Alicia et son rival débattent de la manière d'aider les minorités sous le regard d'employés de cuisine noirs. « Évoquer l'aspect racial n'a aucun sens car la série ne s'intéresse pas à ce sujet. Ce n'est qu'une façon de prétendre être en phase avec le monde dans lequel nous vivons, sans toutefois assumer ce qu'implique d’évoluer dans cette société », résume assez bien la journaliste Libby Hill sur Flavorwire.

Si The Good Wife traite cette épidémie comme une énième « histoire de la semaine », certains showrunners voient dans l'écriture un exutoire à leur indignation. « Après Ferguson, je me suis levée un matin avec la conviction que je devais écrire (l'épisode) « The Lawn Chair ». J'avais suivi la couverture médiatique de l'affaire et j'étais horrifiée », expliquait Shonda Rhimes, la créatrice de Scandal, à l'édition américaine de ELLE. Si le chapitre en question met l'accent sur la souffrance du père de la victime, il est toutefois gâché par un happy end, une ultime victoire d'Olivia Pope qui, tout en offrant une résolution tant rêvée, montre aussi les limites de l'exercice. Simplifier à outrance pour coller au désir d'un public en attente d'un divertissement, dopé aux exploits de son héroïne et aux intrigues nerveuses.

Amorcer un débat
La dénonciation cathodique des violences policières coïncide aussi avec l'émergence en coulisses de nouvelles voix issues de la diversité, bien décidées à montrer leur réalité. « Il y a aujourd'hui une prise de conscience que la télévision a besoin de davantage de scénaristes, de créateurs et personnages de couleur. Et qu'elle doit aussi étendre le champ des protagonistes dont elle raconte les histoires », affirmait la critique Maureen Ryan dans un récent article. Ainsi, les tentatives les plus réussies proviennent sans surprise de séries créées et centrées sur des Afro-américains, abordant le racisme comme une réalité du quotidien. Le sitcom familial The Carmichael Show, mais aussi l'excellent épisode de Black-ish dans lequel les Johnson, rivés à leur télévision, attendent de connaître le sort d'un policier accusé d'homicide. Nul manichéisme, mais une vraie confrontation des points de vue : Dre estime que « les policiers sont tous des voyous », tandis que son épouse Rainbow les défend. Autre point de discorde : faut-il préparer les enfants à la dureté du monde ou préserver leurs oreilles chastes ?

Confirmant la démarche didactique, le showrunner Kenya Barris affirme avoir eu l'idée de cet épisode quand son fils de six ans l'a interrogé sur le verdict de Ferguson. « Je ne voulais pas tomber dans le piège de charger la police. Pour moi, ils ne sont pas tous mauvais, même si certains d'entre eux ont fait des choses répréhensibles. Sont-ils des membres importants de la société ? Tout à fait. Je pense que l'idée principale est : quelles discussions pouvons-nous avoir pour changer les choses ? », expliquait-il à Vulture. Si ces conversations intergénerationnelles sont l'occasion d'égréner les statistiques chocs et de rappeler l'histoire du mouvement des droits civiques, elles touchent aussi au plus près la peur qui anime certains citoyens. Quand Dre avoue à sa femme avoir craint que Barack Obama soit abattu lors de son investiture, il relaie un sentiment dominant : « Je me souviens avoir retenu mon souffle, animée par la même crainte que celle exprimée par Dre, que quelqu'un essaierait de tuer le premier Président américain noir », explique, par exemple, la journaliste Nichole Perkins.

Le format de la comédie, parce qu'il est davantage axé sur le développement des personnages, est le meilleur terrain pour interroger sans stigmatiser. Black-ish comme The Carmichael Show dénoncent le racisme systémique sans viser des individualités, en désamorçant le trop plein d'émotion par des vannes bien trouvées (« Je refuse que tu ailles à la manifestation. Il y a beaucoup trop d'énergie sexuelle dans ces endroits », lance un personnage). La preuve ultime que l'humour reste la meilleure arme pour éveiller les consciences.

Orange Is The New Black saison 4, en streaming sur Netflix.